Décarbonation. Tout savoir sur l’industrie naissante de l’hydrogène vert

Pour accélérer le processus de décarbonation de l’économie marocaine, le Roi a donné le 22 novembre ses instructions pour l’élaboration d’une "offre Maroc" dans la filière de l’hydrogène vert. En quoi consiste cette industrie ? À quoi sert l’hydrogène vert ? Comment peut-il s’insérer dans la stratégie du Maroc en matière d’énergies renouvelables ? Éléments de réponse.

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Décarbonation. Tout savoir sur l’industrie naissante de l’hydrogène vert

Le 28 novembre 2022 à 11h12

Modifié 28 novembre 2022 à 17h06

Pour accélérer le processus de décarbonation de l’économie marocaine, le Roi a donné le 22 novembre ses instructions pour l’élaboration d’une "offre Maroc" dans la filière de l’hydrogène vert. En quoi consiste cette industrie ? À quoi sert l’hydrogène vert ? Comment peut-il s’insérer dans la stratégie du Maroc en matière d’énergies renouvelables ? Éléments de réponse.

> L’hydrogène vert, c’est quoi ?

Se présentant comme un gaz invisible et inodore, l’hydrogène (H2) est l’élément chimique le plus léger et le plus abondant sur Terre. Rarement présent à l’état pur, il entre dans la composition de l’eau et des hydrocarbures. Selon un document du ministère de l’Energie, cette matière n’est pas seulement une source d’énergie, mais un "vecteur énergétique" qui peut être stocké, à grande échelle et sur le long terme.

L’hydrogène peut également exister sous forme naturelle dans des gisements souterrains. Des études ont démontré récemment la disponibilité de ce potentiel dans de nombreux pays, comme le Mali et les États-Unis. Dans le cas du Maroc, l’ONHYM est en train de mener des investigations sur le potentiel national en la matière.

Selon l’ONHYM, une première étude a permis la mise en évidence de huit zones d’intérêt, dont deux zones présentant des suintements de surface d’hydrogène naturel, avec des concentrations significatives.

L’ONHYM envisage de cartographier, modéliser, forer et monitorer expérimentalement les sites identifiés. Ceci permettra d’obtenir une meilleure quantification du gisement marocain d’hydrogène naturel, et de préparer éventuellement son exploitation future.

Selon le ministère de l’Energie, les propriétés de l’hydrogène permettent différentes applications en fonction du procédé de production :

- dans un réseau de gaz naturel mélangé au méthane pour générer de la chaleur ;

- dans un véhicule comme source d’énergie pour une motorisation électrique (l’électricité est produite par une pile à combustible intégrée dans le véhicule) ou thermique (combustion directe de l’hydrogène) ;

- dans le réseau électrique pour produire de l’électricité.

L’hydrogène peut aussi intervenir dans le domaine de la chimie, il y est ainsi valorisé pour ses propriétés chimiques :

- l’hydrogène est utilisé comme matière première dans les secteurs du raffinage d’hydrocarbures, de la production d’engrais, et certains usages de la chimie ;

- l’hydrogène mélangé au CO2 produit du méthane de synthèse, molécule identique au gaz naturel. Des carburants synthétiques dérivés peuvent également être produits à travers cette filière : méthanol, diesel, kérosène…

Mais, pour l’instant, le marché mondial de l’hydrogène n’absorbe pas tous les usages précités. Dans sa feuille de route pour le développement de cette filière, le ministère de l’Energie indique que le marché mondial de l’hydrogène est aujourd’hui essentiellement un marché industriel.

"L’hydrogène est utilisé dans des procédés de l’industrie pétrolière et de l’industrie chimique. Les trois marchés les plus importants sont la désulfurisation de carburants pétroliers, la synthèse d’ammoniac principalement pour les engrais, et la chimie."

> Comment peut-on produire de l’hydrogène vert au Maroc ?

L’hydrogène peut être produit de façon décarbonée et économique grâce à la technologie de l’électrolyse, qui consiste à séparer une molécule d’eau en hydrogène (H2) et en oxygène (O2) par un apport d’électricité, à condition que l’électricité ayant servi à le produire soit elle-même produite à partir de sources renouvelables.

