Addoha: Parcours d'une entreprise qui a bouleversé la Bourse de Casablanca

Plébiscitée par les investisseurs jusqu'à la mi-2008, la valeur Addoha est depuis plus d'une décennie malmenée en bourse, malgré quelques courts épisodes de reprise. Depuis son introduction, elle a fait l'objet de nombreuses annonces et rumeurs positives et négatives. Sur le marché, elle vaut aujourd'hui la moitié de ses fonds propres. Tout le monde se montre prudent vis-à-vis de cette valeur qui a marqué l'histoire de la bourse.

Addoha: Parcours d'une entreprise qui a bouleversé la Bourse de Casablanca

Le 3 juillet 2018 à 15h23

Modifié 11 avril 2021 à 2h47

Plébiscitée par les investisseurs jusqu'à la mi-2008, la valeur Addoha est depuis plus d'une décennie malmenée en bourse, malgré quelques courts épisodes de reprise. Depuis son introduction, elle a fait l'objet de nombreuses annonces et rumeurs positives et négatives. Sur le marché, elle vaut aujourd'hui la moitié de ses fonds propres. Tout le monde se montre prudent vis-à-vis de cette valeur qui a marqué l'histoire de la bourse.

Le 29 juin dernier, un courrier électronique anonyme, portant le titre «Stop à l’impunité», a été diffusé sur la place. Le mail dénonce «une crise de confiance avec les actionnaires du groupe Addoha», provoquée par la non-publication d’un profit warning au sujet de la baisse de 24% des bénéfices de la société en 2017, ayant conduit à la chute du cours de l’action de 49% depuis l’annonce des résultats.

Les expéditeurs décrient également la réduction de 50% du dividende par rapport à l’année précédente (1,20 DH par contre 2,40 DH servis en 2017). Ils affirment que «le petit porteur trinque et voit son épargne s’effondrer comme neige au soleil, devant l’impunité de l’AMMC».

Ce courrier a été envoyé au lendemain de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires d’Addoha, tenue le 28 juin, entre autres pour approuver les comptes 2017 et l’affectation des bénéfices.

Il renseigne sur la déception des investisseurs face au comportement récent du titre Addoha en bourse, et confirme les craintes des analystes vis-à-vis de la valeur, exprimées depuis plusieurs mois déjà.

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Addoha, une chute du cours et des interrogations

En fait, la chute récente du cours d’Addoha a démarré bien avant l’annonce des résultats fin mars dernier. Elle remonte à septembre 2017 et vient confirmer une tendance baissière de fond, entamée depuis la deuxième moitié de 2008 et interrompue en 2016 grâce à un regain de confiance passager des investisseurs.

Cette tendance baissière de fond est intervenue après une envolée sans précédent du cours d’Addoha depuis son introduction en bourse en juillet 2006. Elle s’explique par des facteurs liés aussi bien au marché boursier dans sa globalité, qu'au secteur immobilier ou à l’entreprise elle-même. En tous les cas, elle a signé la fin de l’euphorie pour cette valeur qui avait bouleversé tout le marché boursier et attiré nombre de petits porteurs.

Retour sur le parcours d’une valeur qui a marqué les investisseurs, aussi bien par l’ascension de son cours et les gains qu’elle leur a permis de réaliser, que par sa chute et les pertes qui en ont résulté.

Addoha souscrite plus de 17 fois lors de son introduction en bourse

L’introduction en bourse d’Addoha à travers la cession de 35% de son capital était une réussite. L’entreprise était connue du public à travers ses publicités et ses programmes de logement sociaux.

De plus, le secteur immobilier dans son ensemble était en plein boom grâce à la multiplication des projets et la baisse des taux des crédits, ce qui dessinait des perspectives prometteuses pour le secteur qui ont mis en confiance les investisseurs.

Plus de 22.000 souscripteurs ont participé à cette introduction. C’est certes beaucoup moins que les 100.000 et plus de l’IPO de Maroc Telecom en 2004 ou d’Atlanta et la Snep en 2007, mais l’opération a été souscrite plus de 17 fois, soit une demande de 48,3 milliards de DH pour une offre de 2,7 milliards.

