Mohamed Kably

Historien marocain

A propos du Sahara marocain: fondements historiques et récurrences régionales

Le 4 mai 2023 à 14h05

Modifié 4 mai 2023 à 14h05

La restauration intégrale du Sahara marocain (occidental et oriental) requiert, au plan académique, une véritable mobilisation des compétences. C'est l'une des idées que défend ci-après l'historien Mohamed Kably qui rappelle les principaux jalons historiques ayant conduit à la situation actuelle.

Ce texte se voudrait tentative de mise au point. Il a pour objet d’appréhender une question qu’il convient de redresser au préalable, puisqu’il s’agit du Sahara marocain et qu’on a pris l’habitude de ramener cet espace à son aile occidentale. L’on sait cependant que toute la partie orientale fut annexée aux “départements français”, peu après l’occupation de l’Algérie. On sait également que cette annexion trouve son origine profonde dans l’appui accordé par Moulay Abderrahmane, Sultan du Maroc, à la résistance algérienne et qu’une telle politique d’annexion sera mise en œuvre dès le printemps de l’année 1845, et ce en vertu du traité dit de “Lalla Maghniya”, lequel fut imposé audit Sultan par suite de sa défaite à Isly, au cours de l’été 1844.

Sahara marocain (occidental et oriental): l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc avait entrepris, au cours de la décennie écoulée, de publier une série de travaux s’appuyant sur des archives consignées par différents acteurs de l’époque

Partant de ce constat, l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc avait entrepris, au cours de la décennie écoulée, de publier une série de travaux s’appuyant sur des archives consignées par différents acteurs de l’époque, ce qui devait aboutir à la publication d’ouvrages affectés l’un aux Archives makhzeniennes, l’autre aux Archives britanniques, un troisième aux Archives françaises et un dernier aux Archives espagnoles. Les titres de ces publications sont formulés respectivement comme suit : واحات التخوم وحدود المغرب الشرقية (1800- 1903) ;   Moroccan Confines Oases and Eastern Borders  (1882-1903) ; Oasis orientales et espace frontalier entre l’Algérie occupée et le Maroc (1955-1961) et Los enclaves marroquíes occupados por España a partir de la documentacíon española.

Or, malgré leur caractère jugé attractif, tous ces textes, bien que diffusés assez largement et communiqués à qui l’on a estimé devoir le faire, ne semblent pas avoir suscité la moindre réaction de la part ni de la presse en général, ni de l’ensemble des parties concernées.

Et lorsqu’on a fini, tout récemment, par déclarer “récupérable le Sahara oriental”, nulle mention n’a jamais été faite de ces travaux consacrés par ricochet -c’est l’évidence-, à une telle réclamation avant même qu’elle ne fût annoncée au grand jour.

Mieux encore : d’aucuns ont été jusqu’à tenir des propos par suite de cette annonce, faisant fi, sans le moindre souci d’éthique, de cet apport en ignorant carrément l’existence. Et pour clore lesdits propos, on n’hésita pas à inviter quiconque intéressé par le projet, sans plus de précision, à se présenter pour prendre connaissance des “multiples documents d’archives” déclarés susceptibles, apparemment, de tout bouleverser de fond en comble.

La restauration intégrale du Sahara requiert, au plan académique, une véritable mobilisation des compétences

Cela étant, on peut dire, loin de toute prétention ou de vaine proposition inconséquente, que la restauration intégrale du Sahara requiert, au plan académique, une véritable mobilisation des compétences destinée à réunir le maximum de documents et d’études circonstanciées corroborant la légitimité de l’entreprise.

En attendant une telle démarche, l’on se bornera ici à s’appuyer sur des faits disponibles mais remontant à l’époque du Moyen-Age et au-delà. Non envisagée auparavant, une telle approche pourrait permettre, entre autres éléments, de dégager les fondements de la solidarité existant, depuis des siècles, entre l’espace libéré du Sahara et la partie spoliée encore soumise, en fait, à un statut la condamnant, on le craint, à être perçue parfois comme une simple monnaie d’échange.        

Partons de cette évidence qui rappelle, avec raison, que tout Sahara est d’abord un désert. De ce fait, le Sahara qui nous occupe, celui qui revient au Maroc, ne peut que partager les mêmes traits fondateurs de cet espace. Or il se trouve que l’un de ces traits implique que le Sahara recèle, où qu’il soit, une nette aversion pour le démembrement en tant que tel, surtout si le tracé est le fait d’immixtion ou d’ingérence étrangère.

