Attaques contre les produits agricoles marocains en Europe: les explications de la Comader et de l'ONSSA

Les produits agricoles marocains sont dans le collimateur des agriculteurs européens. Pour apaiser la révolte agricole qui gronde actuellement, l'Europe joue la carte du protectionnisme, notamment à travers le durcissement de la réglementation alimentaire. Le Maroc, de son côté, insiste sur la salubrité de ses produits, saisissant la justice espagnole au sujet des récentes attaques contre ses marchandises.

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Attaques contre les produits agricoles marocains en Europe: les explications de la Comader et de l'ONSSA

Le 3 mars 2024 à 13h41

Modifié 3 mars 2024 à 13h41

Les produits agricoles marocains sont dans le collimateur des agriculteurs européens. Pour apaiser la révolte agricole qui gronde actuellement, l'Europe joue la carte du protectionnisme, notamment à travers le durcissement de la réglementation alimentaire. Le Maroc, de son côté, insiste sur la salubrité de ses produits, saisissant la justice espagnole au sujet des récentes attaques contre ses marchandises.

La Comader a saisi la justice. Et le gouvernement a activé les canaux diplomatiques afin de protéger l’accès des produits agricoles marocains à l’Union européenne, selon le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas.

Nul ne peut contester la montée de l'hostilité inquiétante dont font l'objet les produits agricoles marocains en Europe. Ces derniers sont ciblés à différents niveaux. Les camions transportant les fruits et légumes marocains sont menacés, retardés, et parfois même attaqués et les marchandises détruites.

L’autre terrain sur lequel les produits marocains sont dénigrés est celui du "sanitaire" et de "la conformité". Cette action est couplée à une stigmatisation médiatique inédite, comme le décrit la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader), qui a annoncé porter plainte auprès des tribunaux espagnols en raison de l’hostilité croissante contre les produits agricoles marocains.

Le Maroc lié à tort à des pesticides classés cancérigènes probables

Des médias français ont trouvé le moyen, par exemple, de relier le Maroc  à l'usage d'un pesticide, qui vient d'être interdit en France. Il s'agit du thiaclopride, insecticide classé comme cancérigène probable et perturbateur endocrinien.

Or, l'Office national de la sécurité sanitaire et alimentaire (ONSSA), joint par nos soins, assure que l'agriculture marocaine n'utilise pas cet insecticide qui est interdit depuis le 26 mars 2021. "Avant cette interdiction, seulement deux produits contenant le thiaclopride étaient homologués au Maroc, et ces homologations ont été retirées depuis la date précitée", nous explique-t-on.

Cette affaire du thiaclopride intervient quelques jours seulement après que la France a décidé de suspendre, pendant un an, l'importation et la mise sur le marché de fruits et légumes frais provenant de pays tiers, et traités au thiaclopride.

Loin de concerner uniquement la France, le durcissement de la réglementation alimentaire est également perceptible à l'échelle de l'Union européenne. Entre le 17 janvier et le 6 février 2024, l'UE a procédé à pas moins de 9 mises à jour du règlement des limites maximales de résidus (LMR) de substances actives de plusieurs pesticides, tels que le cyflumétofène, l'oxathiapiprolin ou le pyraclostrobin pour ne citer que ceux-là.

Cette actualisation concerne, entre autres, le Maroc qui est lié à l'Union européenne par des accords de libre-échange. Les trois matières actives mentionnées ci-dessus figurent sur la liste des intrants chimiques homologués au Maroc par l'ONSSA. Ils concernent 14 produits pesticides à usage agricole.

La question de l'impact des mises à jour des LMR de produits phytopharmaceutiques en Europe, sur les utilisations au Maroc, s'impose inévitablement.

L’ONSSA explique à Médias24 que, dans le cadre de la veille sur les produits phytopharmaceutiques à l’international, l'Office évalue les nouvelles données sur les LMR afin de vérifier leur impact sur les produits agricoles marocains et procède, si nécessaire, à la révision des bonnes pratiques agricoles pour assurer le respect de la nouvelle limite.

Dans le cas où la révision concerne des produits phytopharmaceutiques non autorisés au Maroc, les mises à jour n'influent pas sur les utilisations au Maroc, précise l'ONSSA.

Le protectionnisme européen, partie immergée de l'iceberg ?

L'intervention récente de Nasser Bourita à l'occasion d'une rencontre bilatérale avec son homologue français, Stéphane Séjourné, laisse néanmoins penser que le sursaut européen pour la révision de la réglementation alimentaire ne relève pas de la sécurité sanitaire.

Nasser Bourita a en effet exprimé l'inquiétude du Maroc vis-à-vis de l'installation d'une certaine géopolitique de la peur et du rejet en Méditerranée.

Pour schématiser l'état d'esprit actuel, le ministre avance que, pour l'UE, "tout ce qui vient du sud de la Méditerranée est problématique. (...) Ce qui est encore plus dangereux, ce sont ces relents protectionnistes. On était dans l'humain, maintenant, on le voit avec les marchandises (...) et parfois même avec des raccourcis dangereux", a noté le ministre.

