Entraîneur de football, un fusible en première ligne

Le championnat national est loin d’avoir livré son verdict. Pourtant, plusieurs clubs se sont déjà séparés de leurs entraîneurs cette saison. Une pratique qui n’émeut pas outre mesure le milieu, mais qui atteste de l’instabilité d’un métier soumis à une pression de plus en plus forte.

Mehdi Nafti est le second tunisien à entraîner le Wydad de Casablanca, après Faouzi Benzarti.

Entraîneur de football, un fusible en première ligne

Le 7 mars 2023 à 18h41

Modifié 9 mars 2023 à 10h40

Le championnat national est loin d’avoir livré son verdict. Pourtant, plusieurs clubs se sont déjà séparés de leurs entraîneurs cette saison. Une pratique qui n’émeut pas outre mesure le milieu, mais qui atteste de l’instabilité d’un métier soumis à une pression de plus en plus forte.

"Tu es meilleur entraîneur quand tu t’es fait virer une fois." C’est ainsi que José Mourinho, l’entraîneur portugais double vainqueur de la Ligue des champions, a dédramatisé l’échec dans la carrière d’un coach de haut niveau et illustré le niveau de pression de plus en plus fort auquel est soumis ce technicien, souvent utilisé comme premier fusible.

Un entraîneur doit fédérer, gérer les frustrations et les attentes. Savoir se remettre en question sans jamais douter. Accepter les mauvaises nouvelles et l’anxiété sans être anxiogène. Il doit aussi être prêt à faire ses valises pour reconstruire quelque chose ailleurs. Car finalement, les techniciens ne savent jamais vraiment combien de temps ils vont rester en fonction. 

Quand ça arrive, la déception s’ajoute au sentiment d’échec. "On a beau se chercher des excuses, lorsqu’un coach est écarté, c’est qu’il a échoué dans sa mission. Il y a beaucoup de frustration et la gestion de l’après n’est pas évidente", confie Patrick Cordoba, l’actuel directeur du centre de formation du Raja de Casablanca et ex-sélectionneur national des U17 féminine. 

Moins de trois mois après son arrivée, le Tunisien Mehdi Nafti (WAC) rejoint la confrérie des coachs débarqués en cours d’exercice : Houcine Ammouta (Wydad de Casablanca), Faouzi Benzarti (Raja de Casablanca), Badou Zaki (Tanger), Mounir Jaouani (MCO), Abdelhay Ben Soltane (MAS), Abdelhak Benchikha (RSB), Marcos Paqueta (HUSA), Abdellatif Jrindou (MAT), Lassaâd Eddridi (OCK). 

Badou Zaki fait partie des dix entraîneurs limogés depuis le début de la saison 2022-2023.

Dix entraîneurs limogés : une véritable hécatombe aux raisons multiples, qui interrogent les choix initiaux des présidents. Quoi qu’on en dise, écarter un entraîneur, c’est également un aveu d’échec pour le dirigeant qui l’a choisi.

La politique sportive doit primer

Au moment de nommer un nouvel entraîneur, le président d’un club, au Maroc comme ailleurs, s’appuie sur un ensemble de critères, tout aussi importants les uns que les autres. Le premier élément à prendre en considération est le projet sportif et les objectifs à atteindre.

Dans les clubs les plus huppés de la Botola (WAC, RCA), terminer champion et se qualifier pour la Champions League sont des objectifs non négociables. Suivent les équipes qui visent une qualification en Coupe de la Confédération de la CAF, avec une politique de formation (trading) à l’instar du FUS de Rabat. Et enfin, les équipes de milieu ou de bas de tableau qui souhaitent avant tout éviter la relégation. 

Toutefois, "le choix d’un entraîneur n’est pas toujours dicté par ces considérations sportives. Dans la majorité des clubs du championnat, il manque une direction sportive et technique qui s’occupe du recrutement et établisse une politique sportive qui tienne la route", regrette un ancien joueur professionnel marocain ayant requis l’anonymat, comme plusieurs intervenants dans cet article. 

"Certes, il y a des équipes et des dirigeants qui ont une vision claire de leurs besoins et des objectifs à atteindre, ce qui leur permet d’être heureux dans leurs choix. Mais souvent, ce n’est pas le cas. Pour preuve, certains présidents se chargent du recrutement avant même de s’attacher les services d’un nouvel entraîneur", s’étonne-t-il.

Un CV qui pèse lourd

Le curriculum vitae et le vécu de l’entraîneur sont tout aussi primordiaux, "surtout dans de grands clubs comme le Wydad ou le Raja, qui ne peuvent pas s’engager avec n’importe qui", explique un ex-dirigeant du football national. En épluchant minutieusement les CV des postulants, les présidents ne cherchent pas tant à déterminer la compétence d’un entraîneur qu’à anticiper une éventuelle déconvenue.

