Baisse du taux directeur : le geste très attendu de Abdellatif Jouahri

Mehdi Michbal | Le 23/9/2019 à 10:55

Le Conseil de Bank Al  Maghrib se tient ce mardi 24 septembre. Voici pourquoi nous pensons qu’il est temps de concéder une nouvelle baisse du taux directeur.

Le Conseil de Bank Al Maghrib se réunira ce mardi 24 septembre, pour statuer sur la situation économique et monétaire et prendre les décisions qui lui paraissent les plus adéquates dans le contexte actuel.

La mission principale de Bank Al Maghrib, comme de toute banque centrale, est de veiller à la stabilité des prix par un mécanisme de ciblage de l’inflation. Les décisions de son Conseil trimestriel portent essentiellement sur cela. Et ce Conseil dispose de plusieurs instruments pour monitorer les variations de prix, à la hausse comme à la baisse, dont le principal est le taux directeur.

Fixé actuellement à 2,25%, ce taux n’a pas bougé depuis mars 2016, dernière baisse concédée par Abdellatif Jouahri.

Un contexte qui justifie une nouvelle baisse

En augmentant ou en baissant le loyer de l’argent, Bank Al Maghrib agit directement sur le coût du crédit, et donc sur la création monétaire, la consommation et l’investissement.

Ainsi, quand elle constate un emballement des prix, la banque centrale peut choisir de relever son taux directeur. Une décision qui augmenterait les taux d’intérêts bancaires, ralentirait la demande de crédit aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises, et ajusterait donc à la baisse la demande sur les biens de consommation et d’équipement. Par ce jeu d’ajustement de la demande, la hausse des prix finit par se stabiliser ou s’alléger. Et inversement.

Au Maroc, on est plutôt dans la situation inverse. Les prix n’augmentent que très peu, de manière insuffisante voire pas "bonne" pour l’économie comme le soutient, à l’instar d’autres économistes nationaux, le Haut commissaire au Plan, Ahmed  Lahlimi.

>>>> Lire aussi : Débat. Faut-il lâcher l’inflation et le déficit budgétaire pour booster la croissance?

Le taux d’inflation ne dépasse pas 2% depuis de longues années. En 2019, ce taux sera à peine de 0,8% contre un petit 1,1% en 2018. Et il restera limité à 1% en 2020. Un taux anormalement bas pour un pays qui a besoin d’un véritable coup d’accélérateur sur la croissance.

Car in fine, si le taux directeur agit sur le prix de l’argent, il est également un des déterminants de la croissance. Moins le coût de l’argent est élevé, plus les entreprises et les ménages sont encouragés à s’endetter pour consommer et investir. Agir sur le taux directeur, c’est aussi agir sur le cycle de la production, la consommation, la croissance et l’emploi.

Les banques, un relais qui fait défaut

Ce schéma (théorique) suppose bien évidemment une transmission efficace des décisions de politique monétaire, dont les premiers agents sont les établissements bancaires. Car si les banques ne transmettent pas la décision en réalignant les taux d’intérêt pour en faire profiter les consommateurs et les entreprises, la Banque centrale aura beau réduire son taux directeur, il n’y aura pas le moindre impact sur l’économie. Et tout ce raisonnement tombe à l’eau.

Or, au Maroc — et cela a été prouvé à plusieurs reprises — les banques ne répercutent  pas de manière automatique les baisses du loyer de l’argent. Et ce pour plusieurs raisons, liées à la structure même de leur refinancement. Car si le marché monétaire, dit interbancaire, sert à financer régulièrement les creux de trésorerie à très court terme des banques, il n’est pas le principal pourvoyeur de liquidités pour nos banques, qui s’alimentent essentiellement en dépôts de la clientèle (dont l’essentiel ne sont pas rémunérés), en dette obligataire (de trésorerie ou à moyen et long terme) ou en capitaux durs.

Le taux directeur impacte néanmoins la rémunération des dépôts quand ils sont rémunérés (DAT et comptes sur carnet par exemple) et les taux sur le marché obligataire, mais cet effet est généralement différé dans le temps, d’où le sentiment que l’on peut avoir de non-transmission systématique des décisions de politique monétaire de Bank Al Maghrib.

Les banques sont souvent critiquées sur ce point, accusées par les agents économiques et les analystes de booster leurs marges d’intérêts en profitant de manière exclusive des baisses du loyer de l’argent décidées par Bank Al Maghrib.

Si demain Jouahri sort avec une baisse du taux directeur, l’impact donc sur le coût du crédit, la consommation, l’investissement et la croissance ne sera pas systématique.

La croissance au Maroc souffre de toutes manières de problèmes structurels. Agir sur les seuls instruments de politique monétaire — mal transmis de surcroît —  pour espérer une relance, c’est comme vouloir guérir une tumeur à l’aide de paracétamol. Il faudrait être très naïf pour croire le contraire.

La responsabilité "psychologique" de Abdellatif Jouahri

Mais cela compte finalement peu. Car au delà de la décision en elle-même de baisser ou pas le taux directeur, et de sa transmission, Bank Al Maghrib a aussi une responsabilité "psychologiqu : envoyer les signaux qu’il faut, quand il le faut.

En refusant depuis 2016 de concéder une nouvelle baisse du taux directeur, malgré les appels incessants du marché, Jouahri a envoyé jusque-là (et à juste titre) un signal de fermeté, en expliquant à chaque fois et de manière directe qu’il ne faut pas compter sur les instruments monétaires pour régler tous les problèmes. Une manière aussi de mettre les agents économiques et politiques devant leurs responsabilités. Mais cette fermeté ne doit pas se transformer en rigidité, au risque de produire l’effet inverse : alimenter le climat de tensions et renforcer le sentiment de défiance.

Si ça ne fait pas de bien, ça ne fera pas de mal

Le pays traverse une période difficile, une crise de confiance assez marquée. Et cette rentrée suscite de nombreux espoirs : large remaniement ministériel, rajeunissement du staff politique et administratif, activation de la régionalisation avancée, mise en place d’une commission royale pour un nouveau modèle de développement… Dans ce contexte, un geste de la Banque centrale concourant à toutes ces bonnes volontés de relance ne fera pas de mal.

Car si la Banque centrale est responsable de la politique monétaire du pays et de la stabilité des prix, elle est aussi attendue sur les signaux que ses plus hautes instances émettent.

Ce n’est pas pour rien que les sorties des patrons de la FED ou de la BCE sont scrutées dans leur moindre détail. On analyse bien sûr les décisions, mais aussi (et des fois de manière très excessive) les gestes et signaux qu’ils émettent, les mots, les phrases, leur ton, leur agencement… dans le but de capter le moindre indice sur le sens du vent.

C’est en cela que la décision que devra prendre demain le Conseil de Bank Al  Maghrib est très attendue. Elle ne sera pas à elle seule la solution à la panne de croissance que vit le pays, ne baissera pas de manière spectaculaire le coût de l’argent pour les ménages et les entreprises, mais agira comme un signal fort de volonté de concourir à l’effort national de relance et d’apaisement général des esprits et du climat politico-économique.

 

 

 

 

 

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