Passe d’armes entre l’administration pénitentiaire et le Club des magistrats sur le surpeuplement des prisons

Le Club des magistrats a réagi au dernier communiqué de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, qui a pris l’opinion publique à témoin concernant le surpeuplement des prisons au Maroc. 

Passe d’armes entre l’administration pénitentiaire et le Club des magistrats sur le surpeuplement des prisons

Le 13 août 2023 à 16h24

Modifié 13 août 2023 à 18h36

Le Club des magistrats a réagi au dernier communiqué de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, qui a pris l’opinion publique à témoin concernant le surpeuplement des prisons au Maroc. 

Le communiqué inhabituel et surprenant de l’Administration pénitentiaire, diffusé lundi 7 août, aura au moins eu le mérite de susciter le débat, malgré la torpeur de cet été caniculaire. Le Club des magistrats a un peu pris la mouche et a réagi par voie de déclaration transmise à la presse concernant un passage qu’elle rejette. Surtout, les magistrats entrent dans le vif du débat et donnent quelques éléments d’analyse concernant la problématique soulevée par l’administration pénitentiaire. Le nombre de détenus vient en effet de dépasser la barre des 100.000, soit 60% de plus que la capacité des établissements pénitentiaires.

Les magistrats du Club voient dans le communiqué de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) une tentative d’influencer les décisions d’arrestations qui pourraient être prises à l’avenir. Un argument rejeté par la DGAPR qui affirme plutôt appeler les départements concernés ainsi que le pouvoir judiciaire à œuvrer pour trouver des solutions, et non pas les magistrats.

"Il est prévu que la population carcérale continue d’augmenter à l’avenir si les arrestations se poursuivent au rythme actuel et si des mesures nécessaires et urgentes ne sont pas prises pour remédier à la situation", constatait la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion.

Exprimant sa profonde inquiétude quant à cette "augmentation spectaculaire", la délégation générale demandait en outre aux autorités judiciaires et administratives d’accélérer la recherche de solutions adéquates pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale.

Une incitation anticonstitutionnelle, d’après le Club des magistrats  

Le Club des magistrats répond ceci dans un communiqué publié ce mardi 8 août : "Étant donné que la responsabilité de l’arrestation incombe au système judiciaire, notamment au Parquet et au juge d’instruction, nous estimons que l’appel émanant d’une administration gouvernementale dédiée exclusivement à l’exécution des décisions judiciaires [la DGAPR, ndlr] constitue une tentative d’influencer les décisions d’arrestation qui pourraient être prises à l’avenir. Cela va à l’encontre de la Constitution, de la loi et des normes internationales relatives à l’indépendance judiciaire, et à l’encontre des discours royaux qui insistent sur le respect de cette indépendance".

"Quant au problème de la détention préventive, il est indéniable que ses facteurs et causes sont multiples et complexes, sauf qu’elle sont principalement imputables aux actions des pouvoirs exécutif et législatif plutôt qu’au pouvoir judiciaire, qui ne fait que mettre en œuvre la loi", poursuit le Club des magistrats.

Ce dernier rappelle l’essentiel de ces facteurs, dont le recours à une politique pénale privilégiant les peines privatives de liberté pour lutter contre la criminalité, l’augmentation notable du taux de criminalité sous toutes ses formes, surtout les plus graves d’entre elles, la non-activation de l’institution de la libération conditionnelle et l’échec des ateliers de révision du Code pénal. La déclaration originale du Club des magistrats, signée par le président Abderrazak Jebari, figure à la fin de cet article, en langue arabe.

Le surpeuplement des prisons, "une problématique ancienne" selon la DGAPR

Joint par Médias24, Moulay Idriss Agoulmame, directeur de l’action sociale et culturelle au sein de la DGAPR, conteste l’argumentation du Club des magistrats.

"Le surpeuplement des prisons n’est pas une question qui date d’aujourd’hui. Elle a fait l’objet de plusieurs séminaires, rencontres et circulaires, non seulement du côté de la DGAPR mais également de la part de tous les départements concernés, y compris le Parquet général. En 2017, ce dernier a émis une circulaire sur la rationalisation de l’incarcération en vue de résoudre la problématique du surpeuplement des prisons, devenue chronique et entravant la réalisation des plans stratégiques de la DGAPR, notamment au niveau de l’humanisation des conditions d’incarcération, de la gestion des différentes catégories de détenus (prévenus, condamnés définitivement, appelants...) et du surpeuplement des prisons impactant par ailleurs les programmes de réinsertion des détenus", explique Moulay Idriss Agoulmame.

