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Femmes victimes de violence : analyses et données inédites, propositions de réforme

DOCUMENT MEDIAS24. De la plainte au procès, voici les étapes par lesquelles passent les victimes de violence qui, dans la pratique, font face à de nombreux obstacles. Chiffres, data et propositions.

Femmes victimes de violence : analyses et données inédites, propositions de réforme

Le 30 novembre 2023 à 16h04

Modifié 30 novembre 2023 à 16h30

DOCUMENT MEDIAS24. De la plainte au procès, voici les étapes par lesquelles passent les victimes de violence qui, dans la pratique, font face à de nombreux obstacles. Chiffres, data et propositions.

Alors que le nombre de violences faites aux femmes augmente selon les derniers chiffres des institutions publiques, l’insuffisance des moyens de lutte mis en place se confirme. Les dispositions de la loi 103-13 relative aux violences faites aux femmes ne permettent pas de répondre aux besoins de ces victimes dont le parcours, pour faire valoir leurs droits, s’avère plus difficile que sur le plan purement théorique.

Porter plainte, obtenir un certificat médical, se protéger des représailles ; le tout en passant d’une institution à l’autre… Comment se déroule le chemin pénal que doivent emprunter les victimes de violence ? Faut-il lier les mesures de protection aux procédures civiles ? Comment la société civile propose-t-elle de réformer le parcours des victimes de violences ? Voici les réponses de Stéphanie Bordat, co-fondatrice de l’association MRA (Mobilising for Rights Associates), accompagnées des éléments chiffrés recueillis par Médias24 et révélés par les institutions nationales.

Selon les données recueillies par nos soins sur le portail du ministère de la Justice mahakim.ma, 4.700 dossiers portant sur les violences faites aux femmes  ont été ouverts dans les tribunaux de première instance du Royaume, en 2022. Seuls 1.074 ont fait l’objet d’un jugement définitifs durant la même année.

Selon les chiffres dévoilés par la DGSN, les services chargés du traitement des affaires de violences contre les femmes, ont enregistré plus de 61.000 dossiers portant sur toutes les formes de violence qui ont été enregistrées en 2021 (chiffres arrêtés au 25 novembre de la même année), dont  41% relèvent de violences physiques, 26% de violences psychiques et 4% de violences sexuelles.

Les derniers chiffres publiés dans le rapport annuel 2021 de la présidence du ministère public montrent une évolution du nombre de crimes contre les femmes entre 2019 et 2021. Une légère baisse a été enregistrée en 2020, mais elle peut être expliquée par la période de confinement qui a marquée cette année de pandémie.

Preuve en est, l’importante hausse enregistrée l’année suivante. Une hausse inquiétante mais dont il est possible de tirer deux points positifs : la libération de la parole et l’implication des autorités concernées. Une implication qui reste insuffisante selon les acteurs associatifs qui accompagnent les victimes de violence. Et ce, en raison des embûches auxquelles se confrontent ces victimes durant le parcours qu’elles empruntent pour faire valoir leurs droits.

 

Des femmes battues face au parcours du combattant

Selon la co-fondatrice de l’association MRA, chevronnée dans l’accompagnement des victimes de violence, la première étape est de s’adresser aux cellules dédiées aux violences faites aux femmes qui se trouvent dans les postes de police et les tribunaux. Celles-ci les dirigent vers le médecin en charge de la cellule dans un hôpital déterminé qui va constater les blessures et estimer la période d’incapacité qui résulte de la violence. Le tout sera consigné dans un certificat médical. 

La victime de violence peut se diriger directement à l’hôpital pour obtenir un certificat médical avant de recourir aux forces de l’ordre ou saisir la justice.

"Il y a beaucoup de femmes, et pour de nombreuses raisons, qui ne veulent pas saisir le système pénal ; elles veulent juste obtenir des soins médicaux sans aller plus loin", explique Stéphanie Bordat. 

Ensuite, la victime devra élaborer une plainte écrite, qu’elle devra rédiger elle-même ou avec l’aide d’une association et joindre au certificat médical. À ce moment-là, deux cas de figure se présentent à elle : déposer le dossier auprès du procureur qui se chargera de la transmettre à la police ou aux gendarmes, ou auprès du commissariat de police qui transmettra les éléments au procureur. 

Or, selon notre interlocutrice, "les femmes se retrouvent, dans le premier cas, dans l’obligation de transmettre elles-mêmes leur dossier du représentant du parquet à la police. Et ce, pour accélérer le processus".

