Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Ph. MAP

Au FIFM, le nouvel ordre narratif du cinéma marocain

Le 9 décembre 2023 à 11h59

Modifié 9 décembre 2023 à 14h09

Après les distinctions accordées à deux films marocains à cette 20e édition du Festival de Marrakech, voici le regard de Najib Refaif sur cette édition, cette consacrétion ainsi que sur l'évolution du cinéma marocain.

Au début du chapitre 13 de son roman Le Rouge et le Noir, Stendhal avait placé en épigraphe cette citation attribuée faussement à César Saint-Réal : "Un roman, c’est un miroir qu’on promène le long du chemin".

Cette métaphore visuelle définirait bien l’écriture cinématographique que Stendhal n’avait évidemment pas connue. On ne peut s’empêcher de rêver à ce qu’il en aurait fait s’il était né un siècle plus tard. Probablement un chef-d’œuvre. Sachant que la dizaine d’adaptations, au cinéma et à la télé, qui a été faite à partir de son célèbre roman n’a pas été, selon les critiques, une grande réussite.

Derrière la caméra, certains cinéastes savent promener leur "miroir" en maîtrisant la marche de la narration et le fil du récit sans jamais se perdre en route. D’autres s’égarent et, avec eux, les spectateurs devant leur écran-miroir. Longtemps on a fait ce reproche au cinéma marocain dont l’histoire est certes assez courte (une cinquantaine d’années) et la filmographie à l’avenant.

En 1980, le 1er festival national du film fut un événément national

Si la naissance du premier long métrage marocain date de la fin des années 60, le premier festival national du film remonte au début des années 80. Il aura donc fallu plus de vingt ans pour avoir de quoi organiser une rencontre et accumuler suffisamment de films afin de les présenter dans la petite salle du 7ème Art à Rabat. Ce fut un événement culturel national. Il sera suivi, cahin-caha, par d’autres éditions itinérantes, intermittentes et sans domicile fixe avant de se fixer à Tanger. Mais depuis une vingtaine d’années, le rythme de la production, galvanisé par l’avance sur recette s’est accéléré, et le nombre de films qui allaient voir le jour a augmenté ainsi que, ipso facto, celui des cinéastes. Organisée par le Centre cinématographique marocain, cette rencontre annuelle est désormais l’occasion de faire le bilan des productions et prendre le pouls de notre cinéma.

Quantitativement, il se porte relativement bien, en comparaison avec ce qui se produit dans le monde arabe et en Afrique. Qualitativement, c’est selon l’arrivage, comme disent les restaurateurs. Depuis peu cependant, il y a quelques films qui ont pu glaner des prix dans certains festivals internationaux ou reçu un bon accueil par la critique spécialisée.

A Marrakech, ce fut un triomphe

Mais depuis plus d’une vingtaine d’années, un autre festival d’envergure internationale, celui-là, va marquer l’histoire du cinéma dans notre pays. Il s’agit du Festival international du Film de Marrakech crée en 2001 et dont la 20ème édition s’est achevée samedi dernier 2 décembre 2023. Pour la première fois, ce festival va enregistrer la participation de deux films marocains en compétition. Fait rare en effet, et pour un premier essai, ce fut un triomphe, car les deux productions ont été primées.

Mieux encore, les deux lauréats en sont à leur premier long métrage : une fiction et un documentaire qui ne dit pas son nom, d’où à la fois son originalité et son effet surprise. Il s’agit du film Les Meutes de Kamal Lazrak et de The Mother of All lies (la mère de tous les mensonges) de Asmae El Moudir. La présence de ces deux films parmi une myriades de productions sélectionnées par les organisateurs du festival ne relève ni du hasard, ni de la complaisance envers une participation locale. Leur sélection a été déjà précédée par leur consécration dans de grands festivals internationaux et surtout par un accueil très laudateur de la part des médias spécialisés.

Adil El Fadili présente une belle fresque aux accents felliniens à la fois sombre et féérique

Un autre film, d’un autre jeune réalisateur qui en est également à son premier long métrage, aurait pu figurer au palmarès du festival s’il était sélectionné. C’est Mon père n’est pas mort que Adil El Fadili a présenté dans la session "Panorama du cinéma marocain". Cette belle fresque aux accents felliniens à la fois sombre et féérique revient sur une période de l’histoire contemporaine du pays--les années 70, dites de plomb--reconstituée dans l’univers échevelé d’une fête foraine. Mais pour se consoler, Adil El Fadili a déjà récolté une moisson de prix, bien méritée, lors du dernier Festival national du film à Tanger.

Il aura fallu donc près de 25 ans, soit une génération démographique, pour assister à une consécration du cinéma marocain. Si, comme disait Tocqueville : "chaque génération est un nouveau peuple", celle qui a mis en avant le cinéma marocain après un demi-siècle d’apprentissage a apporté un nouveau regard sur le pays et ses gens tout en esquissant l’écriture d’un fragment du récit national. Certes, trois films ne font pas le printemps d’un cinéma qui est à la recherche d’un deuxième souffle ou d’un nouvel ordre narratif. Les pionniers du 7ème art au Maroc, dont le contingent formé à Paris à l’IDHEC (ancêtre de la FEMIS) au début des années 60, ont posé les premiers jalons.

A ce rythme, le pays va bientôt compter plus de films produits que de salles pour les y projeter

D’autres cinéastes, diplômés d’écoles de cinéma ou formés sur le tas ou à a télé, essaient avec plus ou moins de réussite de porter un art au niveau des attentes d’un public exigeant et en dépit d’une carence dramatique d’écrans. Car un des paradoxes du cinéma marocain, et il n’est ni le seul, ni le moindre, c’est que le pays va bientôt compter plus de films produits que de salles pour les y projeter. Mais cela est une autre histoire, à moins qu’elle ne soit la même… Quant à l’autre histoire, celle que le film authentique se doit de bien raconter pour atteindre son public, c’est une histoire écrite et filmée à hauteur d’homme, et qu’il réclame et qui lui fait du bien. C’est tout un art, un art ancien. L’art de raconter.

"Tu me réclames une histoire ! Je vais t’en raconter une, à cette heure où le crépuscule peut nous donner envie de voir quelque chose de brillant et de multicolore s’agiter devant nos yeux qu’attriste la grisaille du soir", écrivait Stefan Zweig dans Conte crépusculaire.

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