Gilbert Achcar : “À Gaza, le pire est à craindre”

Médias24 a rencontré, à Marrakech, Gilbert Achcar, professeur franco-libanais de relations internationales à la School of Oriental and African Studies à l’Université de Londres. L’universitaire nous a livré sa lecture de l'escalade meurtrière dans la bande de Gaza, à la lumière des récentes évolutions.

Gilbert Achcar : “À Gaza, le pire est à craindre”

Le 17 octobre 2023 à 15h07

Modifié le 17 octobre 2023 à 15h32

Médias24 a rencontré, à Marrakech, Gilbert Achcar, professeur franco-libanais de relations internationales à la School of Oriental and African Studies à l’Université de Londres. L’universitaire nous a livré sa lecture de l'escalade meurtrière dans la bande de Gaza, à la lumière des récentes évolutions.

Les violences ont rarement atteint un tel niveau d’intensité dans la bande de Gaza : un siège complet, des bombardements intensifs, des coupures des fournitures en eau, en électricité, en médicaments et en vivres, et un déplacement massif de la population gazaouie vers le Sud. La riposte, que rien ne semble pouvoir arrêter, rend difficile tout pronostic quant à l’évolution de la situation dans les prochains jours ou les prochaines semaines.

Médias24 a rencontré Gilbert Achcar, professeur franco-libanais de relations internationales à la School of Oriental and African Studies à l’Université de Londres, en marge du contre-sommet des mouvements sociaux tenu à Marrakech entre le 12 et le 15 octobre. L’universitaire nous a livré sa lecture de l'escalade meurtrière dans la bande de Gaza, à la lumière des récentes évolutions.

Médias24. Quelle est votre lecture de la situation actuelle dans la bande de Gaza ?

Gilbert Achcar. Je crois que ce qui est en train de se passer est extrêmement grave, et que le peuple palestinien fait face aujourd’hui au risque d’un massacre, et d’une action d’une violence telle qu’elle pourrait dépasser tout ce que le peuple palestinien a connu jusqu’ici depuis la Nakba de 1948.

On est face à un gouvernement d’unité nationale, certes, mais dans lequel l'extrême droite est dominante. On a un ministre de la Défense qui traite les Palestiniens d’animaux ; et on a une société israélienne qui est complètement mobilisée parce qu’on a présenté ce qui s’est passé comme le comble de l’horreur, en oubliant d’évoquer tous les civils palestiniens qui ont été tués en un nombre incomparablement plus élevé.

Le pire est donc à craindre, c'est-à-dire une destruction massive de Gaza, un massacre de très grande ampleur. On compte plus de 2. 000 morts déjà, et il y en aura beaucoup plus, parce l’offensive n’a pas encore réellement commencé. Et je n’exclus pas, connaissant le gouvernement actuel, qu’il y ait une volonté d’épuration ethnique, donc une nouvelle Nakba, une expulsion d’une grande partie de la population de Gaza vers la frontière égyptienne, voire le territoire égyptien.

- Pensez-vous qu’il pourrait y avoir des projets expansionnistes au-delà de Gaza ?

- Non, pas au-delà, mais je crois qu'Israël veut prendre le contrôle total sur Gaza. Après, pour faire quoi ? C’est difficile à dire. Mais une chose est claire, c’est qu’ils ont un objectif : éradiquer le Hamas. Cela suppose qu’il y aura une énorme destruction. Est-ce qu’ils voudront prendre le contrôle de la bande de Gaza, et reconstruire des colonies de peuplement comme c’était le cas avant le retrait des Israéliens en 2005 ? C’est tout à fait possible. Je dirais même, connaissant encore une fois l’extrême droite au pouvoir en Israël, que c’est probable.

Sinon le scénario alternatif, qui dépend des rapports de force et des pressions mondiales, ce serait qu’ils installent un gouvernement peut-être lié à l’autorité de Mahmoud Abbas à Gaza, et qui serait sous tutelle israélienne directe.