Autrement dit, le taux de satisfaction de la demande n’a pas dépassé 6%. Aussi bien les particuliers que les entreprises et les institutionnels ont participé massivement à l’opération.

Notons que c’est l’envolée rapide du cours d’Addoha juste après son inscription à la cote qui a attiré plus de personnes physiques lors des grandes introductions en bourse qui ont suivi. L’appât du gain rapide et sûr a même poussé des particuliers à s’endetter en 2007 et 2008 pour participer aux IPO, pratique interdite depuis par le CDVM (AMMC).

En effet, dès son introduction au prix de 585 DH l’action, Addoha a enchaîné les fortes hausses. Elle a presque doublé de valeur en trois mois (1.215 DH le 5 octobre 2006) et l’a triplée en quatre mois (1.932 DH le 7 novembre).

Au départ, ce mouvement haussier était attribué à la volonté des investisseurs qualifiés de compléter leurs achats compte tenu du faible taux de satisfaction de la demande lors de l’introduction en bourse. Mais les niveaux de cours atteints en un temps si court montraient qu’il y avait une véritable fièvre et que tout le monde continuait d’acheter, particuliers et institutionnels.

A la fin de l’année 2006, après moins de six mois de cotation, le cours affichait 2.850 DH, soit une évolution de 387%. Le marché, qui était déjà très dynamique avec 10 introductions en bourse et beaucoup de liquidités en circulation, a été propulsé grâce à l’envolée d’Addoha. Le Masi a réalisé une performance historique plus de 70%.

Outre le contexte favorable en bourse et la bonne santé du secteur immobilier à l’époque, trois facteurs expliquaient ce parcours exceptionnel:

- Les annonces du groupe: Ce dernier a multiplié les sorties depuis l’introduction pour annoncer des acquisitions de fonciers, la signature de conventions pour la construction de nouveaux projets, une diversification dans l’immobilier de standing et touristique…

- Les recommandations des analystes: Jamais une valeur cotée n’a fait l’objet d’autant de valorisations et de conseils à l’achat en une si courte période. D’une valeur théorique de 1.000 DH, elle est passée à 1.500 DH puis à 2.000 DH. Attijari Intermédiation, BMCE Capital, CFG, Upline…, les principales sociétés de bourse avaient publié des notes de recherche au cours des mois suivant l’introduction.

- Les rumeurs. L’absence d’annonces par le management d’Addoha laissait place aux rumeurs: entrée dans le capital de grands investisseurs marocains, partenariat avec des groupes étrangers…

Pour les investisseurs en bourse, un hectare de foncier acquis correspondait à un nombre de logements à construire connu et donc à un chiffre d’affaires et des bénéfices assurés et mesurables, compte tenu du déficit en logements et de la dynamique du marché immobilier. Donc chaque annonce avait un impact direct sur le cours.

Les investisseurs, surtout particuliers, étaient également influencés par les recommandations des analystes qui se multipliaient, toujours à un cours théorique plus élevé.

Quant aux rumeurs, elles rendaient la valeur encore plus dynamique grâce au comportement des spéculateurs.

Des analystes appelaient à la prudence bien avant la chute de 2008

Tous ces éléments ont fait qu’Addoha s’est envolée en bourse, avec des montants de transactions importants, parfois avant l’annonce d’une information importante. Des délits d’initiés avaient même été suspectés, mais l’autorité de régulation à l’époque n’a rien annoncé.

Cela dit, les mêmes analystes qui recommandaient publiquement Addoha à l’achat alertaient, sous couvert d’anonymat, sur l’envolée trop rapide de son cours. Certaines sociétés de bourse avaient même suspendu leurs recommandations le temps que le marché digère la hausse et que de nouvelles informations soient publiées par le groupe immobilier.

Mais il n’y a pas eu de retournement de tendance en 2007. Au contraire, l’ascension s’est poursuivie, alimentée par de nouvelles annonces (notamment d’acquisition de foncier), de nouvelles recommandations des analystes mais surtout une révision «ambitieuse» du business plan par le management d’Addoha:

- Un nombre de logements économiques à construire en hausse de 20% en 2008 et 2009 et de 40% en 2010, par rapport au précédent business plan,
- Un chiffre d’affaires devant passer à 6 milliards de DH en 2008 (le double de celui de 2007) puis à près de 11 milliards de DH en 2010,
- Un résultat net devant passer à plus de 2 milliards de DH en 2008 (le triple de celui de 2007) puis à 3,6 milliards de DH en 2010.

