Le Maroc s'engage davantage dans la protection de son patrimoine culturel contre l’appropriation

Après les actions juridiques et les démarches conduites pour déposer et protéger les produits du patrimoine immatériel marocain, le Roi annonce une politique d'Etat pour protéger ce patrimoine "qui a tendance à être spolié par d’autres pays". L'engagement du Maroc prend une tournure plus forte et plus organisée, avec la création d'un Centre spécialisé annoncé par le Souverain et une stratégie mutiforme.

Sa Majesté le Roi Mohammed VI salué par Mme Audrey Azoulay

Le Maroc s'engage davantage dans la protection de son patrimoine culturel contre l’appropriation

Le 1 décembre 2022 à 11h22

Modifié 1 décembre 2022 à 12h57

Après les actions juridiques et les démarches conduites pour déposer et protéger les produits du patrimoine immatériel marocain, le Roi annonce une politique d'Etat pour protéger ce patrimoine "qui a tendance à être spolié par d’autres pays". L'engagement du Maroc prend une tournure plus forte et plus organisée, avec la création d'un Centre spécialisé annoncé par le Souverain et une stratégie mutiforme.

Pour protéger son patrimoine culturel matériel et immatériel, le Maroc assure non seulement un arsenal juridique mais aussi un travail continu de recensement et d’enregistrement. L’appropriation culturelle peut prendre une tournure commerciale face à laquelle l’arsenal juridique ne suffit pas. L’éducation, la recherche et la valorisation sont les éléments complémentaires pour prévenir et protéger le patrimoine culturel national.

Alors que les travaux de la 17e session du Comité intergouvernemental de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel se tiennent à Rabat du 28 novembre jusqu’au 3 décembre, le Roi Mohammed VI a non seulement annoncé la création d’un Centre national pour le patrimoine culturel immatériel, mais a aussi souligné "l’excellente collaboration entre l’organisation onusienne et le Royaume pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et la préservation de la culture et des traditions qui se transmettent de génération en génération".

C’est à l’occasion d’un événement distinct (l’inauguration de la gare routière de Rabat) que le Roi Mohammed VI a échangé par la directrice générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Audrey Azoulay (vidéo ci-dessous):

"Le Roi a particulièrement remercié la directrice générale de l’UNESCO pour tous ses efforts en faveur de la sauvegarde et de la protection du patrimoine culturel des Nations, qui a tendance à être spolié par d’autres pays ou assimilé par d’autres cultures", rapporte la MAP.

Dans son message à la 17e session du Comité intergouvernemental de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, le Roi a rappelé l'importance de l'établissement de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel, dont le Maroc est signataire. "Assurer prioritairement la conservation, la promotion et la mise en valeur de ce type de patrimoine, [...] devient un enjeu majeur des relations internationales. Il s’ensuit nécessairement que toute tentative d’appropriation illicite du patrimoine culturel et civilisationnel d’un autre pays doit être combattue".

“Dans un monde en rapide mutation, il est important de souligner que le patrimoine immatériel d’un pays contribue à son rayonnement et qu’en conséquence, il doit être protégé par un dispositif clairement défini, en accord total avec les objectifs de la Convention".

L'appropriation, un fléau qui se propage

Le sujet de la spoliation et de l’appropriation culturelle est de plus en plus relevé dans le monde, opposant des pays à de grandes marques, tels que le Mexique à Zara et la Chine à Dior.

Cela dit, comme le souligne Me Mourad El Ajouti, avocat au barreau de Casablanca, "aucune de ces marques n’a réagi comme l’a fait Adidas dans le cadre de l’affaire du zellige marocain. C’est une première dans le cadre des litiges d’appropriation culturelle entre les Etats et les marques. Adidas a publié un communiqué dans lequel il a exprimé son respect aux artisans marocains. Le communiqué a fait le tour du monde, faisant office de publicité gratuite qui n’a pas de prix".

Il s’agit de l’affaire d’appropriation culturelle la plus récente qui concerne le patrimoine culturel marocain, mais n’est pas pour autant un cas isolé.

Affaire du Zellige : un tournant commercial inacceptable

Quelques mois avant l’affaire du maillot Adidas, une image avait fait polémique : celle de Mbarka Ait Ouhassi, victime d’appropriation culturelle et d’atteinte au droit à l’image, dont la photo, en train de tisser des tapis ancestraux utilisant des techniques traditionnelles de tissage, a été utilisée, à son insu, dans une affiche de promotion du salon de l’artisanat de Tlemcen.

Au-delà de la multiplication des tentatives de spoliation d’éléments du patrimoine culturel marocain, l’affaire Adidas avait la particularité de contenir une dimension commerciale. "On commence à exploiter les éléments de notre patrimoine pour faire du business. Et c’est inacceptable, car le patrimoine culturel, qu’il soit matériel ou immatériel, est le résultat d’un cumul de savoir-faire de plusieurs siècles de femmes et d’hommes sur cette terre, avec un effort qui a traversé les siècles et les frontières actuelles du Maroc pour atteindre d’autres aires géographiques. C’est ce que l’on peut appeler l’identité", estime le directeur de l’Institut national des sciences de l’anthropologie et du patrimoine, Abdeljalil Bouzouggar, joint par Médias24.

Abdeljalil Bouzouggar estime que l’une des leçons à tirer de l’affaire Adidas en particulier est de "se préparer davantage, non seulement à la spoliation d’éléments qui composent notre identité, mais aussi à mener des batailles sur le plan commercial pour que ces éléments ne soient pas exploités à tort et à travers par quiconque dans le monde".