Mais je pense qu’ils ne feront pas moins que ça, car, s’ils font moins que ça, ce sera considéré comme une défaite pour eux. Or, malheureusement, les Israéliens sont vraiment décidés à utiliser à fond leur force destructrice, qui est immense par rapport à celle des Palestiniens.

- Comment expliquez-vous l’échec des services de renseignement israéliens, qui ont été incapables de prévenir l'assaut du Hamas ?

- Je ne suis pas un spécialiste des services de renseignement israéliens. Mais ce qui a été dit, c’est qu’ils avaient leur attention concentrée sur ce qui se passait avec les nouveaux groupes de jeunes qui mènent un combat de résistance en Cisjordanie, en pensant que le Hamas était dans une situation de coexistence pacifique avec eux. Le Hamas a fait croire cela. En même temps, les Israéliens reconnaissent eux-mêmes une faillite et un échec grave de leur agence de renseignement, le Mossad, qui n’a pas vu venir la chose, alors que ça s’est passé sous leur nez à Gaza. Et on se demande comment des gens peuvent s'entraîner au deltaplane sans être vus. C’est aberrant !

Mais, en tout cas, ils vont se servir de ce qui s’est passé pour faire des choses terribles, de même que les Etats-Unis se sont servis du 11-Septembre comme prétexte pour lancer une guerre après l’autre, et surtout pour l’occupation de l’Irak, qui a eu un coût humain extrêmement élevé.

- La défaillance du renseignement israélien, qui ne peut plus prétendre garantir la sécurité de ses citoyens, et l’escalade de violence meurtrière dans la bande de Gaza ne risquent-il pas d’affaiblir l’image de Benjamin Netanyahu auprès de l’opinion publique israélienne ?

- En effet, c’est possible. Mais en même temps, c’est une faillite des institutions israéliennes… et il y a un consensus israélien autour de l’institution militaire. Donc, faire porter à Netanyahu la responsabilité de ce qui s’est passé, ça ne sera pas très convaincant. Et je ne suis pas sûr que l’opposition à Netanyahu ait vraiment envie de lui faire porter ça. D’autant plus qu’on sait que dans le mouvement de contestation de Netanyahu, il y a beaucoup de militaires. Il s’agit donc d’un échec des institutions : du renseignement, de l’armée.

Là, pour le moment, ils ont créé un gouvernement d’union sacrée qui a déclaré la guerre. Cela signifie qu’ils veulent saisir l’occasion pour faire quelque chose qu’ils auraient voulu faire depuis longtemps à Gaza.

Et puis, je suis persuadé que cette extrême droite rumine et attend le moment propice pour faire la même chose également en Cisjordanie, et continuer la Nakba de manière à s’emparer totalement du territoire palestinien entre la Méditerranée et le Jourdain.

- Dans cette escalade meurtrière, quels pourraient être les leviers diplomatiques de pacification – du moins de façon momentanée –, s’il devait y en avoir ?

- Quand une puissance occupante telle que Israël coupe les vivres, l’eau et l’électricité, et met des hôpitaux à l’arrêt pour les deux ou deux millions et demi de personnes, c’est un crime de guerre immense, qui prépare à un crime contre l’humanité. Je ne pense pas du tout que les Israéliens vont prendre des gants et jouer aux humanitaires.

Les Etats-Unis essayent de leur demander d’épargner les civils, mais comment pouvez-vous attaquer des concentrations populaires comme celles de Gaza, qui connaît l’une des plus fortes densités de peuplement au monde, sans tuer un grand nombre de civils ?

Les Etats arabes qui ont des relations avec Israël vont se trouver dans l'embarras, car ce qui va se passer risque d’enflammer les populations du monde arabe. Les Egyptiens vont essayer de jouer un rôle d’intermédiaire, et les Qataris vont proposer leur médiation pour libérer les femmes otages et les femmes prisonnières dans les prisons israéliennes, mais je crois que les Israéliens ne sont vraiment pas du tout dans une logique de compromis ou de désescalade. Le pire est à craindre.

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