Global Nexus. Conflit ouvert entre investisseurs et Hynd Bouhia

Abdelali El Hourri ET Mehdi Michbal | Le 1/5/2019 à 20:34

ENQUETE. L’ancienne DG de la Bourse s’est lancée dans le capital investissement en créant, fin 2017, le fonds Green Innov Invest. Mais son business risque de tourner court à cause d’une plainte déposée contre elle à l’AMMC par un de ses partenaires dans le capital. Voici les détails de l’affaire.

Fondée et dirigée par Hynd Bouhia, la société de gestion de fonds en capital, Global Nexus, est dans la tourmente. Elle vit depuis quelques mois de graves désaccords entre les partenaires. Désaccords couronnés par une plainte déposée auprès de l’AMMC. La plainte a été initiée par H&A Investment Holding, un des investisseurs de l’unique fonds géré par la société, Green Innov Invest. Elle a été déposée le 29 mars chez le gendarme du marché, après une réunion tenue le 25 février entre les avocats de H&A (le cabinet Afrique Advisors) et les équipes de l’AMMC.

H&A Investment Holding a formulé à plusieurs reprises des griefs lourds qui risquent, dans le cas où ils étaient confirmés par les enquêteurs de l’AMMC, de mettre en péril l’activité de la société et du fonds qu’elle gère. Et de casser, au-delà de ce cas particulier, la cofinance dans l’industrie nationale du capital investissement.

Le Boursier et Médias 24 ont pris connaissance de cette plainte fin mars. Mais nous avons décidé de ne pas rendre publique cette information pour ne pas interférer dans le processus d’enquête de l’AMMC. Nous avons également considéré que tant que la justice n’a pas été saisie, l’affaire relevait d’un différend privé entre associés.

Cette position a changé après la publication de l’information du dépôt de la plainte par notre confrère TelQuel, ce mardi 30 avril. L’affaire est donc tombée dans le “domaine public“, et nous considérons désormais qu’il est de notre devoir de relater les faits qui sont en notre possession pour éclairer le marché sur les tenants et aboutissants du dossier.

Hynd Bouhia, une golden woman aux manettes d’un fonds d’amorçage

Mais commençons d’abord par situer le fonds Green Innov Invest, ses dirigeants, ses sponsors et sa vocation. 

Le fonds a été agréé le 8 décembre 2017 par l’AMMC dans le cadre de l’initiative Innov Invest de la Caisse Centrale de Garantie, lancée en octobre de la même année. Il fait partie des quatre fonds sélectionnés fin 2017 pour accompagner l’initiative de la CCG : Azur Innovation, Seaf Morocco Growt Fund et Maroc Numeric Fund II.

Azur Innovation et Seaf Morocco Growt Fund ont été choisis par la CCG après un appel à manifestation d’intérêt. Maroc Numeric Fund II et Green Innov Invest ont été retenus dans le cadre du dispositif dédié au soutien des initiatives privées, une procédure par laquelle la CCG vient en appui à des initiatives existantes visant le financement de startups innovantes.

Le programme Innov Invest est doté, pour rappel, d’une enveloppe de 500 MDH, un montant financé par la Banque mondiale par voie de prêt accordé à l’Etat marocain.

Green Innov Invest, sujet de la plainte, est porté par la société Global Nexus, fondée et dirigée depuis 2015 par Hynd Bouhia. Une femme connue du monde de la finance, puisqu’elle a été DG de la Bourse de Casablanca de 2007 à 2008, sous la présidence de Fathallah Berrada. 

Diplômée de HEC Paris et de Harvard University, elle a débuté sa carrière dans la Banque mondiale à Washington (1996 à 2004), avant d’intégrer le cabinet du premier ministre Driss Jettou en tant que chargé de mission (2004 à 2007). 

Le magazine Forbes la cite régulièrement dans son classement des femmes d’influence. En 2008, elle a été classée par la publication américaine 29e au palmarès des 100 dirigeantes les plus influentes du monde, devançant comme le relève alors Jeune Afrique, Ellen Johnson-Sirleaf, la présidente du Liberia, arrivée en 66e position.

C’est ce track record et ce brillant parcours qui ont poussé la CCG et ses partenaires à lui confier les fonds nécessaires pour le lancement de Green Innov Invest. Un fonds d’une taille initiale de 200 MDH, qui cible des entreprises agissant dans les secteurs de l’environnement, de l’énergie verte, de l’eau, de la valorisation des déchets…

Outre le plaignant H&A, ce fonds réunit dans son tour de table trois autres investisseurs, dont deux publics : la Caisse Centrale de Garantie, l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN), et la société privée Sefinia.

