Crise du Covid-19 : l'analyse de Khalid Cheddadi

Mehdi Michbal | Le 2/6/2020 à 19:20

EXCLUSIF. Les prises de parole du patron de la CIMR sont rares mais très précieuses. Comptant parmi les plus grands acteurs du marché financier, il nous livre ici son analyse de la crise du Covid-19, du krach boursier qu’elle a engendré, l’impact sur ses activités et son portefeuille de placement et nous donne son appréciation sur certaines leçons à tirer de cette épreuve sanitaire et économique.

PDG de la CIMR, Khalid Cheddadi gère une caisse dédiée exclusivement aux retraites complémentaires des salariés du secteur privé. Et est également de par l’ampleur des réserves qu’il gère (près de 50 milliards de dirhams) un des gros acteurs du marché financier marocain.

La crise du Covid-19 le touche donc doublement : le risque de diminution de la collecte des cotisations qui se fait auprès d’entreprises fragilisées par la crise. Et la baisse brutale de la valeur et du rendement de son portefeuille actions du fait du krash boursier et de la suspension de la distribution de dividendes décidées par plusieurs entreprises de la place casablancaise.

Comment la CIMR vit-elle cette crise ? Quel sera son impact sur les comptes et les équilibres de la caisse ? Comment Khalid Cheddadi interprète cette forte baisse du marché boursier ? Comment a-t-il réagi pour en gérer les conséquences et amortir le choc sur son rythme d’activité et la valeur de ses placements ? Et quelles sont ses anticipations pour le reste de l’année ?

Des réponses qu’il nous livre dans cette interview, où il s’exprime également en tant qu’acteur au centre de plusieurs enjeux (économiques, financiers et sociaux) sur ce que révèle cette crise à ses yeux, le rôle que les institutionnels peuvent jouer dans l’effort public de relance ainsi que la stratégie que peut mener le Maroc pour mieux se positionner dans le monde post-Covid.

- LeBoursier : La CIMR est la caisse par excellence du secteur privé, qui collecte et gère les retraites complémentaires de plus de 360.000 salariés. Avec une économie à l’arrêt suite au confinement, la baisse de l’activité des entreprises, les mesures de chômage partiel instaurées par un grand nombre d’entreprises…, l’impact sur les cotisations collectées a dû être brutal. Comment vivez-vous cette période ? Quel a été l’impact de cette crise sur la collecte de cotisations ? Y-a-t il eu une baisse du nombre d’adhérents ?

- Khalid Cheddadi : Le choc n’est pas encore visible chez nous. Comme vous le savez, les cotisations de nos adhérents sont versées de manière trimestrielle. La crise ne s’est déclarée au Maroc que vers la mi-mars, ce qui fait que l’impact sur le premier trimestre était relativement faible. Nous avons même observé durant ce premier trimestre une augmentation des collectes de 6% par rapport au premier trimestre de 2019. En revanche, nous constatons un léger ralentissement dans les encaissements de l’ordre de 9%.

L’impact sera forcément plus visible sur le deuxième trimestre. Il y a des entreprises qui ont eu recours au chômage partiel, d’autres qui ont demandé une suspension des cotisations dans le cadre des mesures décidées lors de notre Conseil d’administration du 12 mai. Cet impact, on ne pourra en connaître l’ampleur qu’à partir de juillet.

- Est-ce que vous anticipez des suspensions massives, voire même une fuite des adhérents ?

Si vous voulez dire par « fuite », le départ définitif des adhérents, je peux vous dire qu’on n’a pas d’inquiétude là-dessus. Les adhérents, en général, ne quittent pas la CIMR parce qu’il y a un engagement de long terme. Il y a des dispositions statutaires aussi qui ne permettent pas à un adhérent de quitter le régime une fois qu’il y est inscrit. D’un autre côté, quand un employeur donne un avantage de retraite complémentaire à un salarié, il ne peut pas le lui enlever, parce que ça devient un avantage acquis. Donc la fuite telle que vous l’entendez ne nous inquiète pas.