Ces données prévisionnelles, en plus de recommandations d’analystes ayant valorisé l’action à plus de 3.000 DH, lui ont permis d’atteindre de nouveaux sommets.

Malgré quelques phases de correction, le cours a franchi la barre des 3.000 DH en 2007 et l’a bouclée à 3.370 DH, enregistrant une performance annuelle de 18%. Début 2008, il a cassé le seuil des 4.000 DH pour atteindre 4.500 DH, son plus haut niveau historique.

Mais ce qui s’est passé par la suite n’était attendu par personne. Après une période d’hésitation de trois mois, le cours s’est littéralement effondré.

Il est passé de 228 DH (cours ajusté suite aux opérations sur le capital menées par la société) à 75 DH à la fin de l’année 2008, soit une chute de 67%.

Il a rebondi durant les six premiers mois de 2009 pour atteindre près de 150 DH, mais il a repris sa tendance baissière, qui s’est prolongée jusqu’à fin 2015, avec quelques phases de correction à la hausse.

Cette forte chute, qui a provoqué de lourdes pertes pour les investisseurs est expliquée par plusieurs facteurs:

- La crise financière puis économique mondiale qui a éclaté après la faillite de banques américaines spécialisées dans le financement de l’immobilier. Cette crise a eu des répercussions directes (ralentissement chez les partenaires économiques, retrait des investisseurs étrangers…) et indirectes (effet psychologique, attentisme…) sur le Maroc et son marché boursier,

- La fin des incitations fiscales relatives au programme du logement social en 2008 : Cette situation a provoquée une chute de la production de logements en 2009 et la réticence des pouvoirs publics à reconduire le dispositif a fait craindre le pire aux promoteurs et aux investisseurs en bourse.

- Le secteur immobilier dans son ensemble commençait à montrer des signes d’essoufflement. Le haut standing était frappé de plein fouet par la baisse de la demande des étrangers et des MRE et les prix avaient atteint des niveaux dissuasifs pour la demande locale.

- Addoha n’a pas respecté les engagements de son nouveau business plan: 6 milliards de DH de CA et 878 MDH de bénéfices en 2009, contre des promesses de 8,4 milliards de DH de CA et de 3 milliards de DH de bénéfice. Idem en 2010: 7,6 milliards de DH de CA et 1,7 milliard de bénéfices contre 11 milliards de DH et 3,6 milliards de DH prévus.

- Le groupe était devenu trop endetté: ses dettes à long et à court terme représentaient 1,6 fois ses fonds propres, en raison d’une politique d’acquisition de foncier et de lancement de nouveaux projets agressive, non accompagnée par des flux d’exploitation positifs.

La relance du logement social en 2010, avec le lancement du dispositif des unités à 250.000 DH, a certes donné un nouveau souffle au secteur en termes de mises en chantier et de production. Mais l’essoufflement généralisé de la demande, le ralentissement progressif du crédit immobilier, le contexte toujours perturbé à l’international et les nouvelles tensions régionales n’ont pas permis au cours d’Addoha de reprendre le chemin de la croissance:

- La crise économique et financière s’est transformée en une crise de dettes souveraines,

- La naissance du «printemps arabe» dans la région, le mouvement de contestation au Maroc, le changement de la Constitution et l’organisation d’élections législatives anticipées ont plombé le marché boursier et l’économie en 2011.

- Difficultés rencontrées par le groupe Addoha avec certains de ses partenaires, notamment le groupe espagnol Fadesa.

Le Plan Génération Cash a permis de redresser provisoirement le cours

Malgré le décalage par rapport aux prévisions, les résultats du groupe Addoha ont poursuivi leur amélioration en 2011 et 2012, avec un chiffre d’affaires et des bénéfices respectivement de 9,4 milliards et 1,8 milliard de DH.

