Cosumar. Résultats, export, expansion à l’international…Mohamed Fikrat se livre

Sara El Hanafi | Le 3/4/2019 à 8:22

Baisse des revenus à l'export et des bénéfices du groupe, distribution de dividendes exceptionnels, projet d'expansion en Arabie Saoudite, digitalisation des process agricoles, décompensation... le PDG de Cosumar nous parle dans cet entretien des faits saillants de l'année 2018 et des choix stratégiques opérés par l'unique producteur marocain de sucre.

 

2018 a été une année particulière pour Cosumar.

Le chiffre d’affaires du groupe a baissé de 8% à 7,7 milliards de dirhams, en raison du recul des volumes des ventes à l’export.

Les bénéfices ont également chuté de 9,8% à 891 millions de dirhams, sous le poids du recul des revenus mais aussi à cause d’un contrôle fiscal dénoué moyennant la somme de 167 millions de dirhams.

Le groupe a décidé toutefois de distribuer 10 dirhams de dividende par action. Une gratification composée d’un dividende ordinaire de 7 dirhams et d’un dividende exceptionnel de 3 dirhams par action. Très généreux pour une société dont les bénéfices baissent de près de 10%...

Dans cette interview, Mohamed Fikrat, PDG du groupe sucrier, s’explique sur ce choix. Et nous parle de la baisse des volumes à l’export, du projet de raffinerie lancé en Arabie Saoudite et de la transformation digitale opérée dans l’amont industriel.
 

- LeBoursier : Vos résultats financiers pour l’année 2018 ont été marqués par le recul des ventes à l’export, ce qui a impacté à la baisse les bénéfices du groupe. Pourtant vous dites que la réduction des ventes était un choix volontaire. Comment l’expliquer ?

- Mohammed Fikrat : L’activité de l’export évolue dans un système en dehors du cadre de la subvention. Elle consiste à importer le sucre brut en admission temporaire, à le raffiner et le conditionner, pour ensuite le vendre sur certains marchés à l’export. C’est une activité basée sur une logique de captation des opportunités les plus intéressantes sur le marché international, tenant compte de notre coût de raffinage et de notre coût logistique.

Cela étant, l’année dernière a été marquée par une forte production mondiale qui a donné lieu à des stocks importants chez les opérateurs sucriers européens. Ils ont été très agressifs sur le marché régional du sucre blanc en baissant leurs prix de vente, parfois même en vendant au prix de revient.

La prime de blanc a donc baissé par rapport à la moyenne habituelle. en atteignant par moment près de 50$/tonne alors qu’elle devrait se situer entre 80-90$/tonne.

Pour Cosumar, l’activité de raffinage vient compléter la production locale de sucre à partir de nos plantes sucrières afin de couvrir la demande du marché domestique. C’est notre capacité excédentaire de raffinage que nous exploitons pour l’export, mais nous baissons nos volumes de ventes à l’export lorsque le marché n’offre pas suffisamment de rémunération contre notre sucre raffiné. En 2018, le volume exporté a tout de même atteint 376.000 tonnes.

- Le renchérissement de la facture énergétique a également impacté vos résultats. N’envisagez-vous pas de vous tourner vers des énergies plus propres et moins coûteuses? 

- L’activité de production de sucre est une industrie lourde, et se compose de deux processus disctincts: l’extraction de sucre depuis la plante sucrière (canne ou betterave) dans nos 7 sucreries nationales, et le raffinage de sucre brut importé dans l’usine historique de Casablanca.

Dans le process d’extraction et de raffinage du sucre, nous devons mobiliser des moyens de cogénération, c'est-à-dire de production de l’énergie et de la vapeur. Afin de produire de la vapeur, nous consommons des combustibles fossiles comme le Fuel ou le charbon propre, qui constituent la plus grande partie de notre consommation. Ce sont des composantes de notre prix de revient que nous suivons de très près.

Nous avons par ailleurs choisi les dernières technologies de combustion et de production de la vapeur et de l’énergie électrique. Ce sont près de 600 millions de dirhams qui ont été investis ces dernières années en incluant les investissements dédiés à la modernisation de nos stations de traitement des eaux.

