L'évolution du secteur Tech national analysée par Meriem Zairi (EmergingTech Ventures)

| Le 14/6/2023 à 10:35
Durant le dernier semestre 2022, le secteur des startups technologiques a connu une forte hausse de l'aversion au risque des investisseurs, avec une baisse significative des levées de fonds. Les startups marocaines n'ont pas enregistré de grosses corrections dans leur valorisation par rapport au reste du continent. Pour faire décoller le secteur, de nombreux chantiers devront être poursuivis, notamment sur le volet fiscal et les ressources humaines.

Le monde des startups technologiques marocaines a connu un bouleversement considérable avec le déclenchement de la pandémie en 2020. L’essor du numérique a propulsé le secteur, améliorant la nature des profils des entrepreneurs et la dynamique de croissance des startups.

Meriem Zairi, Managing Director d'EmergingTech Ventures.

Mais trois ans après le début de la crise sanitaire et de la nouvelle dynamique enclenchée dans le secteur, comment se porte cette industrie aujourd’hui ? Meriem Zairi, Managing Director du fonds EmergingTech Ventures, nous livre les évolutions du secteur l’an dernier et les attentes pour le deuxième semestre 2023, ainsi que les leviers à actionner pour améliorer le dynamisme du secteur des entreprises innovantes technologiques.

Une industrie ballottée, mais une résilience marocaine

Le déclenchement de la guerre en Ukraine a impacté l’industrie des startups technologiques à travers le monde. Le Maroc a également été affecté, mais de façon différente.

"Au second semestre 2022, il y a eu un contexte inflationniste assez fort qui n’a pas épargné les startups Tech. On a connu jusqu’au début de 2022 des années folles de surliquidité sur le marché international, en termes de valeurs technologiques ; un retournement a été observé sur la seconde moitié de l’année, qui se poursuit en 2023", explique Meriem Zairi.

Il s’agit cependant d'une analyse du marché international. Le Maroc, qui abrite un marché moins développé et moins mature dans l'écosystème des jeunes entreprises innovantes, n’a pas été affecté de la même façon.

"Il n’y a pas eu cette bulle de valorisation, mais il y a malheureusement le côté négatif, à savoir des corrections. Les levées de fonds ont connu un ralentissement significatif concernant le secteur technologique en particulier. Cela s’explique par le double effet macro-inflationniste, en plus de l’effet retournement de la situation de surliquidité. Les investisseurs sont donc devenus beaucoup plus averses au risque dans un contexte de hausse des taux d’intérêt", poursuit la dirigeante de EmergingTech Ventures.

Pour l’industrie, cela a eu des côtés positifs comme négatifs. À l’échelle continentale, le Royaume a encore du chemin à parcourir. "Sur l’année 2022, 5 milliards de dollars ont été levés sur le continent africain, et le Maroc arrive en 15e position avec 30 millions de dollars levés. Nous sommes très loin, malgré le fait que nous soyons la 5e économie africaine", constate Meriem Zairi.

Cependant, ce n’est pas que négatif car, désormais, les valorisations marocaines sont devenues plus attractives que celles du reste du continent. "Cela a remis les actifs technologiques que nous avons au Maroc au goût du jour, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, car nous n’avons pas eu les valorisations qui ont gonflé au même titre que certains autres pays d’Afrique. De fait, les valorisations de nos startups n’ont pas connu la même correction que dans d’autres pays d’Afrique. Nos valorisations paraissent maintenant très raisonnables et, en tant que gestionnaire de fonds, nous appliquons déjà les principes d’investissement dans des bases économiques saines, avec une vraie vision de profitabilité et non de super scalabilité ou de super croissance. Il faut un rationnel économique derrière", explique-t-elle.

Le Maroc a donc une carte à jouer pour attirer des investisseurs dans le secteur. "La lumière a été mise sur le Maroc et un marché que l’on peut qualifier d’alternatif par rapport à des marchés très valorisés comme en Égypte ou au Nigeria. Nos valorisations très raisonnables permettent aux investisseurs d’envisager des retours de qualité. Mais cela reste encore timide, malgré la qualité des entrepreneurs et des talents", note notre interlocutrice.

