Le marché des capitaux, grand absent du financement de la reprise économique
Le marché regorge de liquidités et offre de belles opportunités de financement aussi bien pour les grandes entreprises que pour les TPME. Mais les milliers d'entreprises en besoins d’argent frais en ces temps de crise ne s’y tournent pas. La faute à qui ?
Les débats sur le financement de la relance se concentrent aujourd'hui quasi-exclusivement sur le secteur bancaire. Le crédit bancaire est le seul outil qui est activé, notamment par l'Etat, pour venir en aide aux entreprises, renflouer leur trésorerie et financer leur redémarrage.
Le gouvernement pense aussi à des mécanismes alternatifs, comme la création d’un fond public-privé de 15 milliards pour recapitaliser certaines entreprises privées et publiques.
Mais personne, ni dans les milieux officiels, ni dans la confédération patronale, ne parle du marché des capitaux, qui englobe aussi bien le marché actions que le très dynamique marché de la dette privée.
Deux compartiments qui regorgent pourtant de liquidités, et où les investisseurs institutionnels (caisses de retraites, assurances…) ont du mal à placer leurs excédents faute de papier frais. De l’argent abondant, qui peut coûter dans certains cas moins cher que le crédit bancaire, mais qui est conditionné par un élément principal : la transparence financière.
Le frein culturel de la transparence
Premier outil dont peuvent bénéficier beaucoup d’entreprises, grandes comme petites : lever de l'argent sur le marché actions via des augmentations de capital. Il suffit pour cela d’avoir un dossier bien ficelé, une stratégie claire et un business plan convaincant.
Et le marché, contrairement aux idées reçues, ne finance pas que les grandes firmes, mais aussi des TPME, dont un compartiment leur est dédié avec des conditions d’accès très allégées et des possibilités de financement assez intéressantes.
Ce compartiment peut ainsi, comme le prévoit le règlement général de la Bourse de Casablanca, permettre à toute entreprise dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas les 500 MDH, et qui n'emploie pas plus de 300 personnes, de lever des capitaux pour renflouer ses fonds propres. Seule condition : le montant levé doit dépasser les 5 MDH. Ce qui cible une bonne partie des entreprises marocaines.
Exit également les complications administratives et comptables, ces entreprises n’ont l'obligation de justifier que d’un seul bilan certifié, contre trois bilans pour les grandes entreprises.
Chose assez aisée pour une PME relativement bien organisée, dont le business se comportait bien avant la crise, et qui n’a besoin que d'un petit coup de pouce en capital pour repartir de plus belle.
Mais cela suppose que le porteur du projet accepte de faire entrer de nouveaux actionnaires dans son tour de table et de jouer la transparence totale avec le marché, en publiant de manière régulière ses résultats financiers, en communiquant sur les faits importants qui touchent son activité, et en alertant le marché sur d'éventuelles déconvenues ou risques qui peuvent toucher ses résultats futurs.
Et c’est là où le bât blesse selon un patron d’une banque d’affaires, qui nous dit que le potentiel de PME qui peuvent être admises à la Bourse de Casablanca est énorme. Mais le frein est essentiellement psychologique. “Nos entrepreneurs n'acceptent pas encore cette idée de partager ce qui se passe au sein de leur entreprise avec le public. Or, c’est le principe même du marché financier. Vous avez accès à des ressources illimitées et pas chères, mais vous devez jouer la transparence”.
Dans une récente interview, Adil Douiri, co-fondateur de CFG Bank et de Mutandis, expliquait également que cela était le principal frein au développement des financements alternatifs : “les actionnaires de milliers d’entreprises n’ont aucune envie d’ouvrir leur capital à des tiers et de s’associer avec eux”.
Ils préfèrent donc continuer de dealer avec leur banquier, dans une relation classique de client-fournisseur, s'inspirant de la fameuse devise du “vivons cachés, vivons heureux”.
“C’est une question culturelle. Le patron d’une entreprise considère sa firme comme une propriété privée qui lui appartient et ne comprend pas de quel droit il devrait rendre des comptes à des tiers sur sa gestion, sa stratégie, ses décisions…”, explique notre banquier d’affaires.
