Droitisation de l’Espagne : quel impact sur les relations avec le Maroc ?

La lourde défaite du parti de Pedro Sanchez, grand ami du Maroc, et ses alliés de gauche aux élections municipales et régionales du 28 mai, et la montée en force de la droite et l’extrême droite, présagent d’un changement politique au sein du gouvernement espagnol qui sera recomposé après les élections anticipées de juillet prochain. Serait-ce la fin de la lune de miel entre Madrid et Rabat ? Eléments de réponse.

Droitisation de l’Espagne : quel impact sur les relations avec le Maroc ?

Le 4 juin 2023 à 16h06

Modifié 4 juin 2023 à 18h13

La lourde défaite du parti de Pedro Sanchez, grand ami du Maroc, et ses alliés de gauche aux élections municipales et régionales du 28 mai, et la montée en force de la droite et l’extrême droite, présagent d’un changement politique au sein du gouvernement espagnol qui sera recomposé après les élections anticipées de juillet prochain. Serait-ce la fin de la lune de miel entre Madrid et Rabat ? Eléments de réponse.

L’Espagne bouillonne depuis que les deux partis de gauche au pouvoir, le PSOE et Podemos, ont perdu des plumes lors des élections municipales et régionales organisées le 28 mai. Une déconfiture pour Pedro Sanchez, chef du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et président du gouvernement, et son allié d’extrême gauche, et qui l’a poussé, contre toute attente, à provoquer des élections générales pour le 23 juillet.

Un scrutin où la droite, montée en force lors des élections locales, est assurée, selon plusieurs médias et analystes espagnols, de revenir au pouvoir, grâce à l’alliance du Parti populaire (PP) avec VOX, le parti d’extrême droite en Espagne.

Au Maroc, cette échéance électorale sera très scrutée, Sanchez ayant opéré un grand virage dans les relations de Madrid avec Rabat, avec des prises de positions claires et très avancées sur le dossier du Sahara et une coopération économique et sécuritaire plus poussée que jamais.

La question que tout le monde se pose, c’est ce qu'il adviendra si le gouvernement Sanchez tombe. La droite poursuivra-t-elle sur la même voie tracée par le chef des socialistes, ou fera-t-elle machine arrière, notamment sur la position très évoluée sur la marocanité du Sahara ?La logique de vote lors des élections municipales et régionales en Espagne n’est jamais celle qui prévaut lors des élections générales

La droite au pouvoir : un scénario fort probable mais pas encore certain

Mais sommes-nous déjà sûrs que la droite reviendra au pouvoir en Espagne ? Le scénario est fort probable, mais n’est pas sûr, nous dit un ancien diplomate espagnol qui connaît bien le Maroc, pour qui les jeux ne sont pas encore faits, même si la gauche est sortie perdante du scrutin du 28 mai.

"Au vu des scores du dernier scrutin, rien ne dit que le PP pourrait gouverner, car il a besoin de VOX pour obtenir la majorité nécessaire. Or, la logique de vote lors des élections municipales et régionales en Espagne n’est jamais celle qui prévaut lors des élections générales. Les électeurs peuvent accepter que VOX dirige des municipalités, voire des régions, mais seront plus hésitants à le faire entrer au gouvernement au vu de son discours très radical, qui rappelle les souvenirs du franquisme", explique notre source espagnole.

Le PSOE de Sanchez a certes perdu des positions, mais l’écart avec le PP n’est pas énorme. Ce dernier a obtenu 40% des suffrages, quand le PSOE en a recueilli 35%. Un écart que le parti socialiste peut récupérer en jouant sur le rejet que suscite VOX, sans qui le PP ne pourra pas obtenir de majorité pour gouverner.

Dans ce cas, l’Espagne revivra le même scénario de 2015, de 2016 et de 2019, ajoute notre diplomate, où il a fallu refaire les élections faute de majorité qui se dégage. Surtout que le PSOE, même s’il récupère un peu de sa forme d’ici là, ne pourra pas non plus gouverner puisque son allié, Podemos, est sorti complètement détruit des dernières élections.

Rien n’est donc sûr pour notre source espagnole, qui ne veut pas s’avancer sur un scénario précis : "On ne sait pas ce qui peut se passer en deux mois. Le déroulement de la campagne électorale, les alliances et le jeu des négociations entre le PP et VOX pour les régions, la réaction des électeurs face à la montée de l’extrême droite peuvent changer la donne."Le parti socialiste sort très diminué de ce scrutin, non seulement en termes de voix, mais aussi à cause de la déroute, voire la disparition, de son allié au gouvernement Podemos

 

 

Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Emmanuel Dupuy est en revanche catégorique. Pour lui, le retour de la droite au pouvoir est sûr.