"Dans ces clubs à forte pression populaire, un entraîneur qui possède un CV impressionnant avec un gros palmarès profite d’une mansuétude et d’un capital de tolérance si les résultats ne sont pas au rendez-vous", assure notre interlocuteur. 

A contrario, un entraîneur dont la compétence est grande mais dont le palmarès est vierge, est limogé à la moindre défaillance. "Le président a bien évidemment envisagé l’éventualité que les choses tournent mal avant d’engager l’entraîneur. Mais il lui accorde le bénéfice du doute, d’autant que dans le cas de jeunes techniciens, la nature du contrat et la clause de départ ne sont pas insurmontables", ajoute notre source. 

Justement, les clauses contractuelles sont décisives lors de la prise de décision. Tous les clubs au monde souhaiteraient s’attacher les services d’un Pep Guardiola, mais peu d’équipes ont les moyens financiers d’assumer son salaire astronomique. 

Idem pour Pitso Mosimane (ex-Ahly et ex-Sundowns) à l’échelle africaine. Un temps pressenti pour prendre la relève de Mehdi Nafti au WAC, le coach sud-africain "demande un salaire de 2 MDH (200.000 euros) par mois. A part les Egyptiens qui ont les plus gros budgets du continent, il n’y a pas de club qui puisse s’aligner sur ces émoluments", souligne notre interlocuteur. 

Pitso Mosimane, l'ancien entraîneur sud-africain d'Ah Ahly a failli rejoindre le Wydad de Casablanca.

Des clauses contractuelles à négocier 

Le Wydad de Casablanca a tenté le coup, selon nos informations. Des négociations ont été lancées sur la base d’un montage financier comprenant des primes diverses, mais elles n’ont finalement pas abouti car les modalités de paiement et la manière de ficeler un contrat sont tout aussi importantes que les compétences de l’entraîneur.  

"Il y a des entraîneurs qui demandent de s’engager pour trois ans afin de mettre en place leur philosophie. Et il y en a d’autres qui signent le contrat sans négocier", indique notre source. "Ce n’est pas forcément réducteur", tient-elle à souligner. "Ça ne veut pas dire que ce sont des mercenaires. Mais disons que ce sont des profils d’entraîneurs sûrs de leurs moyens et de leur réussite."

Ces derniers ne sont pas trop regardants sur le volet financier et n’imposent pas des exigences en termes de staff ou de recrutement, contrairement à d’autres. "Certains entraîneurs trimballent des joueurs dans chaque club où ils s’engagent", confie Patrick Cordoba. 

"D’autres coachs arrivent avec leurs staffs et leurs hommes de confiance, à l’image de Mondher Kebaier au Raja de Casablanca", souligne-t-il. A côté, il y a les entraîneurs qui se greffent au staff en place, parfois par humilité ou parce qu’ils n’ont pas vraiment le choix. 

En s'engageant avec le Raja de Casablanca, le coach tunisien, Mondher Kebaier, est arrivé avec son propre staff.

Des agents influents

Pour l’ancien footballeur marocain sondé, l’influence des agents n’est pas toujours positive. "Il existe des agents d’entraîneurs qui ont d’étroites relations avec des présidents. Logiquement, ils poussent pour la nomination de leur client, même si parfois, le profil du technicien n’est pas en phase avec les objectifs et la politique du club."

"Chaque président fonctionne en écosystème composé notamment d’agents avec lesquels il se sent en confiance", corrobore un ancien dirigeant. Et les agents le leur rendent bien, "notamment lorsqu'il faut convaincre un entraîneur de signer pour un an au lieu de trois par exemple". 

Quand le président fait passer les candidatures des entraîneurs à travers les filtres et critères précités, "il ne reste pas beaucoup de monde à la fin", résume notre interlocuteur. Raison pour laquelle beaucoup de présidents font du neuf avec du vieux. La nomination de Juan Carlos Garrido (ex-Raja et Wac) en est la parfaite illustration. 

Après une première expérience rapidement écourtée en 2020, le technicien espagnol, Juan Carlos Guarrido, s'est une nouvelle fois engagé avec le Wydad de Casablanca.

"Pour un club comme le Raja ou Al Ahly, il n’y a qu’une douzaine d’entraîneurs sur le marché qui remplissent les critères nécessaires pour occuper le poste", abonde notre interlocuteur. D’où, aussi, une certaine ouverture des frontières du championnat national au coach étranger, principalement algérien ou tunisien. 

"Beaucoup d’entraîneurs souhaitent s’asseoir sur un banc du championnat marocain, car le niveau est élevé et ils sont plus exposés que dans d’autres pays africains", explique-t-il "Nous avons également de bonnes infrastructures. En plus, comme le Maroc, l’Egypte, l’Algérie et la Tunisie ont réussi à développer la formation des cadres, les techniciens sont de qualité." 