A l’occasion de la COP22, nous avons fait le bilan et l’analyse de notre empreinte carbone. Les résultats sont très significatifs car nous avons pu réduire de 44% nos émissions de CO2 et compte tenu des investissements et des optimisations que nous avons déjà planifiés, nous pensons encore réduire cette empreinte de 20% sur les 3 à 4 années à venir.

Une autre composante de maîtrise des coûts de revient est la politique d’achat de nos combustibles. Nous appliquons une politique de couverture sur le marché international, pour ne pas subir de plein fouet les augmentations que nous avions vu sur ces matières. L’an dernier, en effet, le prix du charbon est passé de 70$ à plus de 90$ et le fuel aussi a augmenté de 30 à 50% selon les périodes d’achat.

Il est vrai que nous pensons aux énergies renouvelables, mais elles sont très difficiles à mettre en œuvre compte tenu de notre activité.

L’activité sucrière est gérée au rythme des campagnes pour les sucreries, qui démarrent en général mi-avril et se terminent mi-août,  mais la partie raffinage fonctionne toute l’année. Nous réfléchissons donc à la question pour voir comment trouver des formules qui seraient compatibles à notre production locale, sachant que pour les énergies renouvelables, nous n’avons pas la possibilité de produire la vapeur qui est nécessaire à notre procédé. Nous avons besoin de faire de la cogénération sur site, et avoir des chaudières qui produisent de la vapeur qui servira à son tour à produire de l’électricité en parallèle.

- Quid du contrôle fiscal que vous avez subi? Sur quoi a-t-il porté ?

- Ce contrôle fiscal a porté sur les quatre dernières années, et a touché toutes les rubriques de notre activité, en revisitant l’interprétation de certaines rubriques de l’IS, de l’IR, et d’autres rubriques liées à des opérations que nous faisons en interne.

- Pourquoi avez-vous choisi de maintenir votre dividende ordinaire et de redistribuer un dividende exceptionnel en dépit du recul de vos bénéfices ?

- Nous avons des réserves dans nos comptes, et notre Conseil d’Administration souhaite tout de même garder un niveau de dividendes qui soit attractif pour les actionnaires qui nous font confiance.

Il faut rappeler que nous avons procédé l’année dernière à une augmentation de capital, qui s’est traduite par l’attribution d’une action gratuite pour deux actions détenues. Nous avons donc augmenté notre nombre d’actions de 50%, et nous envisageons quand même de verser le même dividende.

- Vous avez entamé un vaste projet de transformation digitale pour développer et accompagner l’amont agricole. Comment cela se passe-t-il concrètement, et qu’est ce que cela implique pour votre écosystème (transporteurs, petits agriculteurs, etc.)?

- La digitalisation est un outil d’amélioration et d’accélération de la performance. La possibilité de la mise en connexion entre les différentes parties d’une chaîne de valeur permet de mieux optimiser les opérations, de mieux les piloter et de mieux les conduire. C’est un chantier qui est extrêmement important pour nous et qui est très prometteur. Nous avons choisi de commencer par l’amont qui est un véritable enjeu, car il met en œuvre nos partenaires stratégiques notamment les agriculteurs sucriers.

La digitalisation des processus amont a été initiée depuis une dizaine de mois grâce à la mobilisation des équipes de la Cosumar mais aussi ceux d’une startup marocaine. La solution mise en place se nomme Attaissir. Elle consiste à équiper de cartes tous les agriculteurs sucriers mais aussi tous les prestataires comme les distributeurs d’intrants ainsi que tous les transporteurs. Ces cartes permettent de reconnaître chaque acteur par un système d’information central qui gère les opérations depuis la prise en main des intrants jusqu’à la livraison de la récolte.

