Budget 2022 : faut-il aller vers une loi de Finances rectificative ?

Moins de deux mois après son entrée en vigueur, la loi de Finances 2022 et les hypothèses sur lesquelles elle a été construite sont d’ores et déjà caduques. Ce qui pose la question de la nécessité de revoir le budget de l’année en passant par une loi de Finances rectificative. Dans quelle mesure cela est-il possible ? Eléments de réponse.

Dans sa présentation au parlement vendredi dernier, Nadia Fettah, ministre de l'Economie et des finances, a estimé la croissance de 2023 à 3,4%. Le HCP prévoit 2,6%. Quoi qu'il en soit, le Maroc est en dessous des objectifs de l'actuel gouvernement et de ceux du NMD.

Budget 2022 : faut-il aller vers une loi de Finances rectificative ?

Le 21 février 2022 à 17h35

Modifié 21 février 2022 à 19h58

Moins de deux mois après son entrée en vigueur, la loi de Finances 2022 et les hypothèses sur lesquelles elle a été construite sont d’ores et déjà caduques. Ce qui pose la question de la nécessité de revoir le budget de l’année en passant par une loi de Finances rectificative. Dans quelle mesure cela est-il possible ? Eléments de réponse.

L’actuelle loi de Finances a été bâtie sur l’hypothèse d’une saison agricole moyenne (récolte céréalière de 80 millions de quintaux), un prix moyen du gaz butane de 450 dollars la tonne, avec une prévision de croissance de 3,2% et un déficit budgétaire de 5,9%.

La conjoncture économique, aussi bien nationale qu’internationale, montre clairement que ce montage budgétaire ne tient plus la route. Et que toutes les hypothèses de la loi de Finances et leur implication sur le budget de l’État sont tombées à l’eau, sans mauvais jeu de mots.

Dans le meilleur scénario, qui prévoit des précipitations d’ici fin mars, la récolte céréalière sera comprise entre 35 et 50 millions de quintaux au maximum. Les prix des produits énergétiques à l’international ont atteint des sommets (près de 95 dollars pour le baril de pétrole contre 62 dollars à la même période de l’année dernière), ce qui a fait plus que doubler les prix du gaz butane, et rien n’indique que cette tendance s’inversera dans l’année.

Pour adapter son budget aux changements macro et micro-économiques, le gouvernement devrait en principe revoir tous ses calculs ; et, pour faire les choses dans les règles, préparer un projet de loi de Finances rectificative qui présente les changements qui seront opérés pour faire face à cette nouvelle donne économique et sociale.

LF rectificative : « un sujet prématuré »

Mais ceci n’est pas obligatoire, comme nous le précise un ancien haut cadre du ministère des Finances. « Malgré les changements d’hypothèses, rien n’oblige le gouvernement à déposer un projet de loi de Finances rectificative. Le seul motif impérieux qui peut le pousser à faire cela, c’est quand il touche au budget de l’investissement. Mais l’actuel gouvernement a déjà pris ses dispositions par rapport à cela, puisque la loi de Finances 2022 donne la possibilité à l’exécutif de couper jusqu’à 15% du budget de l’investissement sans forcément passer par une loi de Finances rectificative. Le gouvernement a déjà prévu cette possibilité semble-t-il », nous explique notre source.

Une autre source du ministère nous confirme cette donnée, cette marge que s’est octroyée le gouvernement au moment de la préparation de sa loi de Finances 2022, ajoutant que de toutes les façons, il est prématuré de parler de loi de Finances rectificative.

« Même si on veut aujourd’hui faire une loi de Finances rectificative, le bon sens rend la chose impossible. Car nous n’avons tout simplement pas les données pour établir un nouveau budget. On ne sait pas comment vont évoluer les prix des matières premières à l’international ni comment s’achèvera la saison agricole. Ce n’est qu’à partir d’avril que le gouvernement pourra avoir une visibilité sur la conjoncture économique et préparer, s’il le souhaite, une loi de Finances rectificative », indique notre source.

« C’est un sujet sérieux. On ne peut pas s’amuser à modifier une loi de Finances six semaines après son entrée en vigueur. Sinon on tomberait dans les travers d’autres États qui font passer quatre à cinq lois de Finances rectificatives dans l’année », ajoute notre interlocuteur.

Nos deux sources estiment que, malgré les difficultés conjoncturelles, le Maroc ne fait pas face à une crise de l’ampleur de celle du Covid-19 en 2020 qui avait tout chamboulé dans le budget de l’Etat, le poussant à faire une LF rectificative dans l’urgence : hausse des dépenses, baisse des recettes, passage d’une prévision de croissance à une lourde récession…

« Les changements qui peuvent être opérés aujourd’hui sont basiques. Il faudra renforcer le budget de la compensation pour faire face à la hausse des prix, débloquer les aides prévues de 10 milliards pour le secteur agricole. Cela peut facilement s’opérer en gelant certains projets d’investissement et en transférant leurs budgets aux postes prioritaires. Et qui dit geler ne dit pas couper dans l’investissement, mais seulement reporter certains projets non prioritaires qui étaient programmés en 2022 pour l’année 2023 », précise notre source au ministère.