En revanche, les suspensions partielles, ça c’est possible. Cela fait d’ailleurs partie des mesures que nous avons proposées aux entreprises impactées par la crise du Covid.

- Que leur avez-vous proposé ?

On a proposé aux entreprises dont le chiffre d’affaires a baissé de 60% par rapport au même trimestre de 2019 de suspendre leur adhésion pendant ce trimestre. En leur donnant malgré tout la possibilité -si elles retrouvent une meilleure santé dans l’avenir et qu’elles veulent redonner à leurs salariés les avantages dont elles les ont privés pendant la suspension partielle- de cotiser au titre de la période de suspension et de payer sur une période étalée qui peut aller jusqu’en 2025.

- Ces reports de cotisations se feront-ils sans indemnités de retard ?

En fait, il y a une indemnité de retard. Mais elle est atténuée. Alors que statutairement elle est fixée à 12%, elle a été ramenée à 5%. Et ce n’est pas en réalité une indemnité de retard. Nous sommes dans un système d’épargne, et quand une entreprise va nous payer en 2024 les contributions relatives au deuxième trimestre 2020, nous comptabilisons la cotisation perçue en 2024 comme si elle avait été reçue en 2020 et comme si elle avait donc généré un revenu financier pendant ce temps. C’est donc une sorte de compensation des revenus que cette contribution aurait pu générer comme rendement pendant cette période de décalage.

On a pour ainsi dire essayé de décharger les entreprises, temporairement, du poids des cotisations, parce que cette crise, c’est avant tout une crise de trésorerie.

- Ces suspensions des cotisations, ou leur report, auront-elles un impact sur l’équilibre du régime, sachant que la hantise d’un gestionnaire de retraite c’est de voir le nombre de cotisants baisser quand le nombre de retraités servis augmente?

L’impact sur le plan financier peut être un peu lourd, surtout si on ajoute à cela l’impact de la baisse des marchés financiers. On a fait, ceci étant dit, des simulations avec trois scénarios : optimiste, central et pessimiste. En évaluant pour chaque cas, le respect des indicateurs de pérennité qui sont fixés par la réglementation. Les résultats ont été rassurants, car le régime arrive à passer l’épreuve même pour le cas le plus pessimiste.

- Que prévoit par exemple le scénario pessimiste ?

Les trois scénarios prévoyaient des baisses de chiffre d’affaires sur l’année 2020 à des degrés différents: une baisse de 25% pour le scénario optimiste, 34% pour le central et 40% pour le scénario le plus pessimiste.

Ça reste, je le précise, des scénarios qui peuvent se réaliser ou pas. Pour vous donner un exemple, on avait anticipé dans nos prévisions une baisse de chiffre d’affaires de 13% sur le premier trimestre. Or, le chiffre d’affaires a connu une hausse sur cette période. Pour le coup, nous n’avons pas visé juste. Et nos anticipations se sont révélées être plus pessimistes que la réalité.

Mais ce qui importe le plus dans ces projections, c’est que même dans un cas pessimiste, les critères de pérennité restent respectés.

- Il y a peut-être aussi une variable qui risque de peser sur vos collectes : la montée du chômage induite par la crise économique. Est-ce que cela représente un risque pour vous ?

Cela dépend de comment on voit les choses et comment sera négociée la sortie de crise. A mon avis, l’emploi le plus menacé, c’est l’emploi intérimaire. Les emplois stables, les CDI, ne seront pas très touchés. Les entreprises qui vont connaitre des difficultés auront besoin d’aides de la part de l’Etat et des banques. Et l’Etat, je pense, va conditionner les aides accordées par le maintien de l’emploi. Ce qui est tout à fait raisonnable. On ne peut pas recevoir d’aides publiques sans contrepartie, il faut qu’on agisse dans un cadre solidaire.