Selon le ministère de l’Energie, la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau présente à terme une solution structurante pour l’intégration des énergies renouvelables au système énergétique.

"Ainsi produit, l’hydrogène permet d’accélérer la décarbonation de plusieurs secteurs dans l’industrie, la mobilité et les réseaux de gaz", signale le ministère dans sa feuille de route, notant par ailleurs que les électrolyseurs produisent également de l’oxygène, à raison de 8 kg d’oxygène (O2) pour 1 kg d’hydrogène (H2).

En produisant de l’hydrogène par électrolyse, le Maroc pourra également disposer d’une quantité substantielle d’oxygène pour diverses applications industrielles, à destination du marché local mais également à l’export.

> Pourquoi le Maroc est considéré comme un futur champion dans cette filière 

La production d’hydrogène est à la portée de tous. Mais le Maroc dispose d’un avantage comparatif assez important : une énergie renouvelable (solaire et éolienne) disponible à des prix compétitifs.

"La baisse du prix du kilowattheure renouvelable ainsi que l’abondance de sites marocains alliant un fort ensoleillement à des vitesses de vent élevées ouvrent une réelle opportunité pour produire de l’hydrogène et des dérivés sans CO2", explique le ministère de l’Energie dans sa feuille de route.

Même constat établi par la Banque mondiale, dans son récent rapport sur le climat et le développement, qui identifie la filière de l’hydrogène vert au Maroc comme stratégique, aussi bien pour des usages locaux que pour l’export. Idem pour le World Energy Council (Conseil mondial de l’énergie) qui a identifié, dans le cadre de son étude "Feuille de route Power-to-X", le Maroc comme un des six pays avec un fort potentiel de production et d’exportation d’hydrogène et de dérivés verts.

Plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne, ont déjà exprimé leur intention d’investir dans cette filière au Maroc. "La proximité avec les marchés de l’Union européenne est un avantage compétitif, surtout que le Maroc dispose d’infrastructures d’interconnexions énergétiques déjà établies", note le ministère.

Le Maroc pourrait en effet s’appuyer, comme tracé dans la feuille de route, sur ses infrastructures gazières et portuaires bien connectées à l’Atlantique et à la Méditerranée pour mettre en place une plateforme logistique d’exportation de l’hydrogène vert et de ses produits vers l’Europe.

> La stratégie marocaine pour transformer ce potentiel en opportunités de création de richesse

La réflexion sur la production de l’hydrogène vert ne date pas d’aujourd’hui. Dès 2019, les pouvoirs publics ont pris conscience de l’importance d’élaborer une stratégie industrielle en la matière. Un processus qui a abouti à l’adoption d’une feuille de route qui trace les différentes actions à mettre en œuvre à l’horizon 2050. Une stratégie validée, entre autres, par la Banque mondiale dans son rapport sur le climat et le développement.

Le développement de cette industrie est envisagé en trois phases.

La première phase court jusqu’en 2030 et comporte deux piliers :

- le premier a trait à son utilisation locale comme matière première dans l'industrie, en particulier pour la production de l’ammoniac vert dans l'industrie des engrais ;

- le deuxième porte sur l’exportation de produits issus de l’hydrogène vert vers des pays engagés dans des objectifs de décarbonation.

Toutefois, durant cette période, les coûts des produits de l’hydrogène vert resteraient plus élevés que ceux des produits conventionnels, note le ministère de l’Energie. Il indique que le développement de l’industrie de l’hydrogène reposerait sur divers projets pilotes et de développement bénéficiant d’un soutien des pouvoirs publics et d’un financement bonifié des institutions financières nationales et internationales.

La deuxième phase, programmée sur la décennie 2030-2040, table sur la baisse des coûts des produits de l’hydrogène vert et la mise en place d’une réglementation environnementale. Deux facteurs qui permettront de développer les premiers projets économiquement viables, notamment pour l’ammoniac et l’hydrogène vert, au niveau national et international.