"La DGAPR base, depuis des années, son approche d’intervention sur une planification et des axes stratégiques parmi lesquels figurent l’humanisation des conditions de détention − qui n’est pas uniquement une volonté de l’administration pénitentiaire, mais aussi une volonté émanant d’orientations royales à ce sujet qui insistent constamment sur cette question d’humanisation ainsi que sur le respect des droits des détenus et de leur dignité", poursuit notre interlocuteur.

Et d’ajouter : "Tout le monde est conscient de l’ampleur du problème et de la nécessité d’œuvrer, chacun à son niveau, pour le régler. Le communiqué de la Délégation générale ne vise aucunement à influencer ; il est au contraire un appel à tous les départements à œuvrer ou à contribuer à solutionner ce problème. Nous sommes en effet convaincus que cette problématique doit se régler collectivement."

Il ne suffit pas de construire de nouveaux établissements pénitentiaires !

"D’aucuns diront que la construction de nouveaux établissements pénitentiaires est suffisante pour palier le surpeuplement des prisons. Ce n’est pas, à mon avis, une bonne approche puisque cette solution n’a jamais démontré son efficacité. La preuve en est que l’administration pénitentiaire a consenti plusieurs efforts pour la construction d’autres établissements. Rien qu’entre 2014 et 2023, 26 nouveaux établissements pénitentiaires ont vu le jour. Il est vrai que parallèlement à ces inaugurations, nous avons procédé à la fermeture de quelques établissements pénitentiaires existants qui ne satisfont plus aux conditions d’humanisation. Mais malgré les nouveaux établissements construits, la capacité d’hébergement ne s’est malheureusement pas améliorée", précise Moulay Idriss Agoulmame.

"Cela revient au fait que le taux d’incarcération est supérieur au taux de construction de nouvelles prisons. Le Maroc affiche en effet un taux d’incarcération très élevé : sur 100.000 habitants, 255 individus sont incarcérés. C’est plus que ce qui est enregistré en Espagne (116 détenus/100.000 habitants) ou en France (106 détenus/100.000 habitants). Nous disposons néanmoins d’un taux de récidive − estimé à 18,4% − moins élevé comparativement à d’autres pays, notamment les Etats-Unis (30%) et le Canada (43%)."

"Les nouvelles prisons ne tarderont donc pas à afficher complet. Pire, elles finissent par enregistrer un taux de surpeuplement très élevé. Le taux global de surpeuplement des prisons au Maroc est aujourd’hui de 154%. Ce taux varie d’un établissement pénitentiaire à un autre. Il y a des prisons avec des taux de surpeuplement très élevés, notamment la prison locale de Ain Sebaa, qui affiche un taux de surpopulation de 286%. Sa capacité d’accueil est de 3.800 lits mais elle abrite, selon les derniers chiffres du 7 août, quelque 10.877 détenus", indique Moulay Idriss Agoulmame.

Le manque de personnel et la détention préventive, ces autres maux

"Le manque de personnel fait défaut. Une nouvelle prison a vu le jour dernièrement à Tamesna. Elle satisfait aux normes internationales sur toutes les dimensions. Sauf qu’il y a une contrainte de personnel qui entrave son entrée en service. En effet, l’octroi à la DGAPR de postes budgétaires ne suit pas forcément le rythme de construction de nouvelles prisons. L’administration se voit donc à chaque fois dans l’obligation de solliciter le personnel basé dans d’autres prisons pour gérer les nouveaux établissements pénitentiaires", explique encore le directeur de l’action sociale et culturelle au sein de la DGAPR.

"Qui dit surpeuplement des prisons, dit automatiquement pression en matière d’encadrement et de personnel. Il y a aussi la contrainte de faire en sorte que les détenus bénéficient, comme il le faut, de tous les services tels que la restauration, la couverture médicale et la préparation à la réinsertion, entre autres", ajoute Moulay Idriss Agoulmame.

"La détention préventive représente environ 40% de l’effectif global des détenus. C’est un autre problème. Il est en effet difficile d’intégrer le détenu provisoirement à un programme quelconque, puisque ce type de détenu est généralement préoccupé par son affaire et son dossier auprès des tribunaux et des avocats. Son transfert vers un établissement moins chargé est compliqué, puisqu’il doit rester dans la prison où il a été incarcéré pour la première fois, afin d’être tout près de la juridiction qui gère son dossier", conclut Moulay Idriss Agoulmame.

Voici la déclaration intégrale du président du Club des magistrats Abderrazak Jebari :

توجهت المندوبية العامة لإدارة السجون وإعادة الإدماج إلى الرأي العام الوطني ببلاغ تعبر فيه عن قلقها بخصوص ارتفاع عدد ساكنة المؤسسات السجنية، وأومأت في بلاغها إلى أن ذلك ناتج عن "الوتيرة الحالية" للاعتقال، داعية السلطات القضائية والإدارية إلى الإسراع لإيجاد حلول كفيلة بحل إشكالية الاكتظاظ في المؤسسات المذكورة.