Je pense donc que les entreprises vont maintenir les postes salariés. Ceux qui vont souffrir le plus, ce sont les CDD, les intérimaires… Ce qui, en vérité, n’est pas notre population en termes d’affilés au niveau de la CIMR.

- Autre impact de cette crise sur la CIMR, le krach du marché boursier, où une bonne partie de vos réserves sont placées. Le MASI a perdu jusque-là près de 20%. Pensez-vous d’abord que cette forte baisse est justifiée ? 

Comme on dit, le marché a toujours raison. C’est lui qui fixe les prix. En fait, cette baisse des cours reflète l’incertitude dans laquelle se trouve l’investisseur. Parce qu’aujourd’hui, personne ne peut dire comment vont évoluer les choses.

Exemple des banques : notre système bancaire est certes très solide, mais on ne sait pas quelles seraient les effets de cette crise sur les acteurs du secteur. Avec le nombre d’entreprises en difficulté qui ne seront pas en mesure d’honorer leurs engagements, des défaillances vont se produire. Tout le monde sait que ce phénomène va se réaliser, mais personne aujourd’hui ne peut en prévoir l’ampleur.

Autre exemple, celui de l’immobilier. Tous les chantiers et toutes les transactions se sont arrêtés d’un seul coup. Et dans ces périodes d’incertitude, on sait aussi que les ménages préfèrent garder leur argent disponible plutôt que de l’investir dans la pierre. On ne sait pas donc comment les choses vont évoluer…

Nous sommes donc dans une période d’incertitude qui amplifie un peu l’appréciation négative de l’évolution de l’économie. Le maximum de la baisse correspond au maximum de l’incertitude perçue par les investisseurs.

C’est pour vous dire que l’effet est là, on le constate, mais que personne ne peut mesurer la baisse justifiée que doit subir le marché d’ici la fin de l’année.

- Cela peut donc baisser davantage, comme se rééquilibrer… Rien n’est sûr en fait ?

Je pense qu’on va passer par une période de montages russes…

- Quel sera donc l’impact de ce krach sur le portefeuille action de la CIMR ?

L’impact des cours boursiers dépend du jour où vous posez la question. L’impact était de plusieurs milliards de dirhams quand le marché avait baissé de 25%. Maintenant, les cours remontent et donc l’impact a été atténué.

Globalement, la tendance au quotidien des cours, ce n’est pas le plus important pour nous, car nous sommes dans une logique d’investissement de long terme. On a des investissements bien ciblés, et nous savons que le portefeuille peut être chahuté pendant un certain temps (un an ou un an et demi), mais nous savons aussi que les cours vont reprendre. Nous n’avons donc pas intérêt à changer nos positions d’investissement.

Cette baisse des cours va impacter le bilan de la CIMR. C’est une certitude. Mais ce n’est pas ce qui nous inquiète le plus, car nous savons que nous allons récupérer ces pertes plus tard.

- En plus de la baisse des indices, des suspensions de dividendes ont été annoncées par plusieurs entreprises cotées. Les dividendes, c’est ce qui assure en général un rendement stable à votre portefeuille. C’est une double peine finalement pour l’investisseur que vous êtes ?

Les dividendes, ça c’est une autre histoire. Avant que Bank Al-Maghrib ne publie sa circulaire sur la suspension des dividendes des banques, l’impact que nous avions calculé était minime. On prévoyait pour 2020 le même niveau de dividendes que celui de 2019. Ce qui va probablement changer après cette directive.

Ceci dit, Bank Al-Maghrib n’a pas interdit aux banques de distribuer des dividendes, mais leur a demandé de temporiser, avec des accords au cas pas cas. Nous n’excluons pas qu’il y ait des distributions de dividendes sous forme d’actions. Auquel cas, l’objectif visé par Bank Al-Maghrib serait atteint, c'est-à-dire que l’argent restera dans les banques. Et pour nous, ça constituerait une rémunération qui toucherait notre compte d’exploitation. A ce moment là, il n’y aura pas réellement d’impact sur nous en termes de dividendes.

