L’Algérie retient son souffle à trois jours des présidentielles

REPORTAGE. En février dernier, les Algériens se sont soulevés contre le pouvoir en place. Depuis, la contestation n’a pas faibli d’un iota et si le peuple a réussi à faire éjecter l’ancien président Abdelaziz Bouteflika et à annuler les élections prévues en juin dernier, un véritable bras de fer se joue en ce moment entre la rue et le nouvel homme fort du pays, le chef d’État-major Gaïd Salah.

L’Algérie retient son souffle à trois jours des présidentielles

Le 10 décembre 2019 à 14h48

Modifié le 11 avril 2021 à 2h44

REPORTAGE. En février dernier, les Algériens se sont soulevés contre le pouvoir en place. Depuis, la contestation n’a pas faibli d’un iota et si le peuple a réussi à faire éjecter l’ancien président Abdelaziz Bouteflika et à annuler les élections prévues en juin dernier, un véritable bras de fer se joue en ce moment entre la rue et le nouvel homme fort du pays, le chef d’État-major Gaïd Salah.

[ALGER - Par Amira Géhanne Khalfallah].- Il fallait une action d’envergure à l’heure où certains pensent que les marches ne suffisent plus. En Algérie, une grève générale a été décrétée pour mettre la pression sur le gouvernement et annuler le vote présidentiel programmé le 12 décembre.

Lundi 9 décembre, la Kabylie, région historiquement contestataire, a répondu à l’appel et le mouvement de grève a été massivement suivi. "Ils ont même muré les communes, posant des briques à l’entrée de la mairie", dit fièrement Khaled, chauffeur de taxi à Alger originaire de la montagne d’Akfadu en Kabylie.

En prenant la route de la corniche kabyle, s’égrènent sur la côte Est de Béjaïa, les petites villes et villages touristiques où l’on s’arrête d’habitude pour acheter poteries colorées, bijoux émaillés ou autres robes kabyles chatoyantes en fredonnant des refrains de Aït Menguellat ou de Matoub Lounes. Mais cette fois-ci, Tichy, Aoukas et Souk el Tenine sont silencieuses. La route qui mène vers la Grande Kabylie, dont Tizi-Ouzou est le chef-lieu, est voilée d’un épais brouillard, la visibilité est très faible mais on peut facilement entrevoir les magasins aux rideaux baissés. Les Kabyles ont clairement manifesté leur refus de se soumettre à ce qu’ils appellent "la mascarade électorale". 

A Alger, la grève suivie partiellement

A J-2 des élections, Alger se réveille comme à l’accoutumée. Bab El Oued, Bouloughine, Alger-centre sont en travaux. Les échafaudages couvrent les devantures des beaux immeubles algérois, la ville est en chantier, tout comme le pays qui a du mal à panser ses blessures.

A Alger, la grève n’a été suivie que partiellement, une asymétrie qui n’a pas découragé les étudiants. A la fac centrale d’Alger, des groupes d’étudiants scandent leurs mots d’ordres habituels "Makayench intikhabat m3a el 3issabat" (Nul vote avec la mafia).

Jihane, étudiante en agronomie est venue d’El-Harrach (banlieue-Est d’Alger). Avec ses camarades, ils ont déversé leur colère au centre de la capitale et ont rejoint les étudiants de la fac centrale. La grève dans les universités algéroises est massivement suivie : "Nous sommes venus au centre d’Alger pour contester et dire non aux élections dans les conditions actuelles. On ne voulait pas rester à El-Harrach, là-bas, on ne se fait pas entendre et on ne dérange personne. Ici, on est au bon endroit", explique l’étudiante, un sourire accroché aux lèvres.

Mais il n’y a pas que des étudiants dans les rues d’Alger, les policiers et les BRI (Brigade de recherche et d’intervention), lourdement équipés sont partout. Jamais Alger n’a été investie d’autant de véhicules de police.

Des rassemblements se forment au cœur de la capitale spontanément et à tout instant comme ce groupe d’étudiants kabyles qui clament à qui veut l’entendre rue Didouche "Ulach l’vote Ulach" (pas de vote). Un peu plus loin, on aperçoit le tribunal de Sidi M’hamed où ont été jugés les anciens Premier ministre et chef du gouvernement (Ahmed Ouyahia et Abdelmajid Sellal).

Le juge d’instruction a requis 20 ans de prison contre les deux anciens commis de l’Etat que l’on accuse d’avoir détourné des centaines de milliers de milliards. Finalement, ils ont été condamnés à 15 ans et 12 ans de prison ferme. Si les chiffres sortis dans la presse ont choqué les Algériens, le procès spectacle l'a été beaucoup moins. "Ce sont ces mêmes juges qui condamnent les jeunes manifestants et les détenus d’opinion", fait remarquer Maya Ouabadi, éditrice de la revue littéraire Fassl.

Revendications ignorées

Le vendredi est le jour des manifestations en Algérie, c’est devenu un rituel. Enfants, adolescents, jeunes ou vieux arborent fièrement le drapeau national. Des femmes drapées dans leur Hayek à l’ancienne ou cheveux aux vents clament leur soif de liberté. Les rues d’Alger sont en liesse. Après des années où tout rassemblement était interdit, les Algériens se rencontrent enfin. On organise des agoras dans les rues de la capitale pour parler droit constitutionnel et on se retrouve au pied du Théâtre national pour prendre la parole et décider des actions à venir. "Silmiya, silmiya", scandent les manifestants.

Ce dernier vendredi (6 décembre), la mobilisation était de taille. Selon Maya Ouabadi, "lors de ce 42ème vendredi, il y avait beaucoup de monde. Les slogans forts étaient de retour, il y avait une très belle énergie, l’appel à la grève était le leitmotiv de la marche. C’est ce qu’on peut appeler un bon vendredi, mais on avait conscience que ça n’allait pas arrêter le processus des élections. On circule dans deux mondes parallèles, ils ignorent complètement les revendications de la rue", poursuit-elle.

En effet, le soir même, le grand débat entre les cinq supposés candidats à la présidentielle était diffusé à la télévision nationale ENTV. "Trois heures où ils ont déblatéré des insanités", commente Sarah, universitaire. Cinq candidats qui ont pour la plupart occupé des postes de hauts-fonctionnaires de l’Etat, à l’instar de Benflis, ancien chef du gouvernement qui traîne pas mal de casseroles. "On veut du changement, ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre, ils nous sortent Benflis du placard. Il a 75 ans ! et a déjà fait partie du régime Bouteflika", s’indigne Jamel, étudiant en commerce.

A l’heure où nous mettons sous presse, quelque 150 prisonniers d’opinion sont détenus dans les prisons algériennes. Hajar Bali, autrice et membre du Réseau algérien de lutte contre la répression, pour la libération des détenus d’opinion, et pour les libertés démocratiques, parle de journalistes, de militants politiques, d’activistes sur les réseaux sociaux… Le réseau qui existe depuis juin dernier tente d’apporter une aide financière, affective et psychologique aux familles des détenus et des avocats bénévoles prennent en charge leur défense.

"Le pouvoir veut aller jusqu’au bout et nous irons jusqu’au bout aussi. Il ne faut pas se focaliser sur les élections. Je ne sens pas d’essoufflement dans le mouvement. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne veut pas d’affrontement. Nous gardons notre silmiya mais nous avons gagné beaucoup de choses, nous sommes passés par plusieurs phases et il y en aura certainement d’autres mais ce qui est sûr, c’est que le mensonge d’avant, c’est bien fini maintenant !", conclut la militante.  

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