La solitude des présidents 

Loin de toute manœuvre colérique ou égotique de leur part, les présidents n’envisagent pas de se séparer de leur manager ; ce sont les circonstances qui font qu’ils doivent réagir vite et sous pression. Car aussi forte soit-elle, une relation de confiance saine entre le président et son entraîneur peut passer derrière l’intérêt de l’équipe, et surtout du club en tant qu’institution, quand celle-ci se trouve en difficultés. D’autant que le président est garant d’un projet global avec des enjeux économiques importants. 

D’ailleurs, la décision de virer un coach est prise par le président. "Il faut savoir que les présidents de clubs sont très solitaires. Il ne faut pas imaginer qu’ils réunissent toujours leurs comités avant de prendre une telle décision", décrit un ancien dirigeant. 

Et d’ajouter : "Mais dans la solitude, il y a une part d’hésitation qui prend parfois le dessus et hante les nuits des présidents. Ils consultent donc une garde rapprochée, souvent composée d’anciennes gloires du club." En ce sens, la première raison qui oblige un président à se séparer de son entraîneur est objective : la crise de résultat.

Le diktat du résultat 

Globalement, tous les clubs ne peuvent pas prétendre à atteindre leurs objectifs. Et qui n’atteint pas son objectif risque logiquement une sanction. L’argument de l’électrochoc est souvent avancé au moment de limoger un entraîneur pour crise de résultat. Mais le pari présente peu de certitude car dans les faits, on voit que cela marche une fois sur quatre. 

De manière plus subjective, la pression d’un public passionné peut coûter sa place à un coach mal aimé, en dépit de ses réussites. "La pression médiatique est également influente dans ce genre de situation", avance un ancien dirigeant. "Il y a des présidents qui font partie d’une galaxie médiatique, à l’image de ceux des clubs les plus populaires, où le système médiatique est beaucoup plus influent que le public", poursuit-il. 

En sus, les mésententes entre un entraîneur et ses joueurs sont monnaie courante. Quand l’entraîneur cristallise les tensions et ne trouve plus de levier pour apaiser la situation, s’en séparer devient une évidence. En atteste l’éviction de Vahid Halilhodzic, toutes proportions gardées. 

Une chose est sûre, il est beaucoup plus simple d’écarter un coach que de changer toute l’équipe. "Les joueurs sont une donnée invisible mais qui pèse lourd dans la balance", avance l’ancien dirigeant questionné par Médias24. Lorsque les cadres de l’équipe montent au créneau et expriment une certaine lassitude, incompréhension ou mésentente avec leur entraîneur, le président est obligé de prendre en considération ce ressenti.

"Si le coach est fraîchement nommé, le président peut tenir droit dans ses bottes en prônant la patience dans son discours à ses joueurs. Mais quand l’entraîneur est en place depuis un an ou 18 mois, le président ne peut plus ignorer le ressenti du vestiaire. Comme tout manager, le président pense avant tout à la pérennité du club", affirme notre interlocuteur. Même s’il n’est pas saugrenu que les présidents soient sourds aux réclamations de leurs joueurs. Dans ce cas, la situation peut rapidement s’envenimer.   

"C’est très rare que des joueurs traînent des pieds pour virer un coach", estime un dirigeant ayant requis l’anonymat. "D’habitude, les joueurs se donnent à fond, mais ils sont parfois capables d’organiser une ou deux défaites pour avoir la peau du coach. C’est extrêmement rare cependant", tient-il à nuancer.

Des éléments perturbateurs

Les difficultés financières d’un club peuvent également avoir pour incidence le limogeage d’un coach, au même titre que des éléments extérieurs au staff et aux dirigeants. "C’est une réalité mondiale : quand on veut réussir, on est forcément en compétition avec d’autres personnes qui t’empêchent de travailler tranquillement", considère un ancien entraîneur du Raja de Casablanca, entre autres clubs. 

"On te met des bâtons dans les roues pour que tu perdes de vue tes objectifs. Dans cette situation, on gaspille beaucoup d’influx nerveux et d’énergie. Les forces finissent par manquer au moment d’atteindre tes objectifs", complète-t-il. 

Parfois, ce sont des raisons personnelles qui poussent l’entraîneur à démissionner de sa propre initiative. Comme le prouve la première expérience avortée de Juan Carlos Garrido à la tête du Wydad de Casablanca en 2020. Le coach espagnol avait quitté les Rouge et Blanc après une entame satisfaisante à défaut d’être brillante (3v 2n 2d), à cause de la crise sanitaire et de son envie de retrouver sa famille en Espagne.

En somme, "les entraîneurs sont conscients que se faire virer fait partie des risques du métier. Ils y sont toujours préparés", concède Patrick Cordoba. Cependant, ce phénomène mondial n’est pas empreint d’une grande cohérence pour les clubs.

Il est relativement complexe de travailler et de construire une ambition sur la durée en changeant chaque saison d’entraîneur ou même plusieurs fois lors d’une seule saison. Cela soulève la question de la politique sportive des équipes à moyen terme et des compétences des présidents et autres dirigeants. 

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