En revanche, pour les dividendes attendus en 2021 sur la base des résultats de 2020, là il y aura un impact sûr. L’activité et les résultats de plusieurs sociétés cotées seront touchés en 2020. Comme les banques, les secteurs de l’immobilier et des matériaux de construction. Mais on ne connait pas encore l’ampleur que prendra cette baisse des résultats. D’autres secteurs en revanche vont être épargnés, comme les télécoms et l’agroalimentaire. Donc, cela va dépendre des secteurs.

Pour résumer, en 2020, on ne sera pas touché en termes de rendement des dividendes, mais pour 2021, l’impact sur nos comptes d’exploitation sera certain.

- Le rendement financier de votre portefeuille sera-t-il négatif cette année ?

Si on inclut la dépréciation du portefeuille, ça se pourrait, oui. Mais tout dépend de la baisse du marché à la fin de l’année. Si on finit l’année sur une baisse des cours de 10%, je pense que le résultat financier pourrait rester positif. Mais si la baisse atteint 20 ou 25%, on passera certainement à un résultat négatif.

- Le krach boursier à Casablanca a été subit et rapide, avant même l’annonce du premier cas de Covid-19 au Maroc. Commet la CIMR a réagi durant ces premiers jours de panique, où on a observé un grand mouvement vendeur avec, en face, peu d’acheteurs ? De quel côté étiez-vous placés ?

Les institutionnels sont de gros paquebots, difficiles à faire bouger. Si vous mettez sur le marché une centaine d’actions, vous pouvez les vendre quelque soit le prix. Mais si vous mettez 10% d’une valeur, vous ne pouvez pas la vendre du jour au lendemain. Donc, les institutionnels, en général, dans ce genre de situations ne réagissent pas immédiatement. Et s’ils réagissent en vendant des petites quantités, ce serait simplement se tirer une balle dans le pied. Car ça peut sauver une partie infime du portefeuille, mais impacterait le reste, le plus gros, de manière négative.

Le principe pour les institutionnels, c’est de ne pas bouger en cas de panique boursière. C’est ce que nous avons fait.

Nous sommes un acteur de l’économie marocaine, on est obligé d’y investir. Si on sort du marché actions, où est ce qu’on va aller ? On est obligé d’investir, de partager le sort de notre économie, de la soutenir.

- Les institutionnels sont justement très attendus dans ces moments de crise, ils sont les seuls qui ont la capacité d’amortir les chocs. Avez-vous joué ce rôle en vous mettant par exemple en position acheteuse pour équilibrer un peu les carnets de commandes ?

C’est ce que nous avons fait en effet. Nous avons investi sur cette période près de 600 millions de dirhams.

- Si la baisse du marché impacte directement la valeur de votre portefeuille, elle est peut être une opportunité pour vous, puisque vous pouvez désormais placer vos excédents à des niveaux de valorisations assez intéressants. Peut-on dire finalement que cette baisse du marché a été une bonne chose pour des investisseurs comme vous qui se plaignaient ces dernières années des niveaux chers de valorisation et du manque de papier frais sur la place ?

Ça fait un peu mal au cœur de dire que le malheur des uns fait le bonheur des autres. Mais avec ces niveaux de baisse, certaines valeurs sont en effet redevenues intéressantes à l’achat. Ca fait en même temps des possibilités de sortie pour ceux qui veulent vendre, ce qui est important. Et ça freine surtout la baisse du marché. Donc ça arrange finalement toutes les parties, les acheteurs comme les vendeurs.

- Autre grande composante de votre portefeuille, les Bons du Trésor et les produits monétaires et obligataires. Jusque là, le niveau historiquement bas des taux pénalisait les rendements de vos nouveaux placements. Pensez-vous que cela changera au cours de l’année, notamment avec les levées importantes que l’Etat compte opérer sur le marché de la dette ?