Aujourd’hui, concrètement, chaque agriculteur dispose d’une carte qui lui est propre, et lorsqu’il se présente au centre de distribution cette carte est lue par un terminal qui nous permet tout de suite d’identifier la parcelle pour laquelle il a signé un contrat avec l’une de nos sucreries. Nos ingénieurs agronomes et nos techniciens supérieurs effectuent d’ailleurs des visites périodiques aux parcelles et enregistrent en ligne toutes les données qui les concernent, et alimentent donc notre système central d’information de contrôle et de suivi des cultures sucrières.

Un autre exemple: nos camions de transport sont suivis par GPS, nous savons quels transporteurs doivent aller à quelles parcelles, et nous les suivons en temps réel pour optimiser le transfert de la culture depuis la parcelle jusqu’à la sucrerie.

Nous avons également lancé une autre opération en collaboration avec OCP, et qui s’intéresse à l’optimisation de la fertilisation. Il s’agit d’un dispositif appelé Smart Blender qui a été mis au point par OCP et que nous avons commencé à tester à une échelle pilote sur le périmètre de Tadla sur quelques centaines de hectares.

L’approche est la suivante: nous procédons à l’analyse du sol de la parcelle et nous déterminons quels sont les éléments fertilisants à lui apporter, et donc nous faisons fabriquer l’engrais sur mesure pour chacune des parcelles. C’est très important dans l’amélioration des performances et l’optimisation des coûts pour l’agriculteur et pour le périmètre des sols et la sauvegarde de l’environnement. C’est pourquoi nous allons bientôt le généraliser sur d’autres périmètres et d’autres parcelles.

Ainsi, nous avons optimisé fortement la conduite des opérations, et avons gagné énormément sur le plan de la transparence. Les agriculteurs sont satisfaits de cette gestion qui est plus réactive et plus facile à suivre, et les protège des aléas qui peuvent survenir suite aux comportements de certains prestataires ou à la complexité de la planification qui caractérise nos opérations.

En effet, pendant la campagne nous avons plus de 1.400 camions qui sillonnent les routes et les pistes nationales, qui transportent 5 millions de tonnes de betterave et de canne depuis les champs vers les sucreries, qui sont produits par près de 80.000 agriculteurs. Ce sont donc des opérations immenses et énormes qui nécessitent une planification complexe.

Globalement, l’expérience de la digitalisation est très encourageante et nous la suivons de très près. Et nous faisons des échanges continus avec les agriculteurs pour des ajustements et des améliorations.

- Où en sont les travaux de votre raffinerie en Arabie saoudite ? Quand est ce que vous comptez démarrer son activité ?

- La raffinerie est co-construite avec des partenaires industriels saoudiens. Nous avons en tant que Cosumar une part dans le capital qui s’élève à 43,3%, et avons la responsabilité de la gestion industrielle.

Aujourd’hui, l’équipe responsable de la réalisation du projet et de la gestion des opérations de production et du commercial est marocaine. Un noyau dur d’ingénieurs marocains est sur place et nous avons commencé la formation des équipes qui vont gérer la raffinerie en phase de mise en route.

La construction est toujours en cours et nous avons atteint à ce jour plus de 70% de taux de réalisation.

C’est une raffinerie de 195 millions de dollars, implantée sur 150.000 m², sur un quai du port de Yanbu, et qui va produire 850.000 tonnes de sucre blanc destiné aussi bien au marché domestique saoudien qu’à la région du Moyen-Orient qui se caractérise par un déficit de 4 millions de tonnes de sucre blanc annuellement. Nous misons sur la compétitivité de cette raffinerie qui est conçue avec les dernières technologies, et qui dispose de plusieurs avantages compétitifs d’ordre logistique puisqu’elle est placée sur un quai sur la mer rouge. Nous prévoyons de démarrer fin 2019.

-Le gouvernement est décidé à décompenser le sucre dans les prochaines années. Que pensez vous de cette réforme ?

- C’est une décision des pouvoirs publics, c’est l’Etat qui gère ce volet. Nous sommes à l’écoute, mais le plus important pour nous est de continuer à soutenir et à préserver les agriculteurs, et à gérer l’approvisionnement continu et régulier du marché en quantité et en qualité.

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