L'idée d’octroi de la nationalité aux étrangers mariés à des Marocaines, entre hostilité et scepticisme

Le ministre de la Justice fait encore une fois les gros titres avec un avant-projet de loi qui accorde au conjoint étranger le droit d’acquérir la nationalité par le mariage avec une citoyenne marocaine. Le traitement médiatique a laissé croire qu’il s’agit d’un texte dont l’adoption est imminente.  Hostilité et scepticisme

L'idée d’octroi de la nationalité aux étrangers mariés à des Marocaines, entre hostilité et scepticisme

Le 18 septembre 2023 à 17h11

Modifié 19 septembre 2023 à 12h56

Le ministre de la Justice fait encore une fois les gros titres avec un avant-projet de loi qui accorde au conjoint étranger le droit d’acquérir la nationalité par le mariage avec une citoyenne marocaine. Le traitement médiatique a laissé croire qu’il s’agit d’un texte dont l’adoption est imminente.  Hostilité et scepticisme

Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a déclaré que son ministère a présenté un projet de loi n° 019.13 modifiant l’article 10 du Code de la nationalité, qui prévoit l’octroi de la nationalité marocaine au ressortissant étranger marié à une citoyenne marocaine, peut-on lire sur le site officiel du Parti de l’authenticité et de la modernité (PAM). Cette déclaration a été faite au parlement, dans le cadre des réponses aux questions écrites, puis reprise deux jours plus tard le vendredi 7 septembre 2023, sur le site du parti de M. Ouahbi, le PAM.

Cette déclaration du ministre de la Justice intervient en réponse à une question écrite posée par le chef du parti du Mouvement populaire (MP), Driss Sentissi, en date du 27 juillet 2023. Contacté par Médias24 pour situer le contexte de cette déclaration, celui-ci nous explique que son groupe parlementaire a été le premier à avoir impulsé le débat sur la question de la "non-discrimination quant à la naturalisation".

Pour rappel, l’article 10 du Code de la nationalité dispose que seule "la femme étrangère qui a épousé un Marocain peut, après une résidence habituelle et régulière au Maroc du ménage depuis cinq ans au moins, souscrire, pendant la relation conjugale, une déclaration adressée au ministre de la Justice, en vue d’acquérir la nationalité marocaine".

"En cours d’approbation par le gouvernement"

"En 2022, nous avons déposé une proposition de loi pour l’octroi de la nationalité marocaine au ressortissant étranger marié à une citoyenne marocaine. Nous avons ensuite posé la question au ministre de la Justice pour avoir une idée de l’état d’avancement de cette proposition. C’est dans ce contexte qu’il a répondu, évoquant un projet de loi élaboré par son ministère", précise Driss Sentissi. Une proposition de loi est déposée au parlement par un ou des parlementaires. Un projet de loi est déposé au parlement par le gouvernement, après avoir été adopté en conseil de gouvernement. Le parcours législatif d'un projet de loi est généralement beaucoup plus rapide. Une proposition déposée par un parlementaire peut rester indéfiniment dans les tiroirs.

Dans la réponse écrite du ministre de la Justice, consultée par Médias24, il est indiqué que "l’octroi de la nationalité marocaine au conjoint étranger marié à une citoyenne marocaine est un aspect de l’égalité des sexes en matière de droits humains, et une véritable incarnation de l’Etat de droit".

Par ailleurs, il est précisé que le ministère de la Justice est conscient de "l’importance majeure de cette question, et s’efforce de suivre les évolutions politiques, sociales et culturelles liées aux droits humains, aux valeurs de la société moderne et au respect des exigences constitutionnelles visant à promouvoir l’égalité et à lutter contre la discrimination".

Autre détail important dans la réponse écrite du ministre de la Justice : le projet de loi est "en cours d’approbation au Conseil de gouvernement". Le texte en question est donc un avant-projet ou un draft, et non pas un projet de loi.

Un projet de loi aux contours flous

En effet, on parle de projet de loi lorsque le texte est soumis, par le ministère qui l’a élaboré, au Secrétariat général du gouvernement pour vérification de fond et de forme. L’avant-projet est ensuite étudié par le Conseil de gouvernement.

Ce n’est qu’une fois adopté par le Conseil que l’on peut parler de projet de loi. Ce dernier est ensuite soumis à l’une des deux chambres du Parlement, puis renvoyé vers le SGG après adoption pour publication au Bulletin officiel.

À en croire l’article publié sur le site officiel du PAM, et le traitement médiatique qui en a été fait, il s’agit d’un projet de loi bien ficelé et dont l’approbation est imminente. Or à ce stade, l’avant-projet de loi en question est, dans le meilleur des cas, en phase d’élaboration. Il s’agit d’un draft ou avant-projet de loi et, à ce stade, la visibilité quant à son adoption est réduite.