Sur un engagement total de 200 MDH, seuls 25 MDH ont été débloqués jusque-là par les quatre investisseurs en appel de la première tranche. Et c’est à partir des premiers versements que les soucis de Hynd Bouhia avec la holding d’El Fehdi, ont démarré, débouchant au fil du temps sur un ensemble de griefs connus par une partie du microcosme financier, objet de la plainte déposée à l’AMMC.

Ce que reproche H&A à Hynd Bouhia

Selon nos informations, les faits reprochés à Hynd Bouhia en tant que dirigeante de Global Nexus, société gestionnaire du fonds, sont nombreux. Certains relèvent de remarques sur la gouvernance du fonds (conformité des instances de décision et de contrôle), d’autres sur les procédures de souscription et de règlement-livraison des parts, l’égalité de traitement entre investisseurs, ainsi que la nature et la légalité des investissements réalisés. 

Premier grief : H&A dit avoir versé 10 MDH à la société de gestion sans recevoir les parts qui y correspondent, soupçonnant que son argent ait été utilisé à des fins qui ne correspondent pas à la nature des activités du fonds.

Le versement a été effectué chez la BMCE Bank (dépositaire du fonds) le 20 septembre 2017 par voie de virement bancaire sur le compte de Global Nexus. Le plaignant affirme qu’il n’a pas reçu à ce jour les 100 parts qui correspondent à son premier versement, alors que la convention de placement prévue à ce titre prévoit un délai de 10 jours entre la souscription et la livraison des parts.

Ce versement de la tranche initiale, fait à la demande de Global Nexus, a été réalisé également avant l’ouverture de la période de souscription (du 28 décembre 2017 au 12 février 2018) prévue par la Note d’information visée en date du 20 décembre 2017 par l’AMMC. 

Un cas qui concerne également la société Sefinia, autre investisseur dans le fonds, qui a procédé au versement de la première tranche le 16 mars 2018, soit plus d’un mois après l’expiration de la période de souscription. 

H&A dit à ce titre avoir été induit en erreur puisque Global Nexus a exigé que le virement soit fait sur son compte bancaire et non celui du fonds comme le stipulent les modalités de souscriptions prévue par la Note d’information. 

H&A suppose que Global Nexus a utilisé les 10 MDH versés pour l’acquisition d’un terrain à usage d’habitation à Rabat, avançant la concomitance de son virement avec cette transaction immobilière. 

Autre grief relatif aux modalités de souscriptions : la différence de traitement entre investisseurs et la non-conformité des appels de la première tranche. H&A dit avoir été appelé à verser au titre de la tranche initiale 10% de son engagement total, soit 10 MDH. Or, la convention de placement stipule que la tranche initiale est payée en deux tranches : une première de 3%, suivie d’une tranche différée de 7%. 

Cette règle a été respectée, fait remarquer le plaignant pour le cas de la CCG et IRESEN, mais pas dans le cas des deux autres investisseurs privés, H&A et Sefinia. La société d’investissement H&A a été appelée à verser 10% en une seule tranche, tandis que Sefinia a versé 33% du montant de l’engagement. Une différence de traitement que le plaignant condamne.

Situations de conflits d’intérêts non communiquées

Autre reproches faits à Global Nexus : le non respect des procédures de nomination et de tenue des comités des experts et d’investissement, organes décisionnels du fonds. Mais les faits les plus accablants portent sur des situations de conflit d’intérêts que H&A dit avoir décelées dans les investissements réalisés par le fonds. 

Sur quatre prises de participations réalisées comme exposé dans l’inventaire des actifs du fonds au 31 décembre 2018, deux sont particulièrement suspectées. Il s’agit de : 

1-Bubble Mania, société détenue par l’épouse de l'ex-directeur administratif et financier de l’IRESEN, un des investisseurs du fonds. Selon nos sources, “les investisseurs n’ont été à aucun moment informés de ce que conflit d’intérêt qui semble au contraire avoir été volontairement dissimulé“. 

Cet acte de dissimulation est appuyé dans la plainte par le fait que le DAF d’IRESEN apparaissait en tant que gérant associé unique de la société dans ses statuts constitutifs, avant qu’il ne cède ses parts à sa femme, comme le montre la mise à jour des statuts effectuée en date du 23 novembre 2018. 

