Graines oléagineuses : le Maroc veut réhabiliter la production locale  

Totalement dépendant des importations des graines oléagineuses, le Maroc est exposé aux aléas des cours internationaux et à leur impact sur le prix de l'huile de table. En cause, l'abandon dans les années 1990 d'une culture que l'on peine aujourd'hui à réinstaller.

Graines oléagineuses : le Maroc veut réhabiliter la production locale  

Le 2 novembre 2021 à 15h30

Modifié 2 novembre 2021 à 16h20

Totalement dépendant des importations des graines oléagineuses, le Maroc est exposé aux aléas des cours internationaux et à leur impact sur le prix de l'huile de table. En cause, l'abandon dans les années 1990 d'une culture que l'on peine aujourd'hui à réinstaller.

Le ministère de l'Agriculture a communiqué ce mardi 2 novembre sur la situation des prix des produits alimentaires, dont les huiles alimentaires.

Il explique que la hausse des prix des oléagineux, notamment du soja, en 2020, a entraîné une hausse des prix de l'huile de table en avril 2020. "Les prix sont restés stables depuis cette date jusqu'à aujourd'hui", affirme-t-il.

En réalité, les prix de vente des huiles végétales sont en hausse continue depuis fin 2020. En mai dernier, la hausse était estimée entre 13 et 19 DH pour l’emballage  de 5 litres.

Depuis, d'autres hausses ont été enregistrées. De 70 DH en mai dernier, la bouteille de Huilor 5 litres est aujourd'hui vendue à 86,95 DH. Soit 16,95 DH de plus en 6 mois.

Idem pour l'huile Lesieur 5 litres qui, en mai dernier, était à 73 DH, et est désormais à 81,95 DH, soit une hausse de 8,95 DH.

Des augmentations qui impactent le coût du panier de la ménagère dans la mesure où l'huile de table est incontournable dans la cuisine marocaine. Plus encore, elle est considérée comme une denrée de première nécessité.

Des cours mondiaux à la hausse

Comment s’expliquent ces hausses vertigineuses ? Il y a deux explications à cette situation : la première est conjoncturelle, la seconde est structurelle et historique.

Sur le plan conjoncturel, l’augmentation des prix s'explique par la tendance haussière des cours mondiaux du complexe oléagineux (graines, huiles, tourteaux), amorcée depuis le deuxième semestre 2020. Le Maroc étant un importateur net de ces matières premières, puisque la production locale couvre moins de 2% des besoins de l’industrie. Ces besoins s’établissent entre 900.000 et 1 million de tonnes.

Selon une toute récente publication de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), "l’indice des prix des huiles végétales a affiché une hausse de 1,7% durant le mois de septembre, et de près de 60% sur un an – car les prix internationaux de l’huile de palme ont atteint leur plus haut niveau depuis dix ans, sous l’effet d’une forte demande mondiale à l’importation (...), les cours internationaux de l’huile de colza se sont eux aussi nettement appréciés".

En effet, au début de la campagne 2019-2020, les prix internationaux des graines oléagineuses et des produits dérivés se sont progressivement rehaussés. La surchauffe résulte d’une recrudescence de la demande face aux perspectives négatives pour la production mondiale d’huile de palme et d’une intensification des importations chinoises de soja, en particulier en provenance du Brésil, mais aussi des États-Unis d’Amérique, ajoute la FAO dans un rapport relatif à la situation et perspectives à court terme des marchés des produits.

Selon un rapport de la FAO dédié au secteur des oléagineux au Maroc, "en 2011, les graines oléagineuses et leurs produits dérivés représentaient 60% de la valeur des exportations agricoles américaines vers le Maroc". La même année, les importations d’huiles végétales et de tourteaux oléagineux représentaient plus du quart des importations marocaines de produits agricoles. Dans ce contexte de libéralisation et malgré la croissance soutenue de la demande domestique en produits oléagineux, la filière marocaine fait face à des défis importants. "Assurer un avenir économiquement viable à ce secteur important nécessitera une gestion délicate", conclut la FAO.

Comment a-t-on abandonné la culture ?

Sur le plan structurel, l'exposition du Maroc aux aléas des cours internationaux a pour cause l'abandon de la culture des graines oléagineuses à partir des années 90.

"Le secteur marocain des cultures oléagineuses a connu depuis les années 1990 un déclin tendanciel. Le processus a été amorcé avec la libéralisation des prix en 1996 et l’ouverture du pays aux échanges extérieurs. L’accord bilatéral de libre-échange (ALE) signé avec les États-Unis en 2006 a été l’étape la plus importante dans ce processus de libéralisation", analyse encore la FAO dans un rapport consacré à l'étude du secteur des oléagineux au Maroc, publié en 2016.

Un expert du secteur agricole marocain confirme ce constat à Médias24 : "A la fin des années 70 et au début des années 80, l’État a encouragé les cultures oléagineuses de substitution au coton, notamment les graines de tournesol, considéré comme un bon produit."

"Le plan a plutôt bien fonctionné, parce qu'il y avait la garantie de l’État et des débouchés, notamment pour le tournesol, dont la promotion était assurée par la Compagnie marocaine de commercialisation de produits agricoles (COMAPRA)", ajoute cet expert.

A cette époque, la logique prédominante est celle de la subvention des produits agricoles, en fixant les prix et les marges. Ce fut également le cas pour les graines oléagineuses de substitution, que l'on voulait encourager. Ainsi, "cette "nouvelle huile" qui s'est substituée à l'huile traditionnelle marocaine était moins chère pour le consommateur, mais coûtait tout de même un paquet d'argent à l’État", rappelle notre expert.