Incertitude et désintérêt des avocats

Du côté des avocats joints par Médias24, le scepticisme règne autour de l’existence même de cet avant-projet de loi. "C’est un coup de communication", "une autre déclaration ambitieuse qui tombera dans l’oubli"... Ce sont les propos de nos interlocuteurs, qui manifestent leur désintérêt à l’égard de cet avant-projet de loi "tant qu’il ne prend pas forme".

Ces mêmes interlocuteurs refusent de se prononcer sur le sujet tant qu’ils n’auront pas l’avant-projet sous les yeux ; lequel est introuvable à l’heure où nous publions cet article, non seulement sur les sites officiels mais aussi auprès des parlementaires et acteurs juridiques contactés.

Une flopée de commentaires dégradants

Toujours est-il que ce texte ne laisse pas indifférent sur les réseaux sociaux. Des propos sexistes, racistes et d’ordre religieux ont font le tour de la toile dès que l’information sur ce projet de loi − qui doit mettre fin à la discrimination quant à l’octroi de la nationalité marocaine − a été relayée sur les réseaux sociaux.

"C’est une décision néfaste pour le Royaume", "le prestige du Maroc est en danger", "le ministre de la Justice est en train de souiller notre identité nationale"... sans compter les nombreux commentaires impubliables.

Des commentaires qui déstabilisent par leur abondance et leur agressivité, alors même que le texte n’est qu’en phase d’élaboration.

"On confond malheureusement religion, identité et nationalité ; c’est de l’ignorance. C’est paradoxal également car beaucoup de Marocains qui sont derrière ces commentaires ont soif de nationalité occidentale", souligne auprès de notre rédaction la sociologue Soumaya Naamane Guessous.

"Nous sommes en train de parler de documents d’identité qui peuvent faciliter la vie à des hommes mariés à des Marocaines", ajoute-t-elle. Elle attire aussi notre attention sur les obstacles auxquels font face les ressortissants étrangers. "Car derrière la privation de nationalité, les couples mixtes connaissent un certain nombre de tracas :

- les époux non nationaux sont tenus de renouveler leur carte de séjour chaque six mois ou un an, la démarche est fastidieuse et nécessite beaucoup de déplacements ;

- ils ne peuvent pas travailler partout, dès lors qu’ils sont considérés comme étrangers ;

- ils n’héritent pas des terres agricoles de leurs épouses."

"Cela me paraît donc légitime et pratique d’accorder ces facilités qui n’ont rien à voir ni avec la religion ni avec l’identité marocaine. Ce n’est pas seulement par pure fantaisie que l’on désire obtenir la nationalité, mais aussi par commodité. De plus, ce serait conforme aux engagements législatifs et aux conventions internationales auxquelles adhère le Maroc".

Une procédure rare et très encadrée

La naturalisation, ou l’octroi de la nationalité à une personne qui ne la possède pas en raison de sa naissance, n’est pas une procédure simple au Maroc.

"La nationalité marocaine n’est pas donnée à n’importe qui, et les procédures sont lentes et bien encadrées. Nous nous dirigeons vers un durcissement plutôt que vers un élargissement du spectre de l’octroi de la nationalité", nous explique un avocat sous couvert d’anonymat.

Concernant le durcissement des procédures, rappelons qu’en janvier 2023, la Chambre des représentants a adopté à l’unanimité la proposition de loi complétant l’article 11 du dahir n° 1.58.250 portant Code de la nationalité marocaine, qui énonce que "la connaissance adéquate des langues arabe et amazighe, ou de l’une d’entre elles", constitue l’une des conditions de naturalisation exigées par le dahir.

La procédure actuelle de naturalisation se fait via le mariage 

Actuellement, la femme étrangère qui a épousé un Marocain peut, après une résidence habituelle et régulière au Maroc du ménage depuis cinq ans au moins, acquérir la nationalité marocaine.

La femme étrangère doit adresser une déclaration au ministre de la Justice. Le dossier complet doit être déposé auprès du Tribunal de première instance, lequel est envoyé au ministère de la Justice pour étude. Ensuite, le service des Affaires civiles entame une vérification des pièces remises en confrontant les pièces fournies.

L’enquête porte essentiellement sur le comportement du déclarant, sa réputation au sein de son environnement, ses fréquentations, ses moyens financiers le cas échéant. Le ministre de la Justice statue sur la déclaration dans un délai d’un an à compter du jour où cette déclaration a pris date. Si les conditions légales sont remplies, le ministre de la Justice peut statuer sur la recevabilité de la déclaration, comme il peut décider d'y faire opposition.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

Alliances: Résultats au 31 décembre 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.