Nabil Ayouch : Le cinéma marocain est en train de vivre un momentum exceptionnel

ENTRETIEN. Après le palmarès historique du festival international du film de Marrakech qui a fait briller de jeunes réalisateurs marocains, Médias24 a sollicité leur aîné Nabil Ayouch qui parle d’un momentum inédit dans l’histoire du cinéma national. L'occasion d’aborder également la thématique de son nouveau film intitulé "Everybody Loves Touda" qui sortira dans les salles au Maroc au second semestre de l'année 2024.

Nabil Ayouch : Le cinéma marocain est en train de vivre un momentum exceptionnel

Le 17 décembre 2023 à 15h09

Modifié 17 décembre 2023 à 18h46

ENTRETIEN. Après le palmarès historique du festival international du film de Marrakech qui a fait briller de jeunes réalisateurs marocains, Médias24 a sollicité leur aîné Nabil Ayouch qui parle d’un momentum inédit dans l’histoire du cinéma national. L'occasion d’aborder également la thématique de son nouveau film intitulé "Everybody Loves Touda" qui sortira dans les salles au Maroc au second semestre de l'année 2024.

Médias24 : Que pensez-vous de la moisson inédite de prix marocains au festival International du Film de Marrakech ?

Nabil Ayouch : C’est une excellente nouvelle car c'est une grande première. On ne peut par conséquent que se réjouir de l’Etoile d'or et du prix du jury qui ont été décernés à des films marocains.

 -Un rapport avec la création des ateliers de l'Atlas en 2018 qui, selon certains, auraient permis de professionnaliser le festival de Marrakech ?

-Je ne pense pas que ces ateliers ont professionnalisé le festival parce que à la base, il était déjà professionnel mais il est indéniable que c'est l'une des grandes réussites de ce festival.

Depuis 5 ans, leur travail a commencé à porter ses fruits et il y a eu beaucoup de films marocains et de la région issus de ces ateliers qui ont été remarqués avant de se retrouver dans la programmation des plus grands festivals internationaux.

Cela veut dire que le travail remarquable qui a été initié aux ateliers de l’Atlas par toutes les équipes commence à donner des résultats probants en termes de qualité et de récompenses.

-Est-ce que l'on peut dire que le cinéma marocain ne s'est jamais aussi bien porté ?

-C'est effectivement une année exceptionnelle pour le cinéma marocain avec des choses qui n'étaient jamais arrivées auparavant.

J’en veux pour preuve les 4 films marocains qui ont été sélectionnés cette année au festival de Cannes dont deux dans la catégorie Un certain regard, un à la Quinzaine des cinéastes et un court métrage.

De plus, pour la première fois dans l’histoire de ce festival, un réalisateur ou une réalisatrice marocaine, en l’occurrence Maryam Touzani a été retenue pour faire partie du jury officiel du Festival de Cannes et remettre la palme d'or lors de l’édition 2023. C’est totalement inédit et donc un grand honneur pour le Maroc.

Sans compter le fait que d'autres films de la jeune génération qui sont arrivés dans le circuit laissent penser que nous sommes en train de vivre un momentum très favorable pour le cinéma marocain.

-Un confrère avisé affirme que si cette dynamique continue, il y aura bientôt plus de sorties annuelles de films marocains que de salles de cinéma au Maroc ?

-(Rires), je ne sais pas si cela sera le cas car nous produisons environ une vingtaine de long-métrages chaque année, et c'est déjà très bien pour un pays comme le Maroc, mais il est sûr que notre pays manque encore cruellement de salles.

 -Malgré les ouvertures croissantes ?

-Par rapport à la dynamique actuelle du cinéma marocain et à la population, on est encore loin du nombre nécessaire mais il est vrai que depuis six ans, la tendance est repartie à la hausse avec plusieurs exemples comme l'ouverture de salles à El Jadida, Tanger ou encore l’arrivée de Pathé à Casablanca. Et d’autres projets sont en cours.

Cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas vu ça et il faut féliciter tous les exploitants qui font preuve de courage en investissant dans ce domaine.

-Est-ce que le nombre actuel de salles est suffisant pour rentabiliser un film marocain ?

-Absolument pas, car contrairement aux productions étrangères qui arrivent à trouver leur compte à l'international, nous sommes encore très loin du seuil de rentabilité pour un film sur le territoire national.

Pour cela, il faudrait 300 voire 400 salles a minima.

 -10 fois plus de salles qu'actuellement ?

-Il faudrait en effet décupler le nombre de salles sur le territoire marocain pour satisfaire les besoins de la population et rentabiliser une production avec des recettes qui soient à la hauteur des ambitions pour un film marocain.

L'autre priorité serait d'élargir l’accès aux salles de cinéma, en mettant en place différentes catégories de salles qui proposent des tarifs abordables pour la majorité de la population marocaine qui ne peut pas se permettre d’acheter un billet à 50 ou 60 dirhams.

 -Quid de l'initiative du ministre de la Culture qui veut démocratiser l'accès au cinéma avec l'ouverture en 2024 de 150 salles accessibles à un tarif de 20 ou 30 dirhams ?

 -Je ne peux que m'en réjouir car, si ce projet arrive à voir le jour et qu’on arrive à avoir un vaste parc de salles dans lequel le cinéma marocain a une place privilégiée avec ses tickets d'entrée abordable, c'est forcément une bonne nouvelle pour notre secteur.