La direction générale d’IRESEN n’était pas non plus informée de cette situation de conflit d’intérêt. Et a procédé, selon nos sources, au limogeage de son DAF. L’institut public cherche depuis un nouveau DAF, comme le montre un avis de recrutement publié dans l’Economiste du vendredi 26 avril.

2-G3 Climat, société où le fonds détient 25.000 parts pour un montant investi de 2,75 MDH. Ici, H&A avance que la société n’avait pas d’existence juridique au moment de la prise de participation. Et que la seule pièce qu’il a pu se procurer au moment des faits pour vérifier la validité de l’investissement était un certificat négatif dont le titulaire n’était autre que Hynd Bouhiya, dirigeante de Global Nexus et du fonds Green Innov Invest. 

Or, selon nos sources, le projet G3 Climat a été présenté aux investisseurs comme étant porté par Hassan Agouzoul.

Investigation faite, une source proche du dossier dit avoir découvert finalement que la société n’a été immatriculée au registre de commerce de Rabat qu’en date du 4 avril 2019. “On se demande comment le fonds pouvait détenir à fin 2018 des parts dans cette société alors qu’elle n’a été immatriculée au RC qu’en avril 2019“, lance notre source. 

Quant à M. Agouzoul, présenté aux investisseurs comme le porteur du projet, il figure bel et bien dans le tour de table de la société, mais n’y détient qu’une seule action. Les autres actionnaires de la “start up“ étant : Green Innov Invest (7.500 actions), Nadia Tazi, membre des comités d’investissement et d’experts du fonds (1 action), le reste étant détenu par Hynd Bouhia (1 action en direct et 2.497 actions à travers la société G’Innov). 

Le Conseil du 11 avril

Ces éléments que reproche H&A à Global Nexus ont été exposés à tous les sponsors du fonds à l’occasion du Conseil des investisseurs tenu le 11 avril dernier. Un conseil houleux où la société gestionnaire a empêché les représentants de H&A d’accéder à la salle, pour cause de “défaillance“. H&A n’ayant pas répondu au deuxième appel de tranche exigé par Global Nexus. Un refus délibéré nous disent nos sources car “H&A a estimé qu’il ne pouvait plus continuer dans cette affaire avant que les choses ne soient mises au clair“.

Il a fallu, selon nos informations, l’intervention du représentant de la CCG pour calmer les esprits et exiger la présence des représentants de H&A.

Durant cette réunion, le Conseil a décidé de diligenter un audit pour vérifier les faits reprochés à la société gestionnaire et a demandé à Hynd Bouhia de préparer un rapport de gestion exposant tous les investissements réalisés et les décaissements effectués. 

La mission d’audit a été confiée à PWC qui devait présenter son rapport au Conseil la semaine du 25 avril. Une réunion qui n’a pas été tenue à ce jour, selon nos informations.

Plainte chez l’AMMC : deux scénarios se présentent

En attendant, le dossier suit son cours normal chez le gendarme des marchés financiers. 

Déposée le 29 mars, la plainte de H&A n’a toujours pas débouché sur une décision, mais a franchi des étapes importantes. 

Selon nos sources, le traitement de la plainte est « clôturé ». Reste à savoir si le régulateur a ouvert une enquête approfondie, ou s’il a directement transmis le dossier au collège des sanctions. Car ce sont là les deux options qu’offre le règlement général de l'AMMC. Selon nos informations, c’est la première option qui a été retenue par l’AMMC.

Nous avons tenté, dans le cadre de cette enquête, de joindre Hynd Bouhia pour recueillir sa réaction quant aux accusations portées contre elle. Mais elle n’a pas donné suite à nos sollicitations. Nous avons également contacté son avocat, Me Abderrahim Bouhmidi, qui a refusé également de répondre à nos questions.

Quant au holding H&A, ses conseillers juridiques (Afrique Advisors) nous ont confirmé l’existence du différend entre les investisseurs et la société de gestion, se refusant toutefois à tout commentaire. Le cabinet d’avocat d’affaires nous affirme toutefois que les autres investisseurs du fonds (CCG, IRESEN et Sefinia) sont désormais « unis dans leurs démarches vis-à-vis de Global Nexus » et qu’ils « utiliseront toutes les voies de recours en leur possession pour défendre leur droit ».
 

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