"Sanchez est fini. Doublement fini : en tant que président du Conseil des ministres et en tant que chef du Parti socialiste ouvrier espagnol. Il y a quand même 800.000 voix d’écart entre le PSOE et le PP. Et la droite a gagné six des dix régions disputées lors de ce scrutin. Le parti socialiste sort très diminué de ce scrutin, non seulement en termes de voix, mais aussi à cause de la déroute, voire la disparition, de son allié au gouvernement Podemos. Une disparition qui fait perdre à Sanchez son atout majeur et scelle totalement la capacité du PSOE à se maintenir au pouvoir", estime M. Dupuy.

Et d’ajouter qu’il y aura inexorablement un gouvernement PP-VOX, avec sans doute la présence dans le gouvernement de Santiago Abascal, le leader de VOX, qui prendra fort probablement le ministère de l’Intérieur. "On se dirige vers un scénario à l’italienne, avec un Matteo Salvini qui dirige la politique identitaire, anti-migratoire, avec le même narratif de VOX", prévoit M. Dupuy.

Les avis de nos deux sources, comme ceux de certains médias espagnols, ne sont donc pas convergents. La probabilité d’un retour de la droite au pouvoir est forte, mais n’est pas totalement acquise.

Relations avec Rabat : les scénarios en cas de victoire de la droite

Mais supposons que l’alliance de droite PP-VOX gagne haut la main et réussisse à former un gouvernement. Qu’est-ce que cela implique pour le Maroc ? Le leader du PP, Alberto Nuñez Feijóo, fera-t-il table rase de la politique amicale de Sanchez ? Reviendra-t-il sur la position du gouvernement socialiste sur le dossier du Sahara ?

Une fois la droite au pouvoir, elle pourra faire de la provocation, mais sans toutefois changer le statu quo qui est en place

Pour notre diplomate, la position sur le Sahara ne changera pas, car ce n’est pas cela qui intéresse la droite et l’extrême droite. En revanche, des tensions peuvent apparaître sur le dossier migratoire où la pression de VOX pourra pousser le leader du PP, qui sera le futur président du gouvernement, à se montrer agressif vis-à-vis du Maroc. Autre dossier qui peut être source de perturbations des relations entre les deux pays : Sebta et Melilia.

"Le PP et surtout VOX considèrent que Sanchez a vendu Ceuta et Melilla au Maroc, ce qui n’est pas vrai bien sûr. Mais c’est leur discours. Ils soupçonnent même le Maroc d’avoir influencé les élections dans les deux villes et parlent d’une marocanisation de Ceuta et Melilla. Une fois au pouvoir, ils pourront faire de la provocation, mais sans toutefois changer le statu quo qui est en place, ce qui risque de déranger au Maroc où ce dossier a toujours eu une sensibilité particulière, aussi bien au Palais royal qu’au niveau de la classe politique", explique notre source espagnole.

Donc, si l’on suit l’analyse de notre ancien diplomate espagnol, qui connaît bien la particularité des relations entre Rabat et Madrid, s’il y a une fin de l’idylle actuelle, elle proviendra du dossier migratoire et du durcissement du ton sur le statut des deux présides.

Quant au Sahara, notre source estime que la droite a toujours soutenu le Maroc dans ce dossier. Et elle ne changera pas de position.

Emmanuel Dupuy ne dit pas autre chose, mais parle, lui, de trois scénarios qui sont sur la table.

Le premier consiste en le maintien du statu quo sur la position du Sahara, un peu comme ce qu’a fait Biden après la reconnaissance par Trump de la marocanité du Sahara. Ce serait, selon le président de l’IPSE, le scénario le plus raisonnable.

Deuxième scénario : l’apparition de tensions avec le Maroc, qui seraient causées par la forte pression que peuvent exercer les députés du PP et surtout de VOX sur le futur président du gouvernement pour recalibrer les relations avec Rabat. M. Dupuy tient ici à rappeler les positions agressives des députés de droite qui parlent de marocanité de Sebta, qui ont appelé à ériger des murs autour des deux villes et soutenu qu’il fallait traiter le problème militairement, surtout après les deux dernières crises migratoires de mai 2021 et juin 2022. Ce qui peut provoquer, selon Emmanuel Dupuy, une rupture un peu à la française, mais pas par rapport au Sahara. "La droite espagnole n’est pas dans l’anti-marocanité, mais dans l’anti-musulmanité. Elle est plus préoccupée par les questions identitaires que par autre chose", précise-t-il.