Il en est de même pour les exportations de combustibles liquides synthétiques tels que le kérosène, le diesel, l’essence, dans le cas de l’adoption d’une réglementation environnementale encourageante dans les régions importatrices des dérivés de l’hydrogène vert, comme l’Europe. Ce qui présente des opportunités pour le Maroc pour développer progressivement cette filière.

Et comme le signale la Banque mondiale, avant même de s'orienter vers l’export, le Maroc pourrait s’appuyer sur l’utilisation locale de produits de l’hydrogène vert pour soutenir l’expansion de cette industrie naissante. Aussi, selon la feuille de route du ministère de l’Energie, l’hydrogène vert peut tout d’abord être utilisé comme vecteur pour le stockage de l’énergie, afin de réduire les congestions du réseau et d’améliorer la flexibilité du système électrique national. Il peut également servir de carburant dans le transport.

Dernière phase, celle de la montée en puissance : 2040-2050. Pour cette période et au-delà, les analyses de rentabilité concernant l’ammoniac qui sera utilisé notamment par l’OCP pour la production d’engrais, l’hydrogène et les carburants synthétiques verts destinés à l’exportation s’améliorent selon les projections des pouvoirs publics. Et le développement des technologies et de l’industrie de l’hydrogène vert s’accélèrerait au niveau mondial.

"Cette expansion évoluera davantage par l’utilisation locale de l’hydrogène vert dans l’industrie, pour la production de chaleur, dans le secteur résidentiel et dans la mobilité urbaine et le transport aérien. Néanmoins, la demande pour ces secteurs en hydrogène vert ou en méthane synthétique, en particulier dans le cas du secteur résidentiel, porte sur des volumes de demande éventuellement faibles, associés à des besoins d’investissement élevés pour le développement des infrastructures de distribution importantes", nuance le ministère de l’Energie.

Par ailleurs, dans le domaine du transport, les possibilités de développement à long terme ciblent essentiellement le transport terrestre lourd et l’aviation. "Une certaine demande pourrait apparaître dans le secteur du transport, probablement associée à l’hydrogène vert utilisé pour le fret, l’exploitation minière et les transports publics dans le cadre des projets pilotes", estiment les experts du département de l’énergie.

> Pourquoi le souverain appelle à développer une "offre Maroc" 

Au vu de l’avenir florissant de cette industrie et des usages de l’hydrogène vert en tant que véhicule de transition énergétique aussi bien au Maroc que dans le monde, notamment en Europe, les pouvoirs publics veulent anticiper l’explosion de la demande mondiale pour capter le maximum de parts des marchés qui vont s’ouvrir d’ici 2050. Pour cela, le Maroc doit disposer, comme le recommande la Banque mondiale, de politiques ciblées et d’incitations pour rendre attractif l’investissement dans cette industrie.

"Le Maroc est bien positionné pour jouer un rôle de leader dans l’industrie de l’hydrogène, mais il devra créer un environnement de marché propice pour que ce potentiel se concrétise. Le déploiement du marché de l’hydrogène vert nécessitera d’importants investissements dans les infrastructures de production et de transport, qui devraient être principalement financés par le secteur privé. Pour faciliter ces investissements, le gouvernement devrait finaliser son cadre politique et réglementaire en matière de gaz, en l’étendant à l’hydrogène vert ; préparer un plan de mise en œuvre de la stratégie relative à l’hydrogène vert (y compris les infrastructures de transport nécessaires) ; nouer des partenariats de coopération avec les importateurs potentiels d’hydrogène vert ; et préparer les certifications, les normes et les standards", énumère la Banque mondiale dans son rapport Climat et développement.

Selon les experts de l'institution, la nature naissante de ce marché signifie par ailleurs que certains risques majeurs devront être atténués afin d’attirer le secteur privé grâce à des conditions optimisées. Ces risques comprennent l’incertitude des revenus, puisque les marchés se développeront à partir de zéro, et que les grands besoins d’investissement dans les infrastructures de transport et de stockage ne sont pas encore clairement définis.

