La “remontada” de Sánchez en Espagne : pragmatisme de Rabat, pari perdant d'Alger

Le parti socialiste a créé la surprise. À l'issue des élections législatives, il conserve toutes ses chances de se maintenir au pouvoir, et ce, malgré la victoire numérique de son adversaire de droite, le PP. Un résultat inattendu en Espagne, en Europe, mais aussi en Algérie. Cette dernière avait tout misé sur la montée de la droite au pouvoir, espérant une fin de l’idylle entre Rabat et Madrid. Analyse d'un Clásico espagnol qui a suscité un vif intérêt sur la rive sud de la Méditerranée.

La “remontada” de Sánchez en Espagne : pragmatisme de Rabat, pari perdant d'Alger

Le 24 juillet 2023 à 18h45

Modifié le 25 juillet 2023 à 9h54

Le parti socialiste a créé la surprise. À l'issue des élections législatives, il conserve toutes ses chances de se maintenir au pouvoir, et ce, malgré la victoire numérique de son adversaire de droite, le PP. Un résultat inattendu en Espagne, en Europe, mais aussi en Algérie. Cette dernière avait tout misé sur la montée de la droite au pouvoir, espérant une fin de l’idylle entre Rabat et Madrid. Analyse d'un Clásico espagnol qui a suscité un vif intérêt sur la rive sud de la Méditerranée.

Les élections législatives en Espagne n’avaient jamais suscité autant d’intérêt au Maroc, mais surtout en Algérie. Le match qui s’est joué entre la droite et la gauche le dimanche 23 juillet avait un air de Clásico (Real-Barça), entre un camp marocain qui soutenait le parti de Sánchez et un autre, algérien, qui voyait en la victoire de son rival Feijóo une défaite du "sanchisme", ligne politique qui a fait de la relation avec le Maroc un axe stratégique de la politique étrangère espagnole.

Si le match espagnol se jouait dans les urnes, où la gauche était donnée perdante par tous les sondages et la droite victorieuse avec une large majorité, au Maroc et en Algérie, c’est sur les réseaux sociaux que les internautes s'affrontaient. Ces deux matchs passionnants qui se déroulaient en parallèle ont tenu en haleine tout le monde, le score final n’ayant été scellé qu’à la 90e minute, avec une grande surprise : la remontada spectaculaire du PSOE de Pedro Sánchez, qui s’est maintenu dans une position très confortable au Congrès avec 122 députés, gagnant deux sièges de plus qu’en 2019.

Et ceci, malgré la déconfiture du parti et de ses alliés de gauche aux dernières municipales du 28 mai, et les pronostics de tous les analystes politiques et instituts de sondage. Sumar, parti de gauche radicale, qui fait partie de la coalition Sánchez, a obtenu également un très bon score pour une première élection : 31 sièges. Son rival d’extrême droite VOX n’a obtenu que 33 sièges, perdant 19 sièges par rapport aux élections de 2019.

Le PP de Alberto Núñez Feijóo a réalisé une grande avancée, avec un gain de 47 sièges supplémentaires pour un total de 136 sièges. Un score qui ne lui permet toutefois pas de gouverner avec son seul allié VOX, les deux partis ne réunissant pas la majorité absolue de 176 sièges pour obtenir l’investiture du Congrès (le Parlement espagnol).

Le coup de poker gagnant de Pedro Sánchez

Le raz-de-marée de droite en Espagne n’a donc pas eu lieu. Et Sánchez a pu résister à la vague, démontrant au monde entier que l’Espagne n’est pas l’Italie, et qu’elle ne tombera pas facilement dans le piège populiste des partis conservateurs, aux élans fascistes. Une grande victoire pour la gauche en Espagne, dont le leader a su jouer un coup de poker risqué au lendemain des élections municipales et régionales du 28 mai. Sorti perdant des élections municipales (avec ses alliés), il a osé provoquer des élections législatives anticipées pour mettre la population espagnole devant ses responsabilités et aller le plus vite possible au bout de cette bataille politique décisive dans l’histoire de l’Espagne.

Un pari qui s’est révélé gagnant, comme le relèvent l’ensemble des médias espagnols. En acceptant la victoire de la droite et de l’extrême droite fin mai, et en appelant à des élections anticipées pour en découdre, le leader charismatique du PSOE savait qu’il allait mobiliser l’électorat, y compris les abstentionnistes, de son pays pour barrer la route à l’extrême droite. Il misait sur le fait que les plaies du franquisme, qui ne s’est achevé qu’en 1975, étant encore là, les Espagnols n’accepteraient jamais, dans leur grande majorité, un retour de l’extrême droite au pouvoir.

Un diplomate espagnol interrogé par Médias24 après les municipales nous disait à juste titre que la logique qui guide les élections locales est totalement différente de celle des législatives. Les Espagnols peuvent accepter, nous expliquait-il, qu’un parti d’extrême droite gère une municipalité, voire une région, mais ne pourront jamais lui livrer les clés du gouvernement.