C’est une question qui a été beaucoup discutée sur le marché. La compréhension des investisseurs aujourd’hui, c’est qu’il n’y aura pas de hausse des taux. Ils pensent que Bank Al-Maghrib voudrait en tout cas éviter ce scénario quitte à intervenir sur le marché secondaire en rachetant des titres du Trésor.

- Pourquoi à votre avis la banque centrale tient-elle à ce que les taux des obligations d’Etat restent bas et freiner ce mouvement naturel du marché ?

L’objectif, je pense, c’est de maintenir son taux directeur à un niveau bas. Il est aujourd’hui de 2%, et peut être qu’il subira une nouvelle baisse pour alléger le coût du crédit pour les entreprises.

- Pour la partie monétaire, on comprend ce souci. Mais en quoi le maintien du taux directeur à un niveau bas peut empêcher les taux des bons de Trésor de monter ?

Les taux des maturités courtes impactent aussi les maturités moyennes et longues. En général, la courbe des taux se comporte de la même manière. Je ne pense pas donc qu’il y aura une augmentation des taux des Bons de Trésor sur l’année.

- Globalement, les retraités et cotisants de la CIMR ont-il du souci à se faire sur le niveau de leurs pensions actuelles et futures ? 

Les retraités n’ont aucun souci à se faire. Les simulations que nous avons réalisées nous montrent bien que les équilibres du régime restent bons même dans le cas le plus pessimiste.

Car finalement, la seule chose qui pourrait menacer les retraités ou les cotisants, c’est quand les indicateurs de pérennité ne sont plus respectés. Ce qui nous obligerait à modifier les paramètres du système, et notamment baisser les prestations. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure. Nous avons même une bonne marge de sécurité.

-  Pour la relance de l’économie, le ministre des Finances a annoncé que le Trésor impliquera les institutionnels dans l’effort d’investissement public, à travers certains mécanismes innovants de financement. Ce qui correspond parfaitement à votre désir, réitéré à maintes reprises, d’accompagner l’Etat dans certains investissements publics pour à la fois placer vos liquidités et diversifier votre portefeuille. Vous serez donc appelé à jouer un rôle dans la relance. Que pensez-vous de cette annonce ? Et est-ce qu’il y a des discussions qui sont en cours avec les pouvoirs publics à ce sujet ?

Je ne vais pas changer de point de vue par rapport au rôle que peuvent jouer les institutionnels pour soutenir l’Etat dans les investissements en infrastructures. Surtout s’il s’agit d’investissements de long terme, avec un rendement moyen et régulier, légèrement supérieur au rendement des Bons du Trésor. Ce qui permet de donner une garantie aux retraités.

Nous avons justement ouvert des dossiers avec le ministère des Finances pour étudier la possibilité de reprendre quelques actifs immobiliers de l’Etat. Mais la démarche n’a pas encore aboutit. Nous sommes disposés à reprendre les discussions sur ces dossiers.

- L’idée, c’est de reprendre des actifs de l’Etat, en injectant ainsi du cash dans le budget public, et de les relouer avec un rendement régulier qui permette de rémunérer l’épargne des cotisants. C’est bien cela ?

C’est cela le schéma que nous étudions, en effet.

- Le ministre des Finances a parlé aussi d’un autre schéma : la création de fonds dédiés ouverts aux institutionnels dans l’optique de financer des investissements publics mais aussi de recapitaliser certaines entreprises publiques ou privées fragilisées par la crise. Seriez-vous intéressés par ce genre de mécanismes ?

Pour l’instant, je ne sais pas exactement comment ce mécanisme devrait fonctionner, comment seront gérés ces fonds, à qui ils seront destinés...Il me sera difficile à ce stade de donner une opinion là-dessus.

- Vous êtes un acteur au centre de plusieurs enjeux, économiques, sociaux et financiers. Quel regard portez-vous sur cette crise inédite ? Qu’est-ce qu’elle a révélé à vos yeux ?