Une telle attitude témoigne, en fait, d’un très fort attachement à la liberté de mouvement de la part des habitants. Le plus étrange est que ce culte allait amener cet espace, peut-être un peu malgré lui, à se comporter en un lieu ouvert, partant non hostile, bien au contraire, aux rapports de communication et de passage. Il n’aura donc pas à se détourner ni de l’accueil hospitalier ni de l’échange commercial.

Par ailleurs, ce même comportement aura trouvé un pendant, semble-t-il, dans le bloc du Maghreb voisin, lequel s’est toujours comporté comme un espace particulièrement jaloux de sa souveraineté et tenant, malgré l’éparpillement, au principe de solidarité en cas d’attaque ou d’invasion. Si bien que les affinités structurelles existant entre ces deux entités limitrophes auront fini par générer un même cheminement n’excluant, de la part deux côtés, ni le culte de l’autonomie ni l’ouverture, tant vis-à-vis l’un de l’autre que par rapport aux espaces lointains situés dans le Sud, en Afrique subsaharienne, aussi bien que dans le Nord, en Europe de l’Ouest, par-delà le Détroit de Gibraltar.

Et c’est précisément cette tendance à aller spontanément vers l’autre qui aura valu à cet espace global d’être l’objet de convoitises périodiques, tant au cours de l’Antiquité qu’à travers le Moyen Age. Ces convoitises auront donné lieu à de multiples tentatives d’occupation à partir tantôt du Nord, tantôt de l’Est, faisant ainsi se succéder Phéniciens, Vikings et Romains avant que vienne le tour des Byzantins et des Arabes.

Il faut dire que tous ces nouveaux-venus avaient pour stratégie récurrente de commencer par s’emparer prudemment, çà et là, d’une base d’installation avant d’essayer de s’étendre. Et c’est grâce à la solidarité de l’espace ajoutée à la pugnacité de l’homme qu’on finissait tôt ou tard par leur faire changer de perspective.

Ceci dit, il est à noter que contrairement au scénario ainsi décrit, ce même espace, tout en cultivant ses rivalités communautaires, allait se comporter différemment, à compter du milieu du Moyen Age, avec les potentialités locales se proposant de le soumettre à une seule autorité centrale.

D’autre part, il n’est peut-être pas indifférent de relever que la première de ces potentialités à s’ériger en novateur, en l’occurrence, est saharienne et qu’elle sera par la suite imitée par les montagnards almohades suivis, à leur tour, par les semi-nomades mérinides. Une fois achevée cette épopée, on vit réapparaître de nouvelles tentatives d’occupation en provenance soit de l’Est, là aussi, soit du Nord, à partir, dans un cas d’Anatolie, dans l’autre du Portugal, alors que l’Andalousie musulmane était encore en survie, que la Castille se tenait prête à lui donner le coup de grâce et que le rapport de forces, par conséquent, avait d’ores et déjà penché du côté de l’autre vive.

Au cours de ce très long processus, quelle a été la situation de l’espace saharien et notamment du Sahara particulier qui nous occupe ? A ce propos, l’on note que par rapport aux épisodes précédant l’arrivée des Arabes au Maghreb, il n’existe pratiquement pas de trace de la totalité de cet ensemble désertique. Il aura fallu attendre le IXe siècle et l’installation éphémère du gouvernement idriside, au nord du Maroc actuel, pour voir apparaître, en marge de l’intérêt officiel manifesté pour le Souss, des échos du Sahara.

Des balbutiements aussi faibles du même espace allaient réapparaître, un siècle plus tard, avec l’arrivée à Sidjilmassa dans le Sud-Est, du Fatimide nommé Ubayd Allah al-Mahdi. Après quoi, ce fut le grand silence, et ce jusqu’à l’avènement, vers le milieu du XIe siècle, du mouvement saharien almoravide.

A ce propos, il a été établi que ce même mouvement avait pris le départ du côté des confins mauritano-sénégalais pour ne s’arrêter qu’à l’emplacement de ce même bourg qui allait donner lieu, au Maghreb-Central, à l’actuelle cité d’Alger. Chemin faisant, il avait pu introduire, une fois dans le Nord, un type de gouvernement appelé Makhzen qui était alors inédit, du moins dans cette partie occidentale du Maghreb.

Ce gouvernement sera doté sur le champ d’un siège créé de toute pièce qu’on baptisa du nom de Marrakech. De même qu’il aura pour foyer central un pays perçu et traité jusqu’alors comme un simple agglomérat de provinces mais qui devient, grâce aux nouveaux maîtres, ce même Al-Maghrib al-Aqsâ (Maghreb-Extrême) pérennisé jusqu’à ce jour sous le même nom. Il s’ensuit que ce territoire appelé Marruecos en Espagne et Maroc en France est un pays qui fut positivement créé par le Sahara attenant à son espace et non l’inverse.