 -Comment le film de votre épouse Maryam Touzani, "Le bleu du caftan" est-il arrivé à réaliser 500.000 entrées à savoir un chiffre historique pour une production marocaine ?

 -Tout simplement grâce aux entrées cumulées dans le monde entier. C’est le plus gros succès en salles d’un film marocain dans le monde.

-Et dans les salles marocaines ?

-A peine 6.000 entrées car le ratio entre le potentiel d'un film et le nombre de salles sur le territoire national est encore beaucoup trop faible. Mais heureusement qu’il a brillé partout dans le monde et a pu réaliser des scores inédits à l’international pour un film marocain.

C'est une magnifique manière d'exister pour le cinéma marocain dans le monde parce que nous avons besoin d'exporter nos productions mais c'est aussi l’occasion de rappeler que nous avons besoin d'augmenter le nombre de salles au Maroc pour que tous les genres cinématographiques cohabitent, y compris un cinéma d’auteur exigeant.

 -Sachant qu’un film marocain ne peut être rentabilisé sans des sorties en salle à l'étranger, est-ce que cette obligation n’influe pas sur son contenu qui doit plaire à l’occident ?

 -En ce qui me concerne, jamais un partenaire étranger de mes films ne s’est permis d’intervenir dans mon processus de création ou de tenter de l’orienter. Je ne l’aurais de toute façon jamais accepté.

Je fais des films pour exprimer des choses importantes et fondamentales qui m'inspirent, me choquent ou me bouleversent et certainement pas en pensant aux attentes nationales ou internationales.

Après il est évident qu'aujourd'hui, la structure d'un film fait que dès son financement il y a des pays coproducteurs. Quand c'est le cas, un film peut se permettre de trouver une rentabilité en cumulant les recettes du territoire national, et le reste du monde. En cela, le secteur du cinéma obéit à des règles assez similaires que d’autres secteurs.

Mais cela n'a absolument rien à voir avec la démarche artistique qui est individuelle, voire intime, et qui ne vise pas un public en particulier, en tout cas en ce qui me concerne.

 -Justement, vous venez de finir le tournage de votre dixième film ?

-J’ai commencé à le tourner au mois de novembre 2022 et terminé au mois de mai dernier.

-“Everybody Loves Touda" est l'histoire de … ?

-...d'une jeune femme qui veut percer comme chikhate grâce à sa voix et son talent pour trouver une place dans le monde pour elle et son jeune enfant qui est sourd-muet et à qui elle doit trouver une école spécialisée.

Pour faire court, le film raconte le combat artistique de cette femme qui a un vrai amour pour l'art de la Aïta et qui se bat en même temps aussi pour offrir un avenir digne à son fils.

-Elle est inspirée d'un livre ou d'un fait réel ?

-Plutôt de rencontres avec des chikhates et d’une observation de ces personnages qui hantent tous mes films depuis Ali Zaoua.

Sachant qu’il y a souvent eu des chikhates qui ont traversé mes films précédents, je me suis toujours dit que j’allais en consacrer un à l’une d'entre elles.

Après en avoir rencontré plusieurs et assisté à leurs représentations lors d’évènements privés ou publics, je me suis intéressé de plus près à leur vie et de ces nombreuses rencontres est né ce film.

-C’est une thématique particulière ?

 -Particulière je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle est pleinement ancrée dans cette société marocaine qui me passionne terriblement.

-Pourquoi s’y intéresser ?

-Parce que ce sont des femmes qui m’inspirent et que les personnages féminins forts et puissants m’ont toujours intéressé.

Je trouve aussi passionnant de raconter d’un point de vue cinématographique, cette espèce d’ambivalence autour des chikhates qui sont à la fois honnies et adorées par le public.

Ces femmes sont porteuses d'un héritage extrêmement fort qui nous constitue en tant que Marocaines et Marocains.

Sachant que l’art de la Aïta fait partie de nos traditions depuis près de deux siècles, mon film a surtout pour désir de rendre hommage à ces femmes en remettant au goût du jour et en revalorisant cette tradition dont elles sont dépositaires.

 -C'est une coproduction internationale ?

 -J'ai en effet reçu une avance sur recettes de 5 millions de dirhams de la part du Centre cinématographique marocain et une contribution de plusieurs pays européens comme la Belgique, la France, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège. Ce qui fait du film une coproduction entre six pays.

-Pour avoir une avance sur recettes aussi importante, le script n'a posé aucun problème à la commission de sélection qui aurait pu censurer certaines parties ?

 -Aucun, car nous sommes heureusement loin des années où l’art "propre" était censé être la norme (rires).

C’est grâce au changement politique qui a permis de créer une ouverture et une bouffée d’oxygène mais il était temps.

Ceci étant dit, cinq millions n’est pas une somme exceptionnelle. Il est arrivé au CCM de donner des avances sur recettes de six millions et plus.

 -Une idée de votre prochain film ?

 -Sachant que je dois m’occuper de la sortie de “Everybody Loves Touda” qui est prévue au deuxième semestre de l’année prochaine et que je produis aussi le prochain film de mon épouse Maryam Touzani, je viens à peine de démarrer l’écriture de mon prochain film.

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