Il y a d’abord certaines questions qu’on ne peut pas éviter de se poser quand on voit la manière avec laquelle cette crise a été gérée de par le monde. Avec du recul, je me demande si on n’a pas un petit peu exagéré les choses. Quand on compare les conséquences sanitaires du Covid-19 à celles de la grippe saisonnière par exemple, on reste très loin des taux de mortalité enregistrés.

Le mouvement de panique s’explique à mon avis par le degré de contagiosité de cette maladie. Le fait qu’elle se répande très rapidement risquait de saturer les capacités hospitalières. D’où les réactions qu’on a eu.

On ne peut pas éviter non plus de se poser la question sur les confinements qui ont été imposés, leur durée, leur impact sur l’économie. Là aussi, on peut se dire, se demander, si on en n’a pas un peu trop fait. Ce sont des questions qui me paraissent légitimes et qu’on doit se poser.

Pour le reste, cette crise a révélé pour moi que le Maroc est un pays qui peut avoir des réactions extraordinaires. On a eu l’idée géniale de réagir très vite, de créer le fonds anti-Covid, d’installer le CVE… Et on a constaté que l’administration marocaine qu’on considérait comme incapable de réagir, d’être inventive, a été très efficace. Notre jugement sur l’administration était donc complètement faux.

L’administration s’est montrée d’une extrême réactivité, vigilance, avec une extraordinaire mobilisation sur le terrain, un grand dévouement… Et la conclusion que j’en tire, c’est que l’administration marocaine n’est pas mauvaise, elle peut même être excellente, mais on ne sait peut-être pas la motiver comme il le faut. Pendant cette crise, la motivation était là, et tout le monde a, du coup, donné le maximum de lui-même. Il n’y a pas de rasions pour que ca ne soit pas un état permanent de notre administration…

Autre réflexion que je me fais : la réaction des Marocains par rapport aux règles, à la rigueur, au respect de la loi. On a vu avec cette crise des Marocains faire une queue de 50 mètres devant une boulangerie pour acheter du pain. Cette rigueur et respect des règles étaient inimaginables il y a six mois.

J’en conclu que l’état de désordre que l’on pouvait percevoir avant la crise n’est pas dû à l’incapacité du Marocain à respecter la loi ou les règles, mais au fait que personne n’était là pour faire respecter ces lois et ces règles. Finalement, le Marocain n’a aucun problème à respecter les règles, les lois, pourvu qu’elles s’appliquent à tout le monde.

Ce sont aujourd’hui des conclusions et des évidences qu’on tire de cette crise mais qui peuvent à mon avis changer complètent notre société si on arrive à capitaliser dessus. Beaucoup de nos problèmes provenaient de ces deux éléments : le non respect des règles et le manque de motivation de l’administration.

- Cette crise nécessite, comme l’appellent plusieurs intellectuels dans le monde, de grandes transformations, aussi bien sociales qu’économiques. Mais surtout un changement de dogme, de référentiel et de logiciel de pensée. On parle par exemple de « démondialisation », du retour au « souverainisme économique », de l’Etat « protecteur » ou « providence ». Que pensez-vous de ces débats ? Comment le Maroc peut se repositionner dans ce nouveau paysage mondial ? Ce souverainisme qui revient en Europe et qui se matérialisera par des relocalisations industrielles est-il par exemple une menace pour notre modèle ou une opportunité ? 

Je pense d’abord que tout ce qui se fait dans le monde aujourd’hui se fait dans le seul intérêt des grands pays, le bloc européen, les Etats-Unis et la Chine. Ils changent les règles en fonction de leurs intérêts. Effectivement, cette crise a montré les limites de la mondialisation, des limites qu’on commençait déjà à voir dans le conflit sino-américain. Il n’y a pas beaucoup à parier que demain les américaines balaient toutes les règles de l’OMC parce qu’ils se sentent menacés par l’économie chinoise.

Nous n’avons pas notre mot à dire dans tout ca, malheureusement. On est obligé de suivre. Mais il faut qu’on ait une bonne stratégie, qu’on suive des blocs avec lesquels on peut partager des intérêts, des blocs qui peuvent servir nos intérêts comme on peut servir les leurs.