Pour le directeur de l’INSAP, “l’affaire du zellige ne se limite pas à déterminer qui en est le dépositaire ou le propriétaire, puisque le travail de protection de ce patrimoine a été entamé en 2015 et que la marque a été déposée légalement tant au niveau national qu’au niveau international. Cela dit, malgré cette protection juridique réalisée par le ministère de la Culture, le cadre légal n’a pas été respecté. C’est très inquiétant venant d’une grande entreprise, qui a néanmoins pu tirer une leçon de cette affaire, notamment pour faire preuve davantage de vigilance à l’avenir".

Pour notre interlocuteur, l’arsenal juridique n’est pas suffisant pour assurer une protection du patrimoine culturel national. Selon lui, trois autres éléments sont nécessaires pour assurer la prévention et mettre fin au fléau de l’appropriation culturelle. Il s’agit, en premier lieu, de l’éducation.

"Nous sommes appelés à éduquer nos enfants et à diffuser les connaissances scientifiques au grand public pour qu’il s’approprie et défende son propre patrimoine", souligne A. Bouzouggar.

Il ajoute comme second élément la recherche. "Il faut renforcer la recherche autour du patrimoine culturel matériel et immatériel. Le ministère de la Culture, à travers l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine et la Direction du patrimoine culturel, mène ce genre de recherches par des fouilles archéologiques. On fait parler les témoins matériels", explique-t-il.

Enfin, Abdeljalil Bouzouggar place en troisième lieu l’élément de la valorisation. Selon lui, "on ne peut pas valoriser ce que l’on ne connaît pas. On ne peut protéger que ce que l’on connaît. Valoriser notre patrimoine dans toutes ses facettes est le meilleur garant pour le protéger contre toute action d’appropriation illicite par autrui".

Dans le même sens, Me El Ajouti, qui a été mandaté par le ministère de la Culture dans cette affaire du zellige, estime que celle-ci a permis "d’attirer l’attention des Marocains sur l’importance de la protection du patrimoine culturel immatériel". Selon lui, "beaucoup ignoraient l’importance de ce volet".

"Il y a maintenant une conscience de son importance et de ses ressources financières qui peuvent être générées. L’exemple est celui de l’industrie du vin en France, qui draine des milliards de dollars, notamment grâce au savoir-faire ancestral protégé, et aux centaines, voire aux milliers, d’appellations d’origine française enregistrées. Idem pour le fromage et même, désormais, pour la baguette française, qui vient d’être inscrite à la liste du patrimoine de l’UNESCO”, poursuit l’avocat.

"Mais au-delà des avantages économiques, le patrimoine culturel a également une dimension politique, puisque certains régimes orphelins d’histoire et éprouvant une insuffisance civilisationnelle, recourent à l’appropriation culturelle pour obtenir un semblant de soutien populaire", ajoute Me El Ajouti.

Ce dernier affirme que "dans la mise en demeure présentée par le Maroc, celui-ci a demandé le retrait de la collection ou la publication d’un communiqué explicatif. Le retrait de la collection aurait eu des conséquences désastreuses sur Adidas compte tenu des engagements contractuels de l’équipementier sportif. Celui-ci a donc publié un communiqué, une première que ni le Mexique face à Zara ni la Chine face à Dior n’ont pu obtenir. Résultat favorable pour le Maroc, puisque d’une part, tout le monde a compris que le zellige était marocain. Et d’autre part, la marque s’est engagée à ne pas vendre la collection sur le territoire marocain et à cesser toute campagne de communication sur ce maillot".

"Le ministère de la Culture a même réussi à avoir une collection exclusive qui sera consacrée au patrimoine marocain, dont une partie des bénéfices sera consacrée aux artisans de notre pays. Il ne faut pas oublier qu’il a été question d’un conflit avec un mastodonte allemand de 53 MMDH de capitalisation", souligne-t-il.

Si l’issue de cette affaire a été favorable au Maroc, il n’est pas pour autant épargné de subir une prochaine tentative d’appropriation culturelle. C’est pourquoi il doit poursuivre son travail de recensement et d’enregistrement de son patrimoine culturel.

Recenser et enregistrer : un travail en amont pour la prévention

Pour Me El Ajouti, "il faut un travail titanesque pour enregistrer tout notre patrimoine culturel, parce qu’il faut également enregistrer les caractéristiques et les techniques spécifiques. Il s’agit d’un travail qui demande de débloquer des moyens financiers importants et du temps, puisque la protection des marques auprès des organisations internationales nécessite une durée moyenne entre un et deux ans".

"La création du Centre national de protection du patrimoine culturel, annoncée par Sa Majesté le Roi, est un grand pas vers la protection du patrimoine culturel immatériel, puisqu’il va permettre de former des cadres et des experts sur ces méthodes et de poursuivre l’inventaire des différents sites culturels avec leurs caractéristiques et spécificités", ajoute-t-il.

Pour Abdeljalil Bouzouggar, "le Maroc doit inscrire le maximum d’éléments de son patrimoine au niveau de l’UNESCO. C’est de cette manière que l’on arrive à la reconnaissance du savoir-faire du produit de notre héritage. Et c’est le travail que nous sommes en train d’effectuer. Nous avons tous les bons éléments : l’arsenal juridique, l’expertise et la connaissance scientifique. Le Maroc est, dans sa région, le pays à avoir inscrit le plus grand nombre d’éléments sur la liste du patrimoine mondial et immatériel".

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