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Et c’est la leçon principale de ce scrutin, qui a vu une mobilisation historique des électeurs, malgré l’organisation des élections en juillet - période de vacances -, avec un taux de participation de près de 70%, soit 3,5 points de plus que lors du dernier scrutin de novembre 2019.

Bilan: le PP est arrivé premier, mais ne peut gouverner faute de majorité absolue. En revanche, Sánchez conserve ses chances de rempiler à la tête du gouvernement si Feijóo échoue à rassembler une majorité ou à convaincre des députés du camp adverse de s’abstenir le jour de l’investiture pour éviter de tomber. Car même avec un score inférieur à celui du PP, le PSOE peut compter sur son allié d’extrême gauche Sumar et ses 31 sièges, ainsi que le soutien des partis basques et catalans pour qui Vox fait figure d’épouvantail. Il pourrait ainsi rassembler facilement 172 députés, soit plus que le chef du PP, ce qui lui suffirait lors d’un deuxième vote d’investiture par le Parlement où, selon la Constitution espagnole, seule une majorité simple est requise.

Le pragmatisme de Rabat et le pari perdant d'Alger

Deuxième au scrutin, le PSOE se retrouve ainsi dans une position beaucoup plus confortable que le PP, arrivé pourtant premier. Une grande surprise que personne n’attendait… surtout à Alger où l’on était convaincu que l’heure de la droite était arrivée, sonnant la fin de l’idylle entre Madrid et Rabat. Un sujet qui s’est invité dans les débats électoraux en Espagne, même s’il n’a pas été décisif dans le vote des Espagnols, plus préoccupés par la situation économique du pays, l’emploi, la réforme des retraites ou la question migratoire. Il était toutefois perçu comme stratégique pour nos voisins de l’Est.

En effet, depuis le réchauffement des relations entre Rabat et Madrid, après le long froid du Ghaligate, Alger n'espérait qu’une chose : abattre Sánchez pour faire revenir l’Espagne à la situation ante, où la position sur le Sahara était mitigée, et où Madrid et sa classe politique soufflaient le chaud et le froid pour faire pression sur le Maroc. Un flou qui s'est dissipé avec le gouvernement Sánchez, au détriment des intérêts du régime algérien.

"Pour Alger, Sánchez était devenu l’ennemi à abattre, surtout après le revirement historique que son gouvernement a opéré sur le dossier du Sahara et sa résistance à la pression algérienne qui s’est exercée par tous les moyens, y compris par la rupture des relations commerciales et le chantage sur la fourniture de gaz dans une période de guerre assez sensible. Le discours de la droite, qui affichait clairement son opposition à la politique de Sánchez vis-à-vis du Maroc, plaisait au régime algérien. Et ce dernier a tout misé sur le PP et Vox. Mais avec les résultats du scrutin législatif, cet espoir est désormais déchu, même si les jeux ne sont pas encore faits et que la droite peut théoriquement, si la gauche s’abstient lors du vote d’investiture pour éviter un blocage politique en Espagne, arriver au pouvoir", explique un géopolitologue européen.

Alger a donc mis tous ses œufs dans le même panier. Ce qu’elle payera cher en cas de maintien de Sánchez au pouvoir. Alors qu'au Maroc, les officiels sont restés neutres durant cette élection.

"La diplomatie marocaine est pragmatique. Elle sait qu’il y a une différence entre les discours électoralistes et l’exercice du pouvoir et sait que la position de l’Espagne et la relation stratégique qu’elle a nouée avec le Maroc dans tous les domaines n’allaient pas changer avec la montée de la droite au pouvoir. Surtout sur le dossier du Sahara, où la décision espagnole de reconnaître implicitement la marocanité de ce territoire, en soutenant clairement le plan d’autonomie, n’a pas été une décision d’un gouvernement politique, mais une décision d’Etat qui ne dépend pas des vicissitudes de la vie politicienne", souligne notre expert européen.

Dans cette situation de flou politique en Espagne, où malgré l’organisation du scrutin législatif, personne ne sait encore qui va être aux commandes à Madrid dans les prochaines semaines, Rabat occupe une position confortable. Et reste crédible aussi bien aux yeux de la gauche que de la droite.

Surtout, ajoute notre expert, que le timing de cette élection a coïncidé avec deux grands moments géostratégiques qui ont montré aux Espagnols que leur intérêt suprême est dans le soutien de la marocanité du Sahara : la reconnaissance par Israël de la marocanité du Sahara, et la confirmation, au lendemain de la décision israélienne, par la diplomatie américaine de la reconnaissance du Sahara marocain, signée par l’ancien président Trump en décembre 2020.

Des positions qui montrent, nous dit notre expert, que le sens de l’histoire va dans le sens du règlement définitif de ce dossier. Et que l’intérêt des amis traditionnels du Maroc, l’Espagne à leur tête, ou de toute nation qui a des intérêts au Maroc réside dans la reconnaissance de la marocanité du Sahara ; un prisme à travers lequel Rabat évalue son environnement international, comme l’a clairement exprimé le Roi lors de son fameux discours du 20 août 2022.

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