"Cette année, il y a de plus en plus de financement. Nous demeurons un marché globalement contracyclique. Je pense qu’en 2023, nos chiffres seront meilleurs que l’an dernier, en tant que marché", explique Meriem Zairi. Toutefois, le secteur devra améliorer plusieurs choses pour le faire décoller et prendre une place à part entière dans l’économie.

Un cadre réglementaire plus présent et une massification des talents à mettre en place

De nombreux chantiers sont dans les tiroirs depuis plusieurs années maintenant. Ces faiblesses sectorielles persistent et font que l’écosystème peine fondamentalement à décoller.

"Il y a toujours des attentes de la part du secteur sur les sujets concernant le plafonnement de l’IR sur les salaires au taux de 20% libératoire ou encore l’instauration d’un crédit d’impôt. Mais je peux dire qu’il y a un intérêt grandissant autour de cette thématique. Les résultats se verront dans les 12-18 mois, et nous devrions voir des signaux forts pour positionner le marché technologique marocain", explique Meriem Zairi.

Un effort avait été observé sur la fiscalité de l’investissement il y a quelques années, où le plafond de la prise de participation ouvrant droit à la réduction d’impôt était passé de 200.000 DH à 1 million de DH. D’autres initiatives plus récentes sont également encourageantes pour le secteur. "Il y a de jolies avancées qui ont été récemment réalisées, notamment avec la nouvelle loi sur les OPCC, qui donne un cadre à des véhicules aux standards internationaux pour les fonds d’investissement. Mais il y a encore pas mal de travail à faire sur la fiscalité des fondateurs par exemple", rappelle Meriem Zairi.

La grande problématique réside dans la capacité de génération et de rétention des talents dans le secteur technologique. Le Maroc, même s’il est perçu comme une terre de talents, peine à les produire en masse et à les retenir, du fait de la compétitivité étrangère, s’apparentant à une véritable guerre. "Il faut massifier la production de talents. Nous sommes fortement concurrencés et nous n’en produisons pas assez. C’est la condition sine qua non pour assurer un décollage de l’écosystème. Améliorer cette production de talents permettrait d’attirer des locomotives Tech qui pourront elles-mêmes créer une dynamique positive en faisant monter le niveau de la scène nationale", explique Meriem Zairi.

L’une des autres priorités pour la Managing Director d’EmergingTech Ventures, c’est une meilleure structuration du cadre fiscal qui entoure le secteur, notamment pour permettre les levées à l’international. "Nous avons des talents Tech d’exception, que l’Afrique comme l’Europe nous envient. Nous n’avons pas les capacités de les retenir ni encore moins d’attirer ceux de la diaspora. Nous avons poussé quelques sujets majeurs. Notamment la possibilité pour les meilleurs entrepreneurs de pouvoir réaliser des levées à l’international. Il faut leur donner le cadre fiscal pour le faire, aujourd’hui, ce n’est pas possible. Il y a un vrai sujet qui bloque le financement et le développement des startups. La liquidité locale n’est pas suffisante. Une mixité des fonds serait une bonne chose", poursuit-elle.

L'accent doit également être mis sur un élargissement du cadre réglementaire permettant un plus grand développement des startups Tech et des secteurs d’activité dans lesquels elles opèrent. "Il faut créer des cadres favorisant l’innovation. Il faut rappeler que 50% des levées à l’échelle africaine concernent la Fintech et, sur les trois licornes africaines, deux auraient été illégales au Maroc, du fait de l’absence de cadre réglementaire pour opérer. Il faut créer de l’espace pour l’innovation et la technologie."

La directrice de fonds conclut qu'"il faut s’assurer que l’on joue avec les mêmes armes que les autres places pour conserver nos talents. Quand un entrepreneur vous dit que la fiscalité du travail est plus avantageuse en France, pays qui n’est pas connu pour être une terre de fiscalité clémente, il faut se poser des questions".

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