Troisième scénario : un statu quo amélioré dans le sens où le gouvernement Nuñez Feijóo devra transiger avec des barons locaux, des présidents de région, notamment en Andalousie, et des responsables politiques de son propre parti qui entretiennent d’excellentes relations avec le Maroc et certains partis comme l’Istiqlal. Ici, même si des tensions peuvent apparaître, les relations personnelles peuvent, nous dit M. Dupuy, améliorer ce qui politiquement peut être un facteur de blocage.Une fois au pouvoir, on est rattrapé par le pragmatisme de la fonction où seuls les intérêts suprêmes de l’Espagne comptent

Une rupture à la française est totalement exclue

Pour notre expert en géopolitique, ce sont le premier et le troisième scénario qui sont les plus probables. Une rupture est donc exclue. Chose que nous confirme l’ancien diplomate espagnol, qui nous dit que rien ne justifie en l’état actuel des choses une rupture à la française. Car la position sur le Sahara et le plan d’autonomie proposé par le Maroc sont clairs, et ni le PP, ni VOX, ne voient d’intérêt à faire marche arrière sur cette position.

"La droite a certes mené une campagne électorale agressive, notamment vis-à-vis du Maroc sur les questions identitaires et le statut de Ceuta et Melilla. Mais une fois au pouvoir, on est rattrapé par le pragmatisme de la fonction où seuls les intérêts suprêmes de l’Espagne comptent. Et ces intérêts sont aujourd’hui convergents avec ceux du Maroc sur tous les plans, économique, sécuritaire et même migratoire", souligne l’ancien diplomate espagnol.

Les débats sont centrés sur la migration, Sebta et Melilia, mais nous n’avons jamais entendu la droite espagnole, à part dans quelques épisodes de luttes politiciennes avec le gouvernement Sanchez, rejeter la position du gouvernement socialiste sur le Sahara. Et ce pour la simple raison, nous explique notre ancien diplomate, que la droite espagnole sait que les intérêts de l’Espagne sont avec le Maroc et n’a surtout, contrairement à la France, aucun tropisme pour l’Algérie, encore moins pour le polisario.

Emmanuel Dupuy estime lui aussi que la droite a toujours soutenu le plan d’autonomie. Et ne fera pas marche arrière sur ça, car elle ne prend pas le dossier selon le prisme d’un certain équilibre entre ses relations avec Rabat et Alger.

"La droite espagnole a toujours identifié le problème du Sahara comme une résultante de sa puissance coloniale, en estimant que c’est une question identitaire espagnole. Elle n’a aucun tropisme pro-algérien, encore moins pro-polisario. Il y a une sorte de substrat post-colonial qui persiste chez la droite, qui estime que l’Espagne a beaucoup plus que n’importe qui − les Français en particulier − son mot à dire sur ce dossier", explique M. Dupuy, qui pense aussi que le PP et VOX peuvent même jouer sur le grand froid entre Rabat et Paris pour se positionner davantage comme un allié fiable de Rabat.

"L’Espagne est la quatrième économie de l’Union européenne avec une croissance conséquente. Il y a une réalité économique qui s’impose à n’importe quel parti au pouvoir. L’Espagne et le Maroc sont engagés dans une lune de miel économique, avec des échanges record de 20 milliards d’euros. Le Maroc est ainsi le premier partenaire hors UE de l’Espagne et son premier partenaire africain. Et puis surtout, l’Espagne est devenue le premier partenaire commercial bilatéral du Maroc devant la France. Ça joue aussi beaucoup dans la manière avec laquelle la droite espagnole va traiter avec le Maroc, surtout qu’il y a une crise avec la France qui va pousser la droite espagnole à surjouer le rôle de l’ami sûr", estime Emmanuel Dupuy.

Bref, peu importe les résultats des élections du 23 juillet, ou la nature du gouvernement qui sera en place, la position espagnole sur le Sahara ne bougera pas. Mais un froid n’est pas à exclure en cas de provocations d’un gouvernement où l’extrême droite sera représentée sur des sujets comme ceux de Sebta et Melilia, la politique migratoire, ou celle qui sera menée vis-à-vis des Marocains résidents en Espagne.

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