Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Dominique De Villepin, l’autre voix qui manque à la France

Le 3 mars 2023 à 14h38

Modifié 3 mars 2023 à 15h06

De Villepin et sa vision réellement respectueuse des autres nations et des puissances naissantes. Après avoir regardé le discours-conférence de presse de Macron, Ahmed Faouzi bascule vers un débat avec De Villepin. Lecture et impressions.

Le 27 février dernier je suivais avec intérêt l'enregistrement d’un débat opposant l’ancien Premier-ministre français et ministre des affaires étrangères Dominique De Villepin au philosophe Bernard Henri Levy. Sur une autre chaine de télévision française, le président Emmanuel Macron commençait sa conférence sur l’Afrique. Basculement d’un évènement à un autre, entre une personnalité qui a marqué hier la politique internationale de son pays, et l'autre qui aujourd’hui peine à le sortir de l’ornière.

D’envolées lyriques et de propositions concrètes, me voilà devant un chef de l’État qui face aux grands défis qui attendent son pays en Afrique ne propose qu’un toilettage. Tout ce qu’il a su proposer est, selon ses propres termes, d’afficher une profonde humilité face à ce que se joue sur le continent.  Il a résumé sa politique à consolider des États et des administrations, investir massivement dans l’éducation, la santé, l’emploi, la formation, et la transition énergétique.

Je restais dubitatif devant l’inconsistance des propositions émises par Macron et l’évaluation, toute approximative, sur l’état des relations de son pays avec notre continent. Il m’a semblé que parmi les dirigeants français, on n’a pas encore pris conscience de la nécessite de réadapter leur politique extérieure aux changements en cours. De même qu’on est peu conscients de l’impact des débats politiques internes ces dernières années contre les Africains, les Musulmans et les Arabes sur l’image du pays en Afrique et dans le monde.

Lors du débat De Villepin et Bernard Henri Levy, on entendait le premier avertir sur la nécessite de prendre en considération les intérêts et les besoins des autres nations mais aussi leurs souffrances. N’oublions pas le martyr et les souffrances qu’ont connues les peuples libyen et irakien. N’oublions pas les souffrances que nous avons infligées par les interventions militaires sans issue à ces peuples, prévenait-il, en regardant en face son adversaire du moment.

Henri Levy n’en avait cure, lui qui a été derrière la tragédie libyenne que vit toujours ce peuple, et ses conséquences directes sur le Sahel et bien au-delà. Pour lui, cela fait vingt ans que les présidents, français comme américains, espèrent avoir une relation privilégiée avec Poutine, vingt ans qu’on recule, voilà les erreurs du passé. La seule manière de procéder est, selon lui, de renchérir, et tant que Poutine ne sent pas de résistance, il avancera.

Je trouve le débat entre ces deux personnages bien animé face au monologue présidentiel dans une conférence fade à en mourir. Je me remémore les questions qu’on lui a posées et le privilège donné par le protocole de l’Elysée à ce journaliste africain pour poser la question préliminaire. Le chef de l’État français a enlevé à la conférence toute sa spontanéité quand il a commencé à lire ses réponses de ses notes posées sur le pupitre.

Retour à mon débat que je trouve bien plus intéressant. De Villepin reste placide face à BHL et réfute son argumentaire. La résistance ne doit pas se placer sur ce terrain-là, lui rétorque-t-il. Nous avons d’autres moyens de l’atteindre, je ne crois pas que la posture sur des plateaux de télévision soit la bonne réponse, assène De Villepin. Pour ce dernier, la voie diplomatique et l’instauration d’une vraie alliance avec les autres pays et civilisations est la meilleure façon de venir à bout des dictatures.

Décidément ces deux personnages me paraissent inconciliables. Ils représentent deux visions opposées qui témoignent des difficultés de notre époque et surtout de sa complexité. L’un voudrait en découdre avec les dictateurs par la force, tandis que l’autre privilégie la diplomatie et les pourparlers pour intégrer l’adversaire dans un travail collectif qui inclut la communauté internationale dans sa totalité. BHL accusait De Villepin de vouloir revivre son moment irakien, faisant référence à son opposition à la guerre que le président Bush a menée contre l’Irak de Saddam Hussein en 2003.