Dans le second cas aussi elles font face à des obstacles. "Les agents de police hésitent à prendre la plainte sans directive du procureur." Selon Stéphanie Bordat, "ce n’est pas par manque de sérieux ou de volonté de faire leur travail que les policiers ou les gendarmes hésitent à prendre la plainte, mais plutôt à cause des défaillances dans les lois actuelles, qui manquent de clarté et ne définissent pas les pouvoirs d’agir de chacun. De plus, il y a un manque de ressources à prendre en compte".

"La loi 103-13 ne contient pas d’orientations quant aux signalements, aux enquêtes et aux procédures", regrette notre interlocutrice. 

"Très peu de cas arrivent au stade du procès"

La militante explique que lorsque la plainte est enregistrée et transmise aux services concernés, une enquête est enclenchée, à la suite de laquelle un rapport est établi par la police qui le transmet au procureur. C’est ce dernier qui décide de lancer, ou pas, des poursuites à l’encontre de l’auteur présumé des actes de violences. S’ensuit alors la phase d’instruction, durant laquelle la victime est convoquée par le juge d’instruction et à l’issue de laquelle le dossier est transmis, ou non, au juge de fond, précisément au tribunal compétent (en fonction de la gravité de l’infraction : délit ou crime). 

Mais selon Stéphanie Bordat, "très peu de cas parviennent à ce stade du procès". Pis, elle cite “les chiffres du Haut commissariat au plan, selon lesquels seuls 10,5% des victimes de violences déposent une plainte".

Elle indique que selon les études menées par l’association, "plusieurs obstacles et barrières empêchent les femmes de signaler les violences dont elles sont victimes. Elles ont notamment peur des représailles, d’autant que la loi n’offre pas du tout de protection". 

"Des mesures de protection existaient déjà avant la loi 103-13. Son entrée en vigueur a permis d’en ajouter quelques-unes mais elles restent insuffisantes car elles ne fonctionnent pas. À l’instar de l’ordonnance d’éloignement, ces mesures ne sont activables que suite à une plainte pénale et il faut attendre l’étape des poursuites ou celle du procès pour qu’elles soient mises en œuvre. Durant toutes les phases qui précèdent, les victimes ne sont pas du tout protégées. Les mesures de protection, telles que prévues par les lois actuelles, arrivent beaucoup trop tard dans le processus", déplore-t-elle. 

De plus, elle regrette le caractère facultatif de ces mesures. "C’est justement parce qu’elles ne sont pas obligatoires et qu’elles manquent de clarté qu’elles sont difficiles à appliquer", explique-t-elle.   

Les mesures de protection : vers le civil au lieu du pénal

Stéphanie Bordat explique que ce qui est demandé par les acteurs associatifs "depuis des décennies de plaidoiries, c’est d’instaurer des mesures de protection qui ne soient pas liées au système pénal mais plutôt au juge de la famille et donc au civil. Elles demandent aussi qu’elles soient délivrées immédiatement à la victime, à l’instar de ce qui a été mis en place en Tunisie en 2017, soit un an avant la réforme marocaine".

Concernant la faiblesse, voire l’absence de prise en charge des victimes dans des centres d’hébergement, Stéphanie Bordat explique que cette prise en charge ne doit pas être réclamée comme un processus automatique mais plutôt comme une mesure exceptionnelle, car "ce n’est pas à la victime de se cacher, de fuir ou de quitter le foyer, mais plutôt à son agresseur".

Enfin, même si le parcours de la victime dure dans le temps, surtout si elle va jusqu’au bout de la chaîne, Stéphanie Bordat estime qu’il n’est plus bénéfique de militer pour la réduction du temps de traitement de ces affaires car cela risque d’aboutir à "des conséquences non souhaitables". Pour elle, les "procédures accélérées" peuvent être synonyme de travail bâclé et non approfondi. 

Dans tous les cas, elle affirme qu’il n’existe pas de tendances claires quant à la durée des procès portant sur les violences faites aux femmes car plusieurs facteurs entrent en jeu : s’agit-il d’un délit ou d’un crime ? Le tribunal a-t-il ordonné des expertises ? Les témoins convoqués se sont-ils rendus à l’audience ? Les avocats ont-ils demandé des reports ? Tous ces éléments entrent en jeu dans la prolongation de la durée d’un procès. 

Enfin, elle appelle à la décriminalisation des relations sexuelles en dehors du mariage car cette interdiction constitue un énorme obstacle à la signalisation des violences. "Plusieurs femmes ne signalent pas car les violences sont exercées par leurs partenaires avec lesquels elles ne sont pas mariées. Elles ont donc peur d’activer la voie pénale et d’être elles-mêmes considérées comme délinquantes et non pas victimes", conclut-elle.

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