Mais cela n’a pas suffi à redresser la valeur. Les investisseurs étaient devenus beaucoup plus prudents, dans un marché boursier globalement atone. Ils l’étaient encore plus vis-à-vis d’Addoha, qui servait moins de dividendes (1,50 DH et 1,80 DH par action respectivement en 2011 et 2012 contre 2 DH en 2010), qui continuait à présenter une structure financière fragile mais surtout qui poursuivait ses achats fonciers et ses lancements de nouveaux projets alors que les ventes au niveau secteur ne suivaient pas forcément.

Et l’avenir leur a donné raison. Le chiffre d’affaires du promoteur a baissé à 9 milliards de DH en 2013 puis à 7 milliards de DH en 2014. Son bénéfice net est passé à 1,7 milliard puis à 1 milliard de DH. Sa dette financière (à court et à moyen terme) représentait toujours presque la totalité des capitaux propres.

Début 2015, le groupe annonce une réorientation stratégique. Un «Plan Génération Cash» est adopté, privilégiant le déstockage des logements achevés, la limitation de la production aux projets dont la commercialisation est avancée et la réduction de l’investissement dans le foncier. Le but est de dégager le maximum de cash-flows possible pour réduire l’endettement et augmenter la distribution de dividendes.

Les investisseurs en bourse, toujours secoués par les résultats en baisse relatifs à 2014 et optant pour la prudence, n’ont pas réagi immédiatement à l’annonce de cette nouvelle vision.

Le cours de la société s’est stabilisé jusqu’à la publication du premier bilan d’exécution de la stratégie, début 2016. Lequel montre des réalisations conformes aux promesses. L’action bondit de moins de 25 DH à plus de 40 DH en cinq mois.

Après la publication des résultats semestriels, le cours effectue un nouveau saut pour atteindre plus de 54 DH.

En 2015 et 2016, le chiffre d’affaires s’est légèrement amélioré, à 7,4 milliards de DH. Le bénéfice est repassé au-dessus du milliard de DH, après une baisse à 850 MDH.

Résultats 2017 décevants et nouveau plan stratégique mal accueilli sur le marché

De septembre 2016 à septembre 2017, le cours a oscillé autour des 50 DH. Mais la publication de résultats semestriels décevants, confirmés par les comptes annuels 2017, a fait replonger le cours. D’environ 50 DH, il est passé à moins de 20 DH.

>>Lire aussi: Addoha fortement pénalisée sur le marché boursier

Le chiffre d’affaires réalisé en 2017 s’est établi à moins de 6 milliards de DH contre 7,6 milliards prévus dans le plan Génération Cash. Le bénéfice a, lui, chuté de 24% à 763 MDH. Le dividende, qui a été relevé en 2015 et 2016 à plus de 2 DH par action, a été amputé de moitié en 2017, à 1,20 DH.

Ces réalisations décevantes ont été publiées après l’annonce de l’adoption d’un nouveau plan, nommé «Priorité au Cash». Ce plan prévoit une réduction de la voilure compte tenu de la conjoncture dans le secteur immobilier, et une poursuite du désendettement et de la distribution de dividende.

Il n’a pas convaincu les investisseurs en bourse, qui s’attendaient à une reprise de la croissance de l’activité. De plus, avec la réduction drastique du dividende en 2017, ils doutent de la capacité de l’entreprise à honorer ses promesses.

Aujourd’hui, le cours d’Addoha est à moins de 18 DH. Cela donne une capitalisation boursière d’un peu plus de 5,5 milliards de DH, soit la moitié des fonds propres de la société. «Si un investisseur décide de lancer une OPA sur Addoha, il ferait une bonne affaire», s’amuse à dire un banquier de la place.

La société affiche aussi des ratios boursiers intéressants en raison de la chute de son titre: un rendement de dividende de 6,7% malgré sa baisse en 2017, et une valeur représentant à peine 7 fois ses bénéfices annuels.

Malgré cela, l’action ne séduit plus. Il faut dire que tout le secteur immobilier ne séduit plus en bourse. Le manque de visibilité sur la stratégie de relance du secteur, actuellement en cours de préparation, et la mésaventure des investisseurs au cours des dernières années les poussent à la prudence

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