Amina Bouayach plaide pour l'abolition du mariage des mineures
Plus de 25.000 mariages de mineurs contractés en 2018, essentiellement des filles. Amina Bouayach, SG du CNDH appelle à la suppression de la dérogation permettant ces mariages et prépare un avis consultatif sur la question.
Amina Bouayach plaide pour l'abolition du mariage des mineures
Plus de 25.000 mariages de mineurs contractés en 2018, essentiellement des filles. Amina Bouayach, SG du CNDH appelle à la suppression de la dérogation permettant ces mariages et prépare un avis consultatif sur la question.
Au Maroc, les contrats de mariage impliquant des mineurs s'élèvent à 25.514 en 2018, soit 9% de tous les contrats de mariage conclus la même année. Ces chiffres ont été annoncés ce vendredi 22 mars par Mohammed Aujjar, ministre de la Justice.
Le phénomène est en baisse par rapport à 2011, où il « était à son apogée » avec 35.031 mariages de mineurs contractés (13% des mariages), mais demeure tout de même « important et effrayant », concède M. Aujjar.
Le ministre s'exprimait lors d’une rencontre nationale sur le thème de l’abolition de l’exception légale permettant le mariage des moins de 18 ans, tenue à Rabat. Cette pratique est rendue possible, mais sous condition et après autorisation du juge, par l’article 20 et suivant du code de la famille. Face à cette dérogation, la règle instaurée par l’article 19 de la Moudawana qui fixe la capacité matrimoniale pour le garçon et la fille à 18 ans.
Précarité sociale, argument à double tranchant
«Mariage des mineures : Abolir l’exception…rétablir la norme » : c’est l’intitulé de l’événement organisé par le Conseil national des droits de l’homme, en partenariat avec le Conseil de l’Europe. L’occasion pour les intervenants de plaider une nouvelle fois pour « l’abrogation » des dispositions ouvrant la voie à ce type de mariages. Sur ce point, la Moudawana n’est pas « en phase avec la Constitution et les engagements internationaux du Maroc », a affirmé Amina Bouayach, Secrétaire générale du CNDH.
« Nous sommes avec la majorité. Et cette majorité veut l’abolition de l’exception », a lancé pour sa part Ahmed Chaouki, délégué ministériel aux droits de l’homme. Il invite les réticents « à présenter leurs arguments dans un débat national et public ».
La rencontre de ce vendredi s’inscrit d’ailleurs dans le cadre d'une campagne nationale sur le mariage des mineurs, lancée le 6 mars 2019. Ce chantier mené par le CNDH a pour finalité « d’aboutir sur un avis consultatif » autour de la question.
C’est un « sujet complexe », tempère le ministre de la Justice, qui appelle « à développer une vision évoluée » faisant « l’équilibre entre les engagements internationaux du Royaume et des situations sociales fortuites ».
« La vulnérabilité sociale ou culturelle » est l’un des arguments invoqués par les défenseurs du maintien de la dérogation. Or, « le suivi de terrain et les témoignages » permettent d’aborder ce facteur d’un angle différent : « le mariage des mineurs amplifie cette vulnérabilité et conduit parfois à des situations de pauvreté extrême », soupèse la Mme Bouayach.
« Dans beaucoup de pays et probablement aussi au Maroc », l’élément économique et social est un facteur encourageant le mariage de mineurs, observe José Luis Herrero Ansola, Chef du bureau du Conseil de l’Europe. « Le phénomène n’est pas uniquement le résultat d’une volonté des concernés, mais aussi parce qu’il y a un besoin économique, qui se dérive de l’utilisation de l’enfant ». Une réalité « cruelle » mais qui n’est pas « concevable ».
L'exception devient la règle
Pour le représentant européen, il existe également « un problème de consentement ». C’est même « l’origine du problème », ajoute-il, faisant remarquer qu’il « est paradoxal qu’on demande 18 ans pour pouvoir conclure des contrats commerciaux, voter aux élections…tout en permettant à un enfant de douze ans de prendre la décision la plus importante de sa vie. »
Le risque de discrimination est aussi présent. Et c’est évidemment les jeunes filles qui en pâtissent. M. Ansola avance un taux de 95% de demandes de mariages impliquant le sexe féminin. En 2018, 75% des demandes de mariages précoces ont concerné des mineurs âgés de 17 ans, « essentiellement des filles », selon le la direction des affaires civiles au ministère le Justice.
Le remède passe par la modification de la loi. Mais ce n’est pas la seule réponse. « Il y la législation et l’application de la législation », pointe le représentant européen, sachant que l’usage de la dérogation repose sur le pouvoir d’interprétation du tribunal. Du coup, « l’exceptionnalité devient la règle ». Aujourd’hui, « les juges connaissent la législation mais encore faut-il qu’ils en appliquent l’esprit », conclut l’intervenant.
L’article 20 n’est pas la seule porte aux mariages des mineurs. D’ailleurs, les chiffres annoncés par M. Aujjar ne couvrent que les contrats résultant de l’application de ce texte. Les mariages coutumiers restent « des points noirs » qui échappent complètement aux statistiques, affirme Othmane Abid, juge rattaché à la direction des affaires civiles au ministère.
Selon ce magistrat, « d’autres pratiques frauduleuses permettent de contourner la loi, telles que les actions en reconnaissance de mariage », aujourd’hui impossibles en raison du non renouvellement de la période transitoire y afférente.
Mais les fraudeurs ne manquent pas de créativité, ce qui appelle à la vigilance du parquet. Dans ce cadre, «nous avons reçu une note de la présidence [du ministère public] où il nous est demandé de sévir contre toute manœuvre dolosive », rappelle Nabil Alioui, chef de l’intervention du parquet dans les affaires de la famille.
Si le Dol peut conduire à la résiliation du mariage, il peut également relever du pénal. L'article 66 de la Moudawana expose à des sanctions pénales "Les manœuvres dolosives en vue d'obtenir l'autorisation ou le certificat d'aptitude [au mariage] ou le fait de se dérober aux formalités" légales.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur les violences faites aux femmes, le code pénal ouvre une nouvelle voie à l'action du parquet, notamment par l'incrimination du mariage forcé. Ce délit est passible d’un emprisonnement de six mois à un an et d’une amende de 10.000 à 30.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement. Lorsque l'infraction est commise sur "une mineure", ces sanctions sont portées au double.