Document. La lettre de Benchaâboun et Jouahri à Christine Lagarde

Mehdi Michbal | Le 25/1/2019 à 11:40

Le FMI a publié une correspondance adressée en novembre dernier par le ministre des Finances et le gouverneur de Bank Al Maghrib à la directrice générale de l’institution internationale. Les deux responsables marocains y demandent la reconduction de la LPL. Ils s’engagent pour cela à poursuivre les réformes structurelles de l’économie et à sortir de la LPL dès que les conditions le permettent. Lecture

Dans son nouveau rapport sur le Maroc, le FMI a inséré une lettre adressée par Mohamed Benchaâboun et Abdellatif Jouahri à Christine Lagarde. Le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque centrale commencent par énumérer les réalisations de l’économie marocaine en 2018, listent les réformes engagées par le royaume dans le domaine budgétaire, monétaire et dans les secteurs de l’agriculture, l’administration, la justice et l’éducation, avant de s’engager à mener à bout l’ensemble de ces réformes dans l’objectif, à terme, de sortir de la LPL.

« Nous pensons que les politiques et les réformes contenues dans cette communication nous permettront d’atteindre les objectifs économiques soutenus par la LPL, et nous nous engageons à prendre toutes les mesures supplémentaires qui pourraient être nécessaires à cette fin. En continuant à renforcer la résilience de son économie et en la diversifiant, le Maroc devrait être capable de sortir de la LPL, une fois les risques exogènes auxquels l’économie est exposée diminués », écrivent les responsables marocains à la directrice générale du FMI.

A noter que l’objectif premier de cette lettre, datée du 30 novembre 2018, est de demander une nouvelle ligne de précaution et de liquidité (LPL). Si le Maroc n’a pas tiré sur les anciennes lignes, le ministre des Finances et le gouverneur de BAM pensent que les éléments qui justifient sa reconduction sont encore présents : persistance des risques externes dus notamment à la hausse des prix du pétrole, les tensions géopolitiques, le protectionnisme croissant, le ralentissement de la croissance dans la zone euro et dans les pays émergents. 

Le Maroc demande ainsi une nouvelle ligne de 2,97 milliards de dollars sur 24 mois, avec un accès réduit. « Le Maroc a l'intention d’utiliser cette ligne à titre de précaution et à en tirer parti uniquement en cas de chocs exogènes importants ». Une demande qui a été approuvée, pour rappel, par le Conseil d’administration du FMI le 17 décembre 2018.

Une politique économique qui colle à l’agenda néolibéral du FMI

Le gouverneur de la Banque centrale et nos responsables gouvernementaux n’aiment pas qu’on leur dise que la politique économique du pays est dictée par le FMI. Le mot « dicter » est trop fort, voire exagéré. Mais cette lettre écrite à Christine Lagarde par le gouverneur de la Banque Centrale et le ministre des Finances montre, aussi bien dans le fond que sur la forme, qu’une bonne partie de nos orientations économiques correspondent à l’agenda du FMI et à ses exigences. Un agenda néolibéral axé sur la réduction du déficit budgétaire par tous les moyens, le maintien du taux d’inflation à des niveaux très bas, la privatisation des services et des établissements publics, la libéralisation des changes…

Des choix qui peuvent être des convictions réelles de nos responsables publics et cadrer également avec les intérêts du royaume, mais qui au vu du ton de cette correspondance, paraissent plus comme une réponse à des exigences qu’à des choix délibérés de nos autorités économiques et monétaires. 

Surtout que le Maroc traverse des crises sociales assez aigues : montée des inégalités sociales et des disparités régionales, chômage galopant des jeunes, creusement des déficits dans les secteurs de l’éducation et de la santé… Des problématiques qui nécessitent en principe une intervention accrue et urgente de l’Etat et posent sur la table la vieille problématique de l’instrument budgétaire comme principal levier d’intervention. 

Réduire le déficit à 3% arrange les intérêts du « banquier » FMI, c’est une certitude. Mais est-ce une priorité nationale au vu de ces nombreux défis sociaux ? 

Maintenir l’inflation à un niveau très bas, comparable aux niveaux observés dans des pays développés comme l’Allemagne et la France, est-il dans l’intérêt immédiat d’une économie qui ne croît pas à un rythme suffisamment élevé pour absorber ses déficits sociaux ? 

Qu'est ce qui est prioritaire : maintenir les équilibres macro économiques pour rester dans les bonnes grâces du FMI ou traiter les urgences sociales ? 

Et plus globalement, à quoi sert de discuter d’un nouveau modèle de développement si les principaux output de ce débat national sont déjà fixés? 

Voici les principaux engagements pris par Jouahri et Benchaâboun: 

- Porter la croissance à un niveau supérieur à 4,5- 5%. C’est un des objectifs contenus dans le programme convenu avec le FMI dans le cadre de cette LPL. Cela passera par «l’accélération du rythme des réformes structurelles pour promouvoir une croissance plus forte, plus inclusive et plus durable, de renforcer davantage la résilience de l’économie ainsi que la robustesse du système financier ». Des réformes qui devront déclencher un nouvel élan de croissance, selon Benchaâboun et Jouahri, qui espèrent ainsi que cela portera la croissance à un niveau supérieur à 4,5-5% par an, et participera ainsi à l’accélération du rythme de création d’