Près d’un siècle d’acclimatation

De quand date cette appellation qu’on abrège aujourd’hui sous la forme d’Al-Maghrib ? Rien ne permet d’avancer une date historiquement vérifiable ; cependant, l’on sait que cette appellation n’allait recevoir la consécration de l’écriture qu’assez tard, vers le milieu du XIIe siècle.

A croire qu’il lui aura fallu près d’un siècle d’acclimatation pour pouvoir accéder au statut officiel ou tout au moins didactique. Puisque c’est le géographe al-Idrisi qui en aura été le divulgateur par excellence en en multipliant la mention dans sa célèbre Nouzhat al-Moushtâq.  Cela étant, il importe de signaler que ce domaine, dans l’esprit des fondateurs, était conçu pour s’étendre jusqu’au milieu du Maghreb-Central, étant donné qu’il s’agissait là comme là-bas, de Dar al Islâm, que toute notion de frontière, au sens strict, était de ce fait inadmissible. D’autant que les conquérants se présentaient par-dessus tout, au surplus, comme de fervents “fidèles” orthodoxes ayant pour mission d’unir à la fois coreligionnaires et entités territoriales.

La même approche paraît avoir influencé la démarche devenue de loin plus ambitieuse chez les successeurs Almohades. Puisque les premiers califes de cette dynastie parvinrent, au cours du XIIe siècle et pour la première fois en tout cas, à unir le Maghreb de bout en bout et le Grand Sahara dans son ensemble.

Quant aux premiers Mérinides, ils réussirent, dès avant l’expiration du siècle suivant, à sauvegarder l’héritage qui sera perturbé par la suite, vers la fin du XIVe siècle, pour finir par décliner un siècle plus tard. Après quoi, ce fut la voie ouverte aux conquérants en provenance à la fois d’Ibérie, on l’a vu, et de Turquie.

Compte tenu de ces tentatives d’unification réalisées à partir du Maghreb-Extrême, on peut légitimement s’interroger sur le comportement de cette partie du Maghreb vis-à-vis des contrées soumises. Y a-t-il eu subjugation ou main mise systématique ou plutôt coexistence plus ou moins acceptée par l’ensemble des habitants ?

La notion de frontière, au niveau de l’habitat, était principalement à caractère humain et n’implique pas toujours un tracé infranchissable sur le terrain

Quelle que soit la réponse à retenir, une telle question requiert que soit définie la notion d’appartenance ou d’identité collective, au sein du Maghreb à cette époque. Or il se trouve que cette identité y était d’abord territoriale et qu’elle était en même temps incarnée non pas par la communauté plurielle, au sens large, mais seulement par la communauté ethnique limitée à la tribu ou étendue à la “Asabiya” qui était en fait, une confédération tribale.

Autrement dit, la notion de frontière, au niveau de l’habitat, était principalement à caractère humain et n’implique pas toujours un tracé infranchissable sur le terrain. De là cette option quasi-constante pour le pouvoir de privilégier l’association tout en se présentant comme un système absolu. Outre qu’il confiait un peu partout la gestion à des partisans de confiance, il pouvait aussi recourir à une sorte de délégation visant à intégrer l’oligarchie locale et les hommes de religion.

Mieux encore : on sait que le système mérinide était relativement plus ouvert que l’almohade ou même l’almoravide et qu’il a pu s’accommoder sur le tard, en fin de compte, du rivalisme agaçant de l’émirat de Tlemcen. De même qu’il a su tirer profit de la collaboration des principautés mises sous sa coupe, il est vrai, de Constantine et de Bougie, tout en tenant en respect les potentats du Djérid installés dans le désert, à l’autre bout d’Afrique du Nord.

Tant et si bien que le domaine qui revenait en propre au Maghreb-Extrême n’aura jamais été confondu avec l’immense pays conquis et qu’en tant que centre d’autorité, il ne paraît pas avoir jamais cherché, d’après les faits, à aliéner l’espace qui revenait à chacune des différentes provinces alentour.

A titre d’illustration, il suffira de faire état de la description esquissée par le grand Ibn Khaldoun, témoin particulièrement averti que l’on sait à la fois fin diplomate et historien de premier ordre.

Dans cette description-témoin, l’auteur s’applique, alors que le Maroc comptait encore comme puissance redoutable sur l’échiquier maghrébin, à définir l’espace d’Al-Maghrib al-Aqsâ, Sahara compris, bien entendu, avant de passer au reste du Maghreb.