Pour lui, c’est pourtant en temps de crise que les vannes du marché sont ouvertes et que les institutionnels marocains et étrangers peuvent investir, car d’abord ils n’ont pas d'autres alternatives d'investissement, et que les valorisations du marché action sont au plus bas. “Si une entreprise, même affaiblie par la crise, mais qui dispose d’un business model qui roule, se présente aujourd'hui au marché, elle peut faire de belles levées. Car ce qui compte finalement, c’est l’avenir. Un investisseur achète un business plan, une stratégie, et il cherche le juste prix. Tous les ingrédients sont donc là pour des levées en capital, mais les candidats sont malheureusement absents”, déplore-t-il.
Marché obligataire : de grandes levées se préparent
Idem sur le marché de la dette obligataire, qui est également ouvert à toute sorte d'entreprise : grands groupes, établissements publics comme les TPME. Un marché qui est très animé, où la demande est très forte du fait de la baisse historique des taux des Bons de Trésor. “Les bons de Trésor ne rémunèrent que très peu aujourd’hui. Il suffit d’offrir une prime de risque intéressante au marché pour que les investisseurs suivent”, explique notre source du marché.
Ces primes de risque peuvent toutefois être très élevées par rapport à la norme, prévient-il, au vu de l'incertitude qui entoure l’économie, mais ca reste un mécanisme qui peut coûter moins cher que le crédit bancaire pur et dur. “Il faut présenter des garanties de solvabilité comme pour une banque, mais l'entreprise peut avoir des conditions plus intéressantes que les taux bancaires qui démarrent pour les crédits à MLT (non garantis par l’Etat) à 4,5% ou à 5%, avec des possibilités de remboursement in fine qui ne sont pas offertes par les banques par exemple”, détaille notre source.
Les grandes entreprises, comme les banques, les promoteurs immobiliers, les sociétés de financement ou certains établissements publics sont habitués aux levées obligataires. Et beaucoup d’entre elles, selon notre source, se préparent à faire des levées dans les prochaines semaines pour renflouer leur fonds propres, avec des primes de risques qui seront plus importantes qu'avant.
La phobie du banquier d’affaires
Mais ce marché de la dette privée est adressé également aux PME, qui peuvent y lever jusqu’à 20 MDH si leur chiffre d'affaires ne dépasse pas les 500 MDH, avec un total bilan de moins de 200 MDH.
Une offre qui s'adresse à la masse des PME, mais qui exige également une certaine transparence, car l'emprunteur a l'obligation de publier ses comptes de manière régulière pour informer le marché sur sa bonne santé financière.
“Pour développer ces instruments de financement et sortir du schéma classique du financement bancaire, il nous faut un changement de mentalité. Tant que les entrepreneurs, les porteurs de projets n'acceptent pas d'évoluer dans une certaine transparence, le marché ne pourra jamais se développer. C’est une question culturelle”, se désole notre source du marché.
Les pouvoirs publics ainsi que l’autorité des marchés ont eu beau faire les yeux doux aux entreprises, en adaptant les critères d'accès, en allégeant les obligations de communication financière voire même en accordant des avantages fiscaux aux nouveaux entrants, comme cette exonération de 50% de l’IS sur trois ans pour toute levée d’argent en Bourse, mais rien n’y fait.
Il faut dire aussi que l'univers de la Bourse est méconnu, et fait des fois peur à beaucoup d'entrepreneurs.
“Pour s'introduire en Bourse ou réaliser une levée obligataire, la première étape c’est de dealer avec une banque d'affaires, qui devra réaliser des audits, des due diligence, faire des valorisations, challenger le business plan de la société, obtenir des VISA des autorités des marchés… Un univers nouveau pour plusieurs entrepreneurs qui préfèrent cette relation de proximité avec le conseiller clientèle de l’agence du coin, avec qui ils parlent le même langage, prennent un café de temps en temps, se racontent des blagues en darija…”, explique un ancien acteur des marchés reconverti dans le conseil pour TPME.
En plus donc de l'obstacle culturel de la transparence, l'univers de la Bourse, associé à des cols blancs francophones, surdiplômés, qui ne s'adressent qu’à l’élite, doit être également décomplexé.
Et pour cela, “c’est tout un travail de com’ et de pédagogie qu’il faut faire. Pas dans les salons des hôtels 5 étoiles de Casablanca, mais en allant au contact des TPME sur le terrain, là où ils travaillent. Les banquiers d'affaires, et les gens de la Bourse de Casablanca doivent sortir sur le terrain un peu, faire de la prospection, du commercial, convaincre les gens, leur montrer l'intérêt financier d'une IPO ou d'une levée obligataire... C’est la seule manière pour rendre la Bourse populaire. Je n’en vois aucune autre”, explique le conseiller en financement de TPME.
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