Les européens ont constaté avec cette crise leur dépendance vis-à-vis de l’économie et l’industrie chinoise. La Chine, c’est une culture différente de la leur, et c’est surtout une puissance sur laquelle ils n’ont aucune emprise. Avoir beaucoup de produits consommés qui proviennent de Chine est de nature à leur donner quelques sueurs froides.

C’est pour cela qu’on parle de relocalisations. Mais il ne faut pas non plus se faire trop d’illusions. Nous restons dans un marché qui est soumis à la logique des prix et donc relocaliser les industries de Chine vers l’Europe, ça ne peut pas se faire. C’est un non sens économique. Par contre, les mettre dans un pays de proximité, avec lequel on peut renforcer les relations, avoir des intérêts capitalistiques, est tout à fait envisageable. C’est ça l’opportunité que cette crise ouvre pour le Maroc.

- Vous pensez donc que le Maroc peut capter une partie de ces flux de relocalisation industrielle ?

En effet. Nous avons une proximité géographique, une proximité culturelle, une proximité entre les milieux d’affaires… Ce sont des critères très importants. Les gens se comprennent, une grande partie des cadres marocains connaissent les méthodes de gestion européennes. Le Maroc est en plus un pays très stable sur le plan politique. Nous présentons un faisceau de caractéristiques positives pour qu’il y ait une augmentation des investissements directs européens dans les prochaines années, si bien sûr cette stratégie que veut mener l’Europe se concrétise.

- Pour la relance, beaucoup d’économistes recommandent de mettre, en parallèle à,l'activation de la dépense publique, une bonne dose d’inflation pour soutenir la croissance et alléger une partie du fardeau de la dette publique qui naîtra de cette crise. Une idée qui parait séduisante sur le papier, mais dont les premières victimes seront les épargnants, et les retraités notamment. Cette option vous paraît-elle raisonnable ?

Pour un gestionnaire des retraites, la montée de l’inflation serait un scénario destructeur, désastreux. Ceci étant dit, je pense qu’on n’est pas du tout dans cette logique au Maroc.

D’abord, je ne crois pas que Bank Al-Maghrib veuille s’engager dans une politique monétaire inflationniste en activant des leviers comme les taux ou la dette. Et ces leviers monétaires ne constituent finalement qu’une partie des variables qui jouent sur l’inflation.

Les composantes de l’inflation sont de plusieurs natures. Et elles sont totalement absentes aujourd’hui. Si vous regardez ce qui se passe sur les marchés internationaux, il n’y a pas de raison que les prix des matières premières augmentent par exemple. Au contraire, nous sommes dans une situation où la demande sur les matières premières a fortement baissé, et la reprise sera très lente. Quand on voit également les capacités de production de matières premières non utilisées un peu partout dans le monde, il y a fort à parier que les prix ne remonteront pas de sitôt.

Autre composante qui n’est pas présente : la hausse des salaires. Les entreprises passent par une crise très forte, le marché de l’emploi est déprimé, et certaines entreprises ont été même obligées de réduire temporairement les salaires de leurs collaborateurs. Je ne pense pas que l’on soit dans une situation où les salaires vont augmenter fortement.

Il y a aussi le coût du transport qui joue dans l’équation de l’inflation. Là aussi, les échanges internationaux ont été fortement impactés réduisant les flux. Ils vont certes reprendre petit à petit, mais les prix logistiques ne vont pas augmenter pour autant.

Autre élément qui impacte l’inflation et qui n’est pas présent dans le cas du Maroc aujourd’hui, le risque de dévaluation de la monnaie. Comme vous le savez, le taux de change du Dirham est lié au panier Euro-Dollar, et même s’il peut fluctuer par rapport à sa valeur théorique, la marge de fluctuation est limitée.

On n’est pas, en somme, dans un contexte favorable à l’inflation. Je ne crois pas donc en ce scénario inflationniste dans les deux ou trois prochaines années à venir.

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