"Si je prends le problème de l'agriculture, qui est aujourd'hui posé sur la table, on s'attaque aux produits agricoles venant du Sud, mais on oublie deux choses. (...) L'Union européenne exporte plus vers le Maroc de produits agricoles, céréales et autres (...), avec un excédent de près de 600 millions d'euros. Donc, mettre la pression sur les produits du Sud n'est pas juste. Le libre-échange lui-même était une initiative européenne. Aujourd'hui, l'Union européenne réalise un excédent de 10 milliards d'euros avec le Maroc. Et donc, il faut rappeler ces chiffres pour dire que le libre-échange ne peut pas être à la carte", a-t-il plaidé.

Le commentaire du chef de la diplomatie soulève une question de fond. Ne serait-on pas face, après tout, à un protectionnisme pur et dur de la part des pays européens qui, pour empêcher les produits des pays tiers d'intégrer leur marché, cherchent à les décrier en durcissant les normes ?

Des problèmes internes européo-européens derrière les attaques contre les produits marocains (Rachid Benali)

Pour comprendre les coulisses de l'hostilité envers les marchandises agricoles marocaines, Médias24 a sollicité Rachid Benali, président de la Comader, pour un éclairage. Notre interlocuteur estime que la question est loin de se limiter à un conflit intra-agriculteurs. Selon lui, une motivation politique peut-être à l'origine des attaques contre les produits marocains.

"Il y a des problèmes internes euro-européens, entre les agriculteurs locaux et leurs gouvernements, sans oublier également les prochaines élections en Europe et l'installation de nouveaux gouvernements comme c'est le cas en France ou en Espagne. Ces problèmes internes font qu'il faut trouver un bouc émissaire. Il faut stigmatiser quelque chose. Le Maroc sert donc, parmi d'autres, un bouc émissaire, d'où les fausses allégations. Ils relient par exemple, à tort, le Maroc à des pesticides interdits à l'usage en Europe que le Maroc n'utilise plus", affirme Rachid Benali.

Le président de la Comader enchaine : "Les produits marocains sont attaqués pour deux raisons. Premièrement, on attribue le faible coût de revient des marchandises marocaines au fait que notre main d'œuvre est sous-payée. Ce qui est faux. Si l'on prend le cas de la tomate, la main d'œuvre n'est qu'une composante du prix de revient de la tomate, puisque d'autres éléments entrent en jeu, notamment la semence importée, qui coûte généralement cher, et les produits phytosanitaires que nous importons aussi. En outre, l'Europe ne recrute pas beaucoup d'agriculteurs. Au Maroc, 5 à 6 personnes sont mobilisées par exemple pour un hectare de tomates, alors que pour la même superficie, l'Europe ne fera appel qu'à deux agriculteurs".

"Deuxième raison, celle qui nous touche le plus, c'est la question des résidus de certains pesticides, pourtant interdits au Maroc. Nos produits sont contrôlés à la sortie du territoire marocain. Ils sont contrôlés à l'entrée de l'UE. En cas de problème, les autorités ont la possibilité de retourner la marchandise au Maroc et d'informer les agences de contrôle. Nous ne sommes pas réellement préoccupés par les 20 camions ciblés par les récentes attaques. Ce qui nous inquiète le plus, c'est notre image. On accuse nos produits et notre pays de non conformité et on remet en cause l'agriculture marocaine. Il fallait saisir la justice pour se défendre devant ces fausses allégations", ajoute-t-il.

"Ces allégations se répercuteront négativement sur nos exportations, si jamais ce genre de prétentions continue d'être propagé. C'est notre avenir. Nous avons investi beaucoup d'argent. L'agriculture au Maroc n'est pas la même en Europe. Au Maroc, la population rurale est estimée à 16 millions d'habitants dont 80% travaillent directement dans l'agriculture entre travailleurs et exploitants. Les produits exportés sont ceux qui emploient le plus de monde, en particulier la tomate et les fruits rouges. Nous craignons ainsi pour nos emplois et notre économie agricole. Les européens, avec qui nous avons de très bons accords, le savent très bien. Maintenant, nous avons un problème entre guillemets avec les agriculteurs, sauf que nous ne savons pas s'ils sont véritablement à l'origine de ce problème, derrière lequel, se cachent peut-être des mobiles politiques...", conclut le président de la Comader.

Le commerce extérieur des produits agricoles Maroc-UE en chiffres

Pourtant, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le commerce extérieur des produits agricoles bénéficie aux deux parties, au Maroc comme à l'Union européenne. À titre d'exemple, en 2023, les exportations agricoles de la France vers le Maroc étaient de l'ordre de 6,52 MMDH, alors que la valeur des exportations agricoles marocaines vers l'Hexagone atteignait 9,03 MMDH.

En 2023, la France a exporté vers le Maroc, pour ce qui est des légumes, des plantes, des racines et des tubercules alimentaires, l'équivalent de 29,19 MDH. Les importations marocaines de fruits comestibles, d'écorces d'agrumes et de melons depuis l'Hexagone, elles, ont atteint 8,83 MDH.

Quant aux exportations agricoles de l'Espagne à destination du Maroc, elles se chiffraient à 4,13 MMDH durant la même année, alors que les exportations marocaines vers l'Espagne étaient de 6,94 MMDH.

En 2023, les importations du Maroc depuis l'Espagne, des légumes, des plantes, des racines et des tubercules alimentaires étaient de l'ordre de 150,95 MDH. Les importations marocaines de fruits comestibles, d'écorces d'agrumes et de melons depuis l'Espagne, elles, ont atteint 120,06 MDH.
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