Voici quelques passages de son texte que l’on reproduira ici tel qu’il a été traduit et transcrit, sauf nécessité d’éclaircissement, par le Barron de Slane : "On voit, par ce qui précède, que le Maghreb [el-Acsa] forme, pour ainsi dire, une île, un pays détaché de tout autre, et qu’il est entouré de mers et de montagnes. Ce pays a maintenant pour capitale la ville de Fez, demeure des rois. Il est traversé par l’Omm-Rebiâ, grand fleuve qui déborde tellement dans la saison des pluies qu’on ne saurait traverser […] Il prend sa source dans le Deren, d’où il jaillit par une grande ouverture, traverse la plaine du Maghreb et se jette dans l’Océan, auprès d’Azemmour.

La même chaîne de montagnes donne naissance à un autre fleuve qui coule vers le sud-est et passe auprès des villes de Derâ. Cette région abonde en dattiers ; elle est la seule à produire l’indigo […] Les villes, ou plutôt bourgades, dont nous venons de faire mention, possèdent des plantations de dattiers et s’élèvent de l’autre côté du Deren, au pied de la montagne. Le fleuve, appelé Derâ, passe auprès de bourgades et va se perdre dans les sables, au sud-est de Sous.

Le Moulouïa, une des limites du Maghreb-el-Acsa, est un grand fleuve qui prend sa source dans les montagnes au midi de Téza et va se jeter dans la Mer Romaine (La Méditerranée) […]

De la montagne qui donne naissance au Moulouïa sort un autre grand fleuve appelé encore aujourd’hui, le Guir, qui se dirige vers le midi, en dérivant un peu vers l’Orient. Après avoir coupé l’Areg (L’Erg) et traversé successivement Bouda et Tamentît, il se perd dans les sables, auprès de quelques autres bourgades entourées de palmiers, à un endroit nommé Regan (Reggane) […]

Derrière l’Areg, et à l’orient de Bouda, se trouvent les bourgades de Teçabît, ksours qui font partie de ceux du Sahra. Au nord-est de Teçabît sont les bourgades de Tigourarîn dont on compte plus de trois cents ; elles couronnent les bords d’une rivière qui coule de l’ouest à l’est. Ces localités renferment des peuplades appartenant à différentes tribus zénatiennes".

Suit immédiatement la description du Maghreb-Central. Et l’on aura sans doute remarqué qu’Ibn Khaldoun s’attarde, dans le texte ci-dessus, sur la seule partie jouxtant les terres de l’Est. Au point que l’on se demande s’il s’agit là d’un simple fait du hasard. Surtout lorsqu’on sait que l’auteur avait séjourné des deux côtés de cet espace et qu’il n’est pas impossible qu’il ait pu y constater des signes de conflit déjà en œuvre.

Quoi qu’il en soit, l’on retiendra surtout que ce texte fut rédigé avant la fin du XIVe siècle et qu’il témoigne positivement de l’existence, au sein d’Al-Maghrib al-Aqsâ, d’une vie animée en plein Sahara oriental.

Et l’on note, d’autre part, que le même constat demeure valable jusqu’au début du XVIe siècle, c’est-à-dire un peu après l’installation des Turcs en Tunisie actuelle et également au Maghreb-Central. Car il existe un témoignage probant à cet égard qu’on doit à Léon l’Africain, lequel fut non seulement un témoin assez proche des émirs wattâsides, mais surtout un voyageur sillonnant le terrain et parfaitement au fait de la complexité du contexte.

Et c’est en tant qu’observateur neutre installé loin du Maroc qu’il certifie, sans la moindre ambiguïté, que des tribus nomadisant près du récent domaine des Ottomans venaient rendre régulièrement hommage aux souverains de Fès. Pour le reste, il se contente de renvoyer tout aussi explicitement au témoignage d’Ibn Khaldoun.

Plus d’un siècle et demi plus tard, et suite aux incursions turques effectuées à l’intérieur de leurs terres, quelques-unes de ces tribus d’obédience firent appel à Moulay Smail, roi du Maroc, lequel crut devoir répliquer en s’enfonçant, de son côté, dans le domaine des Ottomans.

Accueilli par une armée mieux outillée apparemment que la sienne, il dut subir une défaite cuisante aux environs du djebel Amour et fut réduit, par conséquent, à accepter les conditions du traité de 1680, lequel faisait de Oued Tafna une frontière immuable entre le Beylicat d’Alger et le Royaume du Maroc.

Et c’est ainsi que fut inauguré ce processus d’annexion qui sera repris et perfectionné par les stratèges de la colonisation française.

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