Tout le monde garde en mémoire le discours de De Villepin au Conseil de Sécurité des Nations Unies contre l’invasion américaine. L’option de la guerre peut apparaître la plus rapide, disait-il, mais n’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faudra construire la paix, et cela sera long et difficile. Il faudra préserver l’unité de l’Irak et rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectés par l’intrusion de la force.

Pour lui, la guerre contre le terrorisme est risquée car elle donne aux différents groupes terroristes une légitimité et une audience auxquelles ils aspirent. Elle valorise le combat qu’ils mènent avec les armes de l’aveuglement et du fanatisme. Le terrorisme, pour lui, peut être résolu par l’intelligence et non la brutalité. C’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation et la barbarie, martelait encore De Villepin

De la guerre en Irak à celle de l’Ukraine De Villepin est resté fidèle a une approche digne d’une puissance comme la France, souveraine mais pas hautaine, qui prend en compte les besoins des autres pays à vouloir s’émanciper et diversifier les partenaires. C’est aussi l’esprit de ses positions relatives à la guerre ukrainienne. Il ne cesse de demander aux autorités de son pays de ne pas se fixer uniquement sur ce conflit mais de prendre en considération les transformations de fond des pays du sud et des défis que représente la Chine.

Dans plusieurs de ses interventions, il a exhorté la France, et au-delà tout l’Occident, à reprendre l’initiative et à cesser d’attendre la prochaine menace pour offrir à l’Ukraine plus d’armes et des moyens militaires pour une confrontation dont on ne maîtrise pas toutes les conséquences régionales et mondiales. Pour lui, l’Occident peut gagner la bataille de l’Ukraine mais perdre, et c’est là le danger, la bataille mondiale face à un sud global.

De Villepin pense aussi qu’il est difficile de voir tout le panorama international quand notre œil est fixé seulement sur l’Ukraine et sur le champ de bataille en Europe. On a tendance à oublier le reste du monde qui demain va peser lourd sur l’après-conflit et la recomposition des blocs qui est en train de naître. La difficulté c’est donc d’avoir la capacite à prendre en considération cette complexité géopolitique et d’éviter d’avoir une vision partielle des réalités.

La partie cachée du conflit aux yeux de De Villepin est la Chine et les risques de voir surgir d’autres conflits entre les démocraties et les autocraties, ou entre les différentes civilisations. Toute aggravation de la guerre en Ukraine bénéficiera à Pékin car la Russie semble vouloir geler la situation en Ukraine et non marquer des points sur l’Occident. Par contre, pense-t-il, le temps joue contre l’Occident, contre l’Ukraine et contre les États-Unis eux-mêmes qui sont détournés de leur objectif majeur qu’est la Chine.

De Villepin se pose également des questions lancinantes sur les rapports de l’Occident à l’égard de la Russie. Il propose un examen critique sur l’aveuglement constaté à l’égard de cette nation sortie humiliée après la dislocation du bloc de l’Est. Avons-nous saisi toutes les occasions pour intégrer la Russie, et avions-nous adressé suffisamment de signaux au peuple russe pour nous rapprocher davantage de lui ? Des questions dont on peut deviner les réponses. Non, l’Occident n’a rien initié dans ce sens.

Le temps de la paix viendra selon lui. Pour le moment, c’est le temps de la diplomatie et de la négociation.  Il prône de changer les rapports diplomatiques pour être plus persuasifs et mener cette bataille avec chaque pays jusqu’à l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette bataille diplomatique doit aller en parallèle avec la bataille militaire sur le terrain. Le tout doit mener vers un nouvel ordre mondial plus juste qui prend en compte les autres puissances naissantes dont certains sont allergiques à l’impérialisme occidental.

C’est certainement pour son sens d’analyse et son objectivité à toute épreuve que De Villepin a conservé avec le Maroc, pays dont il est natif, des liens très étroits et bien particuliers. Il y compte de nombreux amis parmi les intellectuels, les artistes, les hommes d’affaires et les politiques. Les Marocains se rappellent de son opposition, au nom de la France, à la guerre en Irak, mais n’oublient pas son soutien à notre intégrité territoriale. Il prônait déjà, quand il était à la tête du gouvernement, un dialogue direct entre Alger et Rabat pour un règlement de ce différend régional.

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