"La condition sous-jacente fondamentale pour le développement de l’hydrogène vert, tant pour l’usage domestique que pour les exportations, est la rapidité avec laquelle il deviendra compétitif par rapport aux alternatives. Le Maroc est bien placé pour devenir un important producteur d’hydrogène vert, étant donné l’abondance de ses ressources énergétiques renouvelables (le composant de coût le plus important de l’hydrogène vert) et au vu de sa demande locale dans la grande industrie des engrais, qui importe actuellement de l’ammoniac (et qui pourrait être produit localement en utilisant l’hydrogène vert à l’avenir). Une autre source potentielle importante de demande en énergie est le secteur maritime, où l’utilisation d’hydrogène vert faciliterait la décarbonation, comme dans certains autres secteurs du transport. Il existe toutefois des risques et des incertitudes associés à une industrie aussi naissante", estime le rapport.

Selon la feuille de route sur l’hydrogène vert du Maroc, le développement de cette industrie nécessiterait d’ici 2050 un investissement total de 76 milliards de dollars, y compris la production d’énergies renouvelables, les électrolyseurs et les usines de conversion, mais en excluant les investissements dans les infrastructures associées telles que les gazoducs dédiés, les stations de ravitaillement en hydrogène vert, l’adaptation des infrastructures portuaires pour les exportations et le développement d’installations de stockage de l’hydrogène vert et des dérivés.

Des projets pharaoniques que le Maroc devrait lancer pour bâtir une offre complète et compétitive pour les investisseurs locaux et étrangers, comme il l’a fait pour l’industrie automobile et aéronautique. Une politique de nouveaux grands chantiers qui doit d’abord être financée par l’Etat, pour que le privé puisse prendre ensuite le relais. Des financements internationaux peuvent également participer à cet effort, comme le signale la Banque mondiale, qui cite l’exemple du Pacte vert pour l’Europe qui peut fournir des ressources financières, notamment pour développer la production d’hydrogène vert pour l’exportation vers l’Union européenne.

Et cette "offre Maroc" ne peut être bâtie que sur les infrastructures et l’environnement d’investissement, mais des réformes politiques et organisationnelles sont aussi à envisager, selon les recommandations de la Banque mondiale.

"Pour atteindre les objectifs de décarbonation du pays de façon holistique, le ministère de l’Énergie devrait commencer par définir une stratégie qui tienne compte de l’interaction entre les systèmes d’électricité, de gaz naturel et d’hydrogène vert. En retour, cela permettrait une planification plus intégrée et coordonnée des infrastructures électriques et gazières afin de garantir la fiabilité et la sécurité de l’approvisionnement, tout en envoyant des signaux clairs aux investisseurs privés dans les segments concurrentiels des marchés", estiment les experts de la banque.

Autre action recommandée par la Banque mondiale : la coordination des politiques sectorielles en la matière.

"Les stratégies et plans sectoriels existants ne sont en effet pas toujours pleinement articulés entre eux, ce qui contraint leur mise en œuvre et peut conduire à une fragmentation et à un manque de cohérence. Cet obstacle peut être particulièrement difficile à surmonter dans le cas du nexus eau-énergie. Par exemple, alors que le Maroc a élaboré un ambitieux plan de déploiement de l’hydrogène vert, le Plan national de l’eau ne tient pas compte des besoins en eau associés. De même, le développement de solutions de dessalement de l’eau devrait être soigneusement aligné sur le déploiement des énergies renouvelables, en tenant compte également de la demande qui va émaner des autres secteurs (comme les transports et l’industrie)", signale la Banque mondiale.

Des pistes qui montrent que ce chantier royal nécessite d’énormes efforts financiers, humains et organisationnels pour aboutir au scénario optimal : celui d’un Maroc grand producteur d’hydrogène vert à l’horizon 2050, avec une industrie florissante, créatrice de valeur et d’emplois, et contribuant aux recettes de l’export du pays… tout en permettant au Royaume de réussir sa transition énergétique pour répondre aux nombreux défis climatiques et économiques qui se présentent.

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