Anne-Marie Slaughter

Présidente et PDG de New America

Ben Scott

Directeur de Reset, un branche du groupe Omidyar, une fondation conjointe et une organisation de défense des droits.

Défendre les infrastructures de l'information dans les démocraties

Le 30 novembre 2022 à 10h42

Modifié 30 novembre 2022 à 14h55

Après les récentes élections de mi-mandat aux États-Unis, les Américains poussent un soupir de soulagement : finalement les médias sociaux n'ont pas envenimé les menaces de violence contre les électeurs et les responsables électoraux. C'est un signe des temps troublant de constater qu'un vote pacifique soit une agréable surprise.

WASHINGTON, DC - Qu'est-ce qui pousse certaines personnes à rejeter la légitimité d'élections justes, à adopter des théories du complot et même à recourir à la violence politique ? Nous pensons que la réponse se trouve dans une nouvelle menace pour les démocraties du monde entier : l'insécurité de l'information.

L'insécurité de l'information est bien plus que la vulnérabilité à la propagande. C'est la distorsion délibérée et systématique -rendue possible et accentuée par les capacités numériques- d'un écosystème d'information tout entier.

Faisons un parallèle entre les catastrophes naturelles et l'insécurité climatique. Dans le passé, nous avons dû faire face à des ouragans, à des sécheresses et à des inondations en les considérant comme des urgences isolées. Aujourd'hui, nous comprenons que le changement climatique constitue une menace pour la globalité des systèmes de l'agriculture, de l'énergie et de la sécurité publique. De même, nous avons déjà traité la famine par des réponses au cas par cas. Aujourd'hui, nous considérons l'insécurité alimentaire comme une menace permanente non seulement pour la vie, mais également pour la cohésion sociale et la stabilité politique.

Les menaces systémiques exigent une réponse systémique qui permette de libérer le potentiel des conditions technologiques. Nos tactiques du XXe siècle -isoler ou bloquer les canaux de propagande de nos adversaires -ne suffiront pas. Ces canaux ont été diffusées par un nombre limité de sources connues facilement reconnaissables par leur origine, leur vecteur et leur contraste avec le support médiatique conventionnel.

Les opérations d'information actuelles sont multi-diffusées sur des centaines de canaux -optimisant ainsi le discours et sa portée en utilisant une interaction entre la diffusion et les médias numériques, notamment les médias sociaux, tout en tirant parti des techniques de publicité en ligne, de ciblage et de manipulation algorithmique pour maximiser la taille du public. Par exemple, le Kremlin ne fait pas seulement passer sa propagande sur le conflit ukrainien sur les chaînes de médias d'État, à la fois diffusées et numériques, mais s'appuie également sur un vaste réseau de chaînes numériques secrètes, réparties sur plusieurs langues et plusieurs plates-formes. Ces canaux répandent des théories du complot sur des Nazis à Kyiv, rejettent la faute sur l'Occident pour l'absence de livraisons de nourriture bloquées par la Russie et attisent les troubles dans l'Union européenne au sujet des prix de l'énergie et des réfugiés.

Ces tactiques amplifient les théories du complot à l'échelle locale et estompent la distinction entre agents étrangers et nationaux. En outre, l'objectif n'est pas simplement de persuader, mais d'affaiblir la confiance dans les faits et de semer la suspicion à l'égard des "fausses nouvelles" partout dans le monde. Les algorithmes réglés pour maximiser l'attention accélèrent l'effet.

Donner l'avantage à la controverse sur l'intégrité

Des gouvernements autocratiques comme la Chine réagissent à cette menace en prenant le contrôle à la fois de la production et de la distribution des médias sur le plan national. Bien que les autorités ne puissent pas éliminer toutes les opinions dissidentes en ligne, elles empêchent toute perturbation majeure de la ligne du parti. La Russie a opté pour une approche similaire -mais avec beaucoup moins d'efficacité.

Les démocraties doivent trouver une autre voie. Dans les sociétés démocratiques, la liberté d'expression est essentielle à la fois en tant que droit humain fondamental et en tant que principal mécanisme visant à demander des comptes au gouvernement. Dans notre réponse aux menaces contre l'information, nous devons nous assurer que le remède n'est pas pire que le mal.

Ce problème ne va pas disparaître en un claquement de doigts. Pour répondre à l'insécurité de l'information sans restreindre la liberté d'expression, nous devons nous pencher sur la structure du marché et sur la logique d'un modèle commercial qui donne l'avantage à la controverse sur l'intégrité. Cela implique d'entrer directement en pourparlers avec les grandes plates-formes technologiques (en grande partie américaines et chinoises) qui détiennent un contrôle sans précédent sur la distribution mondiale de l'information.

Ces firmes n'ont pas causé les problèmes sociaux qui sont à l'origine des conflits politiques contemporains. Mais elles sont le principal facteur d'accélération des tendances qui poussent à l'extrémisme. En dépit de leurs efforts visant à freiner l'activité illégale et à contrecarrer l'exploitation de leurs services, leurs produits sont toujours conçus pour tirer profit de l'indignation et restent vulnérables à des infractions généralisées.

Pendant ce temps, le pouvoir de marché qu'elles exercent sur la publicité a étriqué la viabilité commerciale du journalisme traditionnel, qui stabilisait jadis la politique démocratique en établissant un consensus sur les faits fondamentaux. De nombreux médias traditionnels ont répondu en rejoignant la tendance du nivellement par le bas.

Les gouvernements démocratiques devraient considérer les systèmes d'information comme des infrastructures essentielles, au même titre que le gaz, l'eau, l'électricité et les télécommunications. La première étape consiste à exiger des plateformes américaines Facebook, YouTube et Twitter qu'elles limitent l'exploitation de leurs services par les gouvernements autoritaires qui ont lancé des campagnes délibérées de désinformation. Pour renforcer davantage les défenses des démocraties, nous avons besoin de normes pour les marchés de l'information afin d'évaluer les risques potentiels en matière de sécurité, comme l'impact du contrôle chinois sur TikTok (la plate-forme la plus populaire parmi les jeunes).

Ces normes ne doivent pas être le fait de gouvernements qui dictent le contenu autorisé et non autorisé sur les canaux de médias. C'est une décision que les acteurs privés doivent prendre, comme ils l'ont fait par le passé. Mais si chaque plate-forme technologique sur le marché dispose aujourd'hui de règles régissant le contenu et le comportement ainsi que la collecte et l'utilisation des données personnelles, trop souvent, elles ne font pas le bon choix de suivre leurs propres règles. Les organismes de réglementation des pouvoirs publics devraient les forcer à tenir à leurs promesses et fixer des normes supplémentaires pour la protection des consommateurs, de la même manière que nous réglementons la sécurité des industries alimentaires, pharmaceutiques et des ressources naturelles.

En outre, pour rapprocher les citoyens d'une base commune de faits, les démocraties doivent renforcer le journalisme de service public. Une approche consiste à utiliser des politiques de concurrence -comme celles récemment appliquées par l'Australie -qui obligent les sociétés de technologie ayant le pouvoir sur le marché de la publicité numérique à négocier des accords de partage des revenus avec les organismes de presse. Des taxes sur les transactions numériques peuvent également être utilisées pour stimuler les investissements dans les médias publics, les médias locaux, la formation aux médias et les écoles de journalisme.

Les règles, les normes et les investissements sur le marché des médias ne sont pas simplement des politiques économiques. Ce sont des impératifs de sécurité, aux côtés de l'énergie verte et de la santé publique. Si nous n'agissons pas rapidement, la sécurité de nos informations va s'affaiblir davantage, nous divisant ainsi contre nous-mêmes. Les autocrates et les fauteurs de trouble sont alors à même de façonner un récit qui sert leurs propres intérêts égoïstes en intensifiant le dysfonctionnement démocratique.

La Stratégie de sécurité nationale du président Biden, publiée en octobre, identifie un ensemble de "défis transnationaux" qui ne sont pas "secondaires par rapport à la géopolitique", mais qui se trouvent "au cœur même de la sécurité nationale et internationale." Ces défis comprennent le changement climatique, la sécurité alimentaire, les maladies transmissibles, les pénuries d'énergie et l'inflation. L'insécurité de l'information fait également partie de cette liste, car elle exacerbe ces autres défis et constitue une menace grave contre la démocratie.

© Project Syndicate 1995–2022

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