ولما كان المسؤول عن الاعتقال هو القضاء (النيابة العامة وقضاء التحقيق)، فنعتقد أن توجيه تلك الدعوة له من لدن إدارة حكومية تختص، حصرا، في تنفيذ الأحكام القضائية، فيه نوع من محاولة التأثير على قرارات الاعتقال التي قد يتخذها في المستقبل، وهذا مخالف للدستور والقانون والمعايير الدولية المتعلقة باستقلالية القضاء، وكذا الخطب الملكية السامية التي ما فتئت تحث على ضرورة احترام هذه الاستقلالية.

أما إشكالية الاعتقال الاحتياطي، فلا شك أن عواملها ومسبباتها متعددة مركبة، ويرجع جلها إلى عمل السلطتين التنفيذية والتشريعية وليس القضائية التي لا تعدو أن تكون مطبقة للقانون ليس إلا، وأبرز هذه العوامل كما يلي:

- تأسيس السياسة الجنائية المختارة من لدن الحكومة على العقوبة السالبة للحرية وميلها إليها كحل سهلٍ لمواجهة الجريمة (شغب الملاعب، الغش في الامتحانات، الطوارئ الصحية أنموذجا)، مع أن السياسة الجنائية المعاصرة تقوم على اعتماد تدابير اجتماعية واقتصادية وثقافية وتربوية تهدف إلى معالجة مسببات الجريمة قبل ارتكابها.

- ارتفاع نسبة الجريمة بكل أنواعها (خصوصا الخطيرة منها) داخل المجتمع بشكل ملفت للنظر جراء تراجع العديد من المؤسسات عن القيام بأدوارها في التهذيب والتربية (المسجد، الأسرة، المدرسة، الإعلام، السينما .. إلخ)، وهو ما يحتم، بالمقابل، ضرورة توفير الأمن للمواطنين أفرادا وجماعات، مع ملاحظة عدم مواكبة ذلك ببناء مؤسسات سجنية لإعادة تأهيل الجناة واستيعاب عددهم المتزايد.

- ارتفاع حالات العود إلى ارتكاب الجريمة بشكل ملفت نتيجة فشل برامج إعادة التأهيل والإدماج، كما أن ذلك ناتج عن فشل السياسة العقابية التي تعتبر فيها العقوبة السالبة للحرية قطب رحاها.

- عدم تفعيل مؤسسة الإفراج المقيد بشروط، وهي التي تشرف عليها لجنة إدارية يترأسها وزير العدل أو من ينوب عنه، وتبت في اقتراحات مدراء المؤسسات السجنية نفسها بالإفراج عن بعض من برهن عن تحسن سلوكه، وكان من شأن تفعيل هذه المكنة القانونية بمبادرة من إدارة المؤسسات المذكورة أن يقلص من نسبة الساكنة السجنية.

- تعثر ورش مراجعة مجموعة القانون الجنائي، والذي كان معولا عليه لرفع التجريم عن العديد من السلوكات  البسيطة، والتخفيف من حدة اللجوء التشريعي إلى العقوبة السالبة للحرية.

- تعثر ورش مراجعة قانون المسطرة الجنائية، والذي كان معولا عليه لإقرار العقوبات البديلة للعقوبات السالبة للحرية القصيرة المدى، وكذا توسيع صلاحيات قاضي تطبيق العقوبة.

- عدم تنفيذ جملة لا بأس بها من الأحكام القضائية القاضية بإيداع محكوم عليهم في مؤسسة للعلاج، إما لانعدام مسؤوليتهم بسبب خلل عقلي، أو لنقصانها بسبب ضعف عقلي، تطبيقا للقانون الجنائي ومراعاة لمبدأ المحاكمة العادلة، وهذا ما تم تسجيله في تقارير رئاسة النيابة العامة، فضلا عن تقرير المجلس الوطني لحقوق الإنسان لسنة 2022.

- عدم تنفيذ الأحكام القضائية القاضية بإيداع الجناة للعلاج من أجل القضاء على التسمم الناتج على استعمال المخدرات، تطبيقا للفصل 8 من ظهير 21 ماي 1974، ومراعاة لحقهم في العلاج، بسبب عدم إحداث مصحات خاصة بذلك، وهذا ما تم رصده في كل تقارير رئاسة النيابة العامة منذ تأسيسها.

- نسبة لا بأس بها من المعتقلين تقضي مدة الإكراه البدني نتيجة عدم قدرتها على تسديد ما بذمتها من ديون عمومية بناء على مسطرة تحصيل هذه الديون كما هي مقررة في القانون.

عبد الرزاق الجباري

رئيس "نادي قضاة المغرب

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