L’État a maintenu ce système jusque dans les années 90. Avec l'avènement, en 1994, de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la limitation drastique des subventions des prix, les grands pays producteurs de graines ont changé de méthodes, en versant des aides directes aux exploitants.

Au Maroc, l’effet mécanique de ce nouvel arrangement s’est traduit par la hausse des prix à l’importation. Ce qui explique les difficultés rencontrées au début de la mise en place de la réforme.

Certains, comme les Européens, penchaient en faveur de l’ouverture du marché aux importations des huiles, des graines et des tourteaux avec une protection des agriculteurs. Mais le désintérêt des industriels vis-à-vis de la production locale des graines l’a emporté.

Aujourd’hui, un regain d’intérêt pour la culture des oléagineux ne cesse de se manifester, y compris parmi des industriels de renommée mondiale. C’est le cas du groupe agro-industriel international Avril, qui dispose d’un projet de production du colza.

Selon un expert et gros exploitant des cultures oléagineuses, la filière commence à accrocher concernant le colza et le tournesol. Les régions de Beni Mellal et de Marrakech, qui n'étaient pas favorables à ces cultures, les ont adoptées. Et une bonne évolution a été constatée ces trois ces dernières années concernant les superficies cultivées. Ce sont des cultures très rentables. Ce sont aussi des plantes de rotation pour les agriculteurs qui pratiquent les céréales. De plus, les agriculteurs ont désormais accès aux semences de qualité et peuvent bénéficier de l’encadrement technique. Sans oublier la garantie d’un marché assuré dans le cadre du contrat-programme entre agriculteurs et industriels, parrainé par l’Etat.

Par le passé, des contrats se concluaient alors que la semence faisait défaut ou tardait à être livrée, bien que l'agriculteur ait déjà procédé aux travaux du sol. Ce qui débouchait sur des ruptures des contrats.

Depuis trois ans les choses, ont changé. "Les prix négociés sont jugés  intéressants. Et le circuit de commercialisation est assimilé à celui de l'agrégation", témoigne notre expert et exploitant.

Maghreb Oléagineux accroche

En 2019, le Maroc a produit 17.000 tonnes d’huile et 22.500 tonnes de tourteaux de colza et de tournesol. Bien que, depuis 2013, la production nationale ait été multipliée par 15 pour le colza et augmenté de 67% pour le tournesol, elle reste encore faible, car elle ne couvre actuellement que 1,7% des besoins.

Atteindre un niveau raisonnable du taux de couverture des besoins par la production locale demeure un enjeu de taille. Reste à espérer que la dynamique engagée cette année (9.400 ha de colza et environ 20.000 ha de tournesol) s’accélère. À cet effet, le catalogue européen offre plus de 1.100 variétés garanties sans OGM et adaptées aux spécificités des bassins de production du Maroc.

Initié en 2019 dans le cadre de la nouvelle stratégie agricole "Generation Green", avec l’appui financier de l’Union européenne, le Programme Maghreb Oléagineux commence à accrocher – du moins dans ses volets relatifs à la formation et à la sensibilisation des jeunes agriculteurs à adopter les cultures oléagineuses.

L’objectif est d’atteindre, à l’horizon 2030, 80.000 ha, dont 30.000 pour le colza et 50.000 pour le tournesol. Le tout devrait permettre la couverture de 15% des besoins du marché local, contre 1,7% actuellement.

Le plan s’appuie sur l’adoption de pratiques agricoles durables, avec à la clé l’utilisation de semences européennes à hauts rendements d’huiles végétales. Autrement dit, les mêmes variétés que celles prisées par les industriels marocains.

Il est mené en étroite collaboration avec différents partenaires, notamment la Fédération interprofessionnelle des oléagineux (FOLEA), l’Office national du conseil agricole (ONCA) et l'Interprofession française des huiles et protéines végétales (Terres Univia). Cette dernière organisation rassemble les principaux acteurs français de la production, de la commercialisation et de l'utilisation des oléagineux et plantes riches en protéines.

Des atouts indéniables

La réussite du programme reste toutefois liée à l’adhésion active des agriculteurs ciblés par la stratégie "Génération Green". Celle-ci a pour axe majeur le soutien à l’entrepreneuriat des jeunes dans les services agricoles et para-agricoles. De ce fait, elle cible la création de 170.000 emplois, notamment dans les dispositifs de conseil, l’accès aux intrants, la collecte et la commercialisation des graines.

Au Maroc, compte tenu de l’importance de l’agriculture pluviale, les performances du secteur sont fortement dépendantes des aléas climatiques. Les systèmes de production et les pratiques culturales doivent évoluer pour limiter les impacts des difficultés croissantes du secteur. A cet effet, la diversification et l’étalement des rotations agricoles figurent parmi les mesures clés à adopter, est-il recommandé.

"Or, la filière des oléagineux dispose d’atouts indéniables en termes de rentabilité et de garantie du marché", souligne Hassan Benabderrazik, directeur général du bureau d'études Agro Concept. Et d’ajouter : "Le monde agricole marocain peut tirer plusieurs avantages de l’intégration des cultures oléagineuses. Ces dernières contribuent à stabiliser et à améliorer les revenus des agriculteurs."

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

Salafin: Résultats annuels 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.