Le Parlement ne peut rien imposer au gouvernement

Selon des sources partisanes de la majorité, le gouvernement n’est pas favorable à une loi de Finances rectificative. Cela a d’ailleurs été exprimé clairement par le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, lors de sa dernière sortie médiatique.

L’opposition a un autre avis. Plusieurs députés des partis de l’opposition pensent que le principe de « sincérité budgétaire » impose le passage par une LF rectificative. Mais ils reconnaissent leur incapacité à imposer quoi que ce soit au gouvernement.

« A part un appel à une loi de Finances rectificative, l’opposition et le Parlement en général n’ont pas la main sur ce sujet. La loi organique des lois de Finances (LOLF N°130-13, NDLR) est claire là-dessus : c’est au gouvernement de décider de présenter une loi de Finances rectificative ou pas. Notre seule prérogative au Parlement, c’est de discuter et d’amender dans les délais prévus par la loi le projet gouvernemental », nous explique un membre de la commission des Finances de la première chambre.

L’article 57 de la loi organique relative à la loi de Finances est en effet clair sur ce point : « Les lois de finances rectificatives sont présentées et votées dans les mêmes formes que la loi de Finances de l’année sous réserve de l’article 51. »

Une disposition qui vient consacrer ce qui était déjà prévu dans la Constitution de 2011, qui précise dans son article 75 que « seul le gouvernement est habilité à déposer des projets de loi tendant à modifier les dépenses approuvées dans le cadre précité (loi de Finances adoptée, NDLR) ».

Cela veut dire que, de même que pour la loi de Finances, une LF rectificative passe par le même circuit. Elle est de la seule initiative du gouvernement et doit passer, avant son dépôt au Parlement, par les délibérations en Conseil des ministres et en Conseil de gouvernement. Seule chose qui change, c’est la réserve citée dans la LOLF faisant mention de l’article 51. Lequel article précise juste les délais express dans lesquels la LF rectificative doit être votée au Parlement.

Voici ce que dit l’article 51 de la LOF N°130-13 : « Le projet de loi de Finances rectificative est voté par le Parlement dans un délai n'excédant pas quinze (15) jours après son dépôt par le Gouvernement sur le bureau de la Chambre des représentants. La Chambre des représentants se prononce sur le projet de loi de Finances rectificative dans un délai de huit (8) jours suivant la date de son dépôt. Dès le vote dudit projet ou à l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent, le Gouvernement saisit la Chambre des conseillers du texte adopté ou du texte qu'il a initialement présenté, modifié, le cas échéant, par les amendements votés par la Chambre des représentants et acceptés par lui. La Chambre des conseillers se prononce sur le projet dans un délai de quatre (4) jours suivant sa saisine. La Chambre des représentants examine les amendements votés par la Chambre des conseillers et adopte en dernier ressort le projet de loi de Finances rectificative dans un délai n'excédant pas trois (3) jours. »

Bref, le Parlement n’a pas la prérogative d’enclencher le processus d’une loi de Finances rectificative, qui est une décision souveraine de l’exécutif. Seule donnée qui change, le délai de discussion et de vote au Parlement, qui passe de 58 jours pour la procédure ordinaire à un délai n’excédant pas 15 jours.

Le Maroc peut se permettre davantage de déficit budgétaire…

Mais dans l’hypothèse que le gouvernement accepte d’aller au Parlement pour faire voter une nouvelle loi de Finances, histoire de s’inscrire dans l’esprit de « sincérité budgétaire » promue par la loi organique relative à la loi de Finances, faire un exercice de transparence et ouvrir par la même occasion un débat politique et sociétal sur la conjoncture économique et les moyens d’y faire face, de quelle marge dispose-t-il ? Quels leviers peut-il activer ? Va-t-il réduire le budget record de l’investissement voté fin 2022 pour le réorienter vers les sujets prioritaires du moment : soutien au pouvoir d’achat des ménages, mécanisme provisoire de compensation des prix des hydrocarbures, aides et accompagnement du fellah et du monde agricole, lancement de projets d’urgence dans le secteur de l’eau, etc.

Nos sources estiment que les marges sont largement disponibles, et que le meilleur scénario, si l’on suit la logique keynésienne du gouvernement Akhannouch, serait de laisser filer le déficit budgétaire pour ne pas toucher à l’investissement, ou du moins aux projets stratégiques qui sont programmés, que ce soit dans le domaine de l’eau, les grands et petits chantiers (Awrach), la protection sociale, la réforme de l’éducation et de la santé…

« Le gouvernement peut en effet jouer sur le déficit budgétaire et recourir à l’endettement pour le financer. La dette publique est encore soutenable, et nous avons de la marge pour lever de l’argent aussi bien au nouveau national qu’international. Et cela peut se faire sans que la signature du Maroc et son image sur les marchés internationaux ne soient écornées, car tout le monde vit une conjoncture difficile. Quelques points supplémentaires de déficit budgétaire seront facilement acceptés par nos partenaires internationaux et nos bailleurs de fonds, surtout que le Maroc s’engage à revenir à un niveau de déficit normal sur le moyen terme », explique l’une de nos sources.

Cette option semble la plus logique au vu de la conjoncture difficile et de la contrainte de maintenir une bonne cadence d’investissement pour ne pas enrayer la machine de la relance.

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