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Débat/ Mohamed Tangi : Casablanca s’est ruralisée

Le 18 octobre 2013 à 7h43

Modifié 11 avril 2021 à 1h01

Depuis le discours royal du 11 octobre, les langues se délient car le Roi a verbalisé ce dont les Casablancais souffraient en silence. Les habitants parlent plus facilement car ils pensent que ce qu’ils vont dire sera audible.

Mohamed Tangi, natif de Casablanca, est une grande figure de la ville. Sa passion pour Casa a commencé il y a une trentaine d’années. Ses bureaux constituent   un trésor pour cette ville, on y trouve des livres, des affiches, du cinéma, de la musique, des photos, des tableaux ayant tous Casablanca pour sujet…

Il a joué un rôle actif dans la réhabilitation en cours de la médina de Casablanca, opération qui a commencé par l’assainissement, partie la plus coûteuse et la moins visible et qui est presqu’achevée.

Cet homme qui tient à préciser «je ne suis ni un expert ni un historien», nous livre ici son ressenti face à ce qu’il appelle la dégradation et la ruralisation de sa ville.

En gros, il décèle un déficit d’autorité, une dilution des responsabilités, un déficit de compétence, des mécanismes de ruralisation qui échappent à tout contrôle.

Le clientélisme électoral joue un grand rôle dans cette mécanique de dégradation de la ville.

 

Laissons-lui la parole :

 

Densification et ruralisation

 

«La gestion de la ville a failli depuis une vingtaine d’années.  C’est là qu’a commencé une descente aux enfers qui s’est accélérée. Ceux qui ont vécu à Casa dans les années 60 et 70, sont les plus aptes à vous parler de la différence entre le Casa de ces années et le Casa actuel.

«Ce n’est pas la même ville. C’était une ville très agréable à vivre, où la densité n’était pas aussi importante, où l’organisation était parfaite.

«Lutter contre la densification et la ruralisation doit être une priorité. Mais comment faire ? Je vois deux pistes :

 

1. Les logements sociaux doivent être construits en dehors de la ville. Même chose pour les programmes de résorption des bidonvilles.

Casablanca est une ville qui doit se mériter. Les logements sociaux, subventionnés, doivent être implantés à l’extérieur de la ville.

Elle fut une ville de haut standing, connue internationalement ; elle tend  à devenir  par la force des choses une ville à vocation rurale.

 

2.   L’absence d’une législation juste et ferme qui régit la relation locataire et propriétaireprovoque un état de non-droit.  .

Je vous donne deux exemples :

-une veuve qui a un appartement qu’elle a hérité, un R+1 ou un R+2. Elle va en louer une partie pour faire face aux besoins financiers de sa famille.

Mais le locataire devient de facto et par la force des choses, une sorte de propriétaire ; il se comporte comme s’il l’était ; il sous-loue une partie, et il va payer un loyer de 200 ou 500 DH. Quant il daigne le payer.

- Un immeuble art déco du centre ville dont la valeur réelle est de plusieurs millions de DH et dont le loyer cumulé ne dépasse pas quelques milliers de DH par mois.

Comment voulez-vous que le propriétaire arrive à entretenir cet immeuble ?

La plupart des bâtiments intéressants du centre-ville sont soit squattés soit mal ou pas entretenus.

 

«Je vous donne un autre exemple de la mécanique de ruralisation.

«Prenez le cas légitime d un citoyen marocain migrant vers Casablanca car à la télé, il regarde cette ville attractive, cette ville lumière.

«Et un beau jour, il prend un autocar à 50 ou 100 DH. Il débarque à Casa, il se rend dans un quartier populaire et profite de cette sous – sous location illégale pour s y installer. Pour y vivre, le seul recours pour les démunis est le non-droit  et l’informel, mendiant, gardien de rue ou vendeur ambulant.

«Dès lors, il devient résident et encourage son entourage à en faire de même sans se soumettre au respect de l’environnement et des lois en vigueurs.

 

Fin août 2010, le Roi Mohammed VI effectue une longue visite dans les dédales de la médina de Casablanca, prélude au lancement de l'opération de réhabilitation.

Son guide (à droite) n'est autre que Mohamed Tangi.

«Dans la médina, des appartements sont loués. Ils sont ensuite sous-loués en chambres. Chaque chambre est sous-sous-louée en lits. Et chaque lit est sous-sous-sous-loué par tranches de 8 H.

«A cause de ce phénomène, l’ancienne médina souffre de surpopulation. Il y a des propriétaires qui ont renoncé au fait d’aller chercher leurs loyers dérisoires.

 

«Le manque de civisme provient aussi de cette ruralisation. La ville n’est pas tenue. Il faut instaurer le retour de la police municipale.

«Et le comble, c’est que ce phénomène de ruralisation touche également des élus, il me semble que quelques-uns  encouragent ce genre de non-droit  car cette densité dans la ville ainsi que la présence des bidonvilles, constituent une sorte de clientèle électorale.

 «La population s’est ruralisée, du fait de l’attractivité du logement social, de la facilité d’y résider, fût-ce dans un bidonville.

«Celui qui construit une baraque, fait venir toute la famille pour habiter avec lui.  Dans l’ancienne médina, on a du R+4 alors que normalement, seul le R +2 est autorisé. Et tout cela est construit sans autorisation. Ne me dites pas que c’est construit de nuit, tout le monde sait ce qui se passe et ferme les yeux.

«Le clientélisme électoral, le populisme, font des ravages. C’est pour cela que l’on ferme les yeux. Que l’on accorde des autorisations d activités en contradiction avec les règles régissant la bonne marche d’une ville,  les trottoirs n appartiennent plus aux citoyens.

  

Gouvernance: trop nombreux pour se mettre d’accord

115 membres du conseil de la ville, c’est beaucoup pour être d’accord. D’ailleurs, ils ne le sont jamais. Je pense qu’il faut revenir à un nombre raisonnable de personnes, une vingtaine de membres par exemple.

«Aujourd’hui, la responsabilité est diluée,  personne ne se sent responsable.

«L’élection du maire ne doit plus se faire au scrutin indirect. Normalement le maire doit être au suffrage universel, par les habitants.

«Les partis politiques sont responsables de tout ce que nous vivons aujourd’hui. Ils ne présentent pas des managers, capables de gérer les villes mais des gens juste capables de remporter des voix.

«On ne voit pas beaucoup de profils de gestionnaires dans les communes. Dans une élection, le gestionnaire est handicapé face à un professionnel de la politique qui va tenir un discours populiste et conclure des accords avec des associations, créer une clientèle qui va l’appuyer contre des avantages matériels, au détriment de l’intérêt de la ville.

«Les bidonvilles ont été créés et se sont développés à cause des élections communales. Chaque parti essayait d’avoir le maximum de voix alors il offrait  même les branchements d’eau et d’électricité, sur des terrains squattés. Des fiefs sont constitués, il y a des liens entre les associations qui perçoivent des avantages et les élus.

«La gestion de la ville, ce n’est pas uniquement une question de maire. Mais d’un ensemble de compétences réunies pour sauvegarder la quiétude et le bien-être du citoyen  d ou la nécessite de créer une entité autonome  de gestion de la ville, dirigée par des managers compétents, qui sera supervisée par le conseil de la ville et le maire.»

 

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