Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Brésil, retour de Lula da Silva et dernier mandat

Le 25 novembre 2022 à 11h24

Modifié 27 novembre 2022 à 7h56

Les récentes élections d’octobre dernier au Brésil ont été scrutées de près par les observateurs en raison de leurs répercussions mondiales et de la place qu’occupe ce pays sur l’échiquier international. Difficilement, l’ancien président de gauche Lula da Silva est venu à bout de Jair Bolsonaro, candidat sortant de l’extrême-droite, en obtenant 50,9 % des voix, contre 49,10% pour son adversaire.

Tout au long de la campagne électorale, les deux camps n’ont pas hésité à avoir recours aux subterfuges, manipulations, mensonges et autres fake news pour affaiblir l’adversaire. Après le premier tour des élections, le deuxième tour est devenu un véritable champ de bataille, où tous les coups ont été permis. Les attaques entre les deux candidats ont été perfides et personnelles et tous les moyens ont été déployés pour décrédibiliser l’autre auprès des électeurs, espérant ainsi  gagner plus de voix.

Vu de l’étranger, l’importance de cette échéance électorale est en relation avec le poids qu’occupe le Brésil au niveau continental comme au niveau international. Neuvième économie mondiale avec un PIB qui approche les 2000 milliards de dollars, il est aussi le cinquième de la planète par sa superficie avec huit millions et demi de kilomètres carrés. Ses frontières donnent sur l’ensemble des pays de l’Amérique latine à l’exception du Chili et de l’Equateur. Membre du G20 et du BRICS, le Brésil possède des atouts pour lesquels il est cette puissance écoutée sur l’arène internationale.

C’est certainement pour ces raisons que les deux candidats n’ont pas tenu à envenimer outre mesure la situation politique après le scrutin. Bolsonaro a contesté pour sa part les résultats en recourant au Tribunal électoral pour invalider les voix provenant des urnes électroniques. Avant le deuxième tour il a dénoncé de supposés fraudes en affirmant que des milliers de spots publicitaires n’ont pas été diffusés en particulier dans le Nordeste fief de Lula.

Mais Bolsonaro s’est fait également reprocher la multiplication des cadeaux en direction des populations modestes pour voter en sa faveur. Des aides directes, des baisses d’impôt et des chèques énergie, ont été décriés par l’opposition parce que cela s’apparentait à des opérations déguisées d’achat de voix. C’est cette stratégie qui a fait progresser le positionnement de Bolsonaro auprès de l’électorat entre les deux tours et lui a permis de rattraper le retard face à son adversaire.

Du côté des partisans de Lula on n’a pas lésiné sur les promesses faites à ceux qui votent à gauche comme aux religieux tentés de voter pour le camp de Bolsonaro. Lula lui-même a multiplié les appels en direction de la population évangélique du pays pour l’inciter à voter en sa faveur. Il a déclaré son opposition à l’avortement, et s’est affiché ouvertement à côté d’eux. Dans une lettre ouverte à leur attention, il a épousé une partie de leurs exigences.

Face à la désinformation déversée par l’équipe du président sortant dans les réseaux sociaux, l’équipe de Lula n’a pas hésité elle aussi à exhumer les déclarations de l’ancien chef d’État l’accusant d’être franc-maçon et de ne pas servir les intérêts suprêmes du pays. Les révélations de la presse et les poursuites judiciaires contre certains des proches de Bolsonaro, ont favorisé la candidature de Lula qui a saisi ce timing pour centrer sa campagne sur l’économie.

Populisme

Dans sa lettre pour le Brésil de demain, diffusée entre les deux tours, Lula a détaillé ses priorités gouvernementales une fois élu. Il a promis, entre autres, l’augmentation du salaire minimal, la suppression de l’impôt sur le revenu, la hausse des aides sociales et la reprise des investissements publics. Tout le contre-pied du programme de Bolsonaro. Il s’est peu inquiété des équilibres financiers pourvu de s’assurer la victoire et obtenir une majorité pour gouverner le pays.

Face à une situation politique qui lui échappait d’entre les mains, Bolsonaro a demandé le report du scrutin pour mieux se préparer mais en vain. Les juges, comme les militaires dont il est issu, ont rejeté sa demande et se sont tenus à distance entre les deux forces en ne favorisant aucune. Après quatre années au pouvoir Bolsonaro a appris à ses dépens qu’il a également peu d’appuis auprès des milieux économiques comme au niveau des médias.

Étrangement, cette campagne électorale ressemblait au duel américain entre Joe Biden et Donald Trump quand le populisme devenait le seul cheval de bataille du dernier pour s’accaparer le pouvoir. Cela s’est avéré après le premier tour des élections, lors du débat télévisé entre Bolsonaro et Lula. La confrontation entre les deux a été plus un dialogue de sourds qu’un débat politique argumenté, laissant ainsi apparaître un pays polarisé à l’extrême.

Au lieu de défendre son bilan, Bolsonaro ne faisait qu’accuser son adversaire de mensonges et de désinformation évitant de défendre son propre héritage à la tête de l’État. Face à ce manquement, Lula n’a pas hésité à critiquer le mandat de son adversaire dont le bilan est presque nul, et l’accusant pour sa gestion catastrophique de la pandémie covid. Auréolé de sa notoriété mondiale, il a également reproché à Bolsonaro de nuire à l’image du pays à l’extérieur.

En s’adressant aux brésiliens avant le deuxième tour, Lula leur a demandé de choisir entre un gouvernement qui défend la démocratie, la paix, l’unité de la société, et les droits des citoyens, ou alors prolonger l’expérience d’un pouvoir qui n’a cessé d’isoler le pays, et de lui faire honte dans le monde, selon sa propre expression. Les réformes qu’il leur a proposées dépassent de loin le cadre national. Elles ont également comme but de mieux repositionner le Brésil sur l’échiquier mondial.

Une politique extérieure souveraine et active

Après le mandat de Bolsonaro qui a accentué l’isolement du pays, Lula voudrait que le Brésil soit de nouveau impliqué dans les débats internationaux par l’adoption d’une politique extérieure souveraine et active. Il commencera par renforcer l’intégration régionale à travers le marché du Mercosur. L’Amérique latine doit à ses yeux s’industrialiser davantage et ne plus se limiter aux seules exportations des matières premières.

Face aux autres puissances, il préconise le dialogue permanent pour renforcer des partenariats mutuellement bénéfiques. En direction du continent africain le président Lula propose d’élargir la coopération politique, économique et sociale avec ce continent, et œuvrer avec les pays africains pour un monde multipolaire uni autour des valeurs de solidarité, de coopération, et de justice sociale.

Pendant ses précédents mandats, Lula avait rompu avec l’alignement inconditionnel à Washington et s’est rapproché davantage du Venezuela et des pays de l’Amérique Centrale. Le Brésil avait également adopté une approche pro-arabe en reconnaissant l’existence de la Palestine. Cette politique d’indépendance qu’il compte réhabiliter est loin de plaire aux États-Unis.

Face aux défis mondiaux Lula propose aussi une nouvelle gouvernance mondiale qui doit commencer par la réforme des Nations-Unies et l’élargissement du Conseil de Sécurité. Il compte également sur le système multilatéral pour la mise en œuvre d’un fonds pour protéger la forêt amazonienne, et prendre soin de la biodiversité, si vitale pour le pays comme pour le reste de l’humanité.

La déforestation de l’Amazonie est devenue un sujet de débat électoral  à l’intérieur du Brésil et un enjeu stratégique au niveau international. Cette forêt est la clé de la stabilité climatique mondiale et une zone vitale pour sauvegarder la biodiversité et lutter contre les conséquences de la hausse des températures. Lors du débat télévisuel, Lula avait affirmé que sous ses mandats précédents la déforestation avait baissé de 60%, pour augmenter de 73% sous le gouvernement de Bolsonaro. Lula a saisi la récente COP 27, tenue récemment en Egypte, pour annoncer de mettre un terme à la déforestation en Amazonie et proposé d’accueillir ce sommet en 2025 au Brésil.

Le président Lula sera investi le 1er janvier prochain à la tête de l’État brésilien après avoir gouverné le pays pour deux mandats de 2003 à 2011. Âgé de 77 ans, il a promis de ne faire que ce mandat pour finir sa mission au service du Brésil et préparer la relève qui lui succédera. Les brésiliens, et surtout ceux des souches populaires, lui sont grès pour les programmes sociaux courageux qu’il avait mis en œuvre lors de son premier mandat.

Parmi ces programmes se trouve la Bourse Familiale destinée à lutter contre la pauvreté et la précarité qui a sauvé des millions de personnes en conditionnant l’aide à l’obligation d’éducation. L’autre programme Faim Zéro, a permis d’instaurer une politique qui garantisse aux citoyens le droit d’accéder à une alimentation de base. Pour beaucoup de brésiliens, ce sont ces actions qui sont restées en mémoire et ont permis la réélection de Lula, et non ses démêlés avec la justice qui ont vite été oubliées.

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