Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Derrière le paravent de l’exotisme

Le 10 mars 2023 à 11h15

Modifié 10 mars 2023 à 11h15

Matisse et le Maroc, ou Matisse au Maroc. Voilà une affiche alléchante lorsqu’on veut en savoir plus sur la présence dans son pays d’un artiste peintre de génie, tel qu’Henri Matisse (1869-1954). C’est du reste ce que l’Institut académique des arts, de l’Académie du Royaume du Maroc a inscrit dans une de ses activités annuelles.

L’Institut dirigé par Noureddine Affaya a organisé le lundi 6 mars dernier au siège de l’Académie une importante conférence sur le sujet animée par Rémi Labrusse, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales ( EHES) de Paris. Cette conférence est en fait, selon les organisateurs, une présentation ou un avant-goût d’un colloque international qui se tiendra au mois d’octobre prochain sous un thème plus général, et sans doute plus ouvert et exhaustif : "Matisse et le Maroc : un tournant et des résonances".

Le conférencier a rappelé d’emblée les circonstances de la première visite de Matisse à Tanger et l’époque dont la date n’est pas banale, une date hautement historique, voire furieusement hystérique : 1912. Celle de la folle cavalcade impérialiste qui avait étendu son joug sur les peuples de l’autre rive des décennies plus tôt avant d’atteindre nos rivages entre deux siècles.

Ce fut par un hiver pluvieux, sous un ciel bas et gris et en l’absence de cette lumière inspirante si chère aux artistes qui l’avaient précédé -notamment Delacroix-et qui avaient tant vanté sa beauté propice à la création. Comme il ne pouvait pas quitter sa chambre de l’hôtel Villa de France à Tanger, Matisse se contentera de peindre quelques natures mortes par-ci et, par-là depuis sa fenêtre, un palmier. Bref, il s’ennuyait, s’occupant comme il pouvait. On apprendra par bribes à travers sa riche correspondance son état d’âme du moment, guilleret et plutôt optimiste au cours de son deuxième séjour à Tanger en janvier 1913 : "On turbine à l‘intérieur très tranquillement, écrit-il. Une orange et trois carottes avec une serviette, ça peut faire un chef d’œuvre."

Lorsque le temps se mettra au beau, notamment durant son second voyage l’année suivante, Matisse se promènera en ville, visitera la médina, rencontrera des gens, verra ces "cafés maures" qu’il dessinera ou peindra à sa manière… Il va même sortir de Tanger pour aller à Tétouan, sur les pas et sous l’influence de Pierre Loti dont il avait lu et admiré le fameux et néanmoins discutable livre, "Au Maroc". Les titres de ses peinture et dessins, comme c’est très souvent le cas chez les peintres de l’époque, sont d’une concision saisissante, voire ambigüe. Mais Matisse ne peint pas à la manière des artistes qui l’ont devancé. Il n’a pas ce "certain regard", fait de dépaysement et révélant une "étrangeté" éblouie, perplexe ou méprisante. Ce regard, certain, torve ou moqueur c’est celui de l’exotisme, qualifié, lorsqu’il s’agit du monde dit arabo-musulman, d’orientalisme. La Maroc, Al maghrib en arabe, qui signifie pourtant "couchant" ou occident, n’en est pas moins qualifié d’Orient. Et cela continue encore de nos jours. De quoi être complétement désorienté par les temps qui courent un peu dans tous les sens. Mais c’est là une autre histoire, ou peut-être toujours la même…

Certes, Matisse ne peint pas à la manière ni avec les préjugés des peintres de ce que le critique Maurice Arama appelle "La ruche coloniale" dans son excellent ouvrage "Itinéraires marocains : regards de peintres" (1991 Editions Jaguar). Il est resté attentif aux éléments et motifs du décor local et ses multiples compositions, averti déjà qu’il était de la charge esthétique de l’art musulman. Ces motifs décoratifs inspireront le peintre plus tard, lui qu’on présente comme l’artiste du "bonheur de peindre" et de "l’art décoratif souverain" avant l’utilisation, vers la fin de sa vie, de la technique du papier découpé et son célèbre et inimitable bleu.

Si le talent indiscutable de Matisse se distingue de par la modernité de sa technique de la cohorte de peintres dits orientalistes ou, osons le mot, colonialistes, artistes sûrs d’eux-mêmes, dominateurs et conquérants, les intitulés de certains de ses tableaux de l’époque n’en sont pas moins sujets d’étonnement sinon d’interrogation : "Zohra sur la terrasse", "Le rifain assis" , "Le rifain debout", "café arabe", "le café maure"… Ces tableaux, souvent des portraits, qui ne relèvent ni de l’abstraction pure ni du figuratif simpliste se caractérisent par une technique de l’effacement des traits des visages qu’on dirait œuvres inachevées ou ébauches à reconsidérer. Tout cela leur confère une valeur documentaire sur le monde extérieur qui reste pour le moins relative, l’artiste, quelle que soit sa manière, sa technique ou son sujet, n’exprimant que soi-même.

C’est précisément la relativité de cette valeur documentaire qui sera peut-être analysée ou confrontée au débat lors du prochain colloque international en octobre sur Matisse et le Maroc, dont le thème central reste ouvert puisqu’il est intitulé : un tournant et des résonances. Quel tournant pour quelles résonances ? Cela ressemble à du "teasing" pour donner envie de voir et de juger au-delà du "paravent orientaliste" ; de prendre son temps afin de savoir, un peu plus, un peu mieux ou alors différemment. Mais n’est-ce pas là le propre de l’art en général ? Et n’est-ce pas Matisse lui-même qui conseillait à ses étudiants, comme on peut le lire dans ses "Ecrits et propos sur l’art" : "Ne retenez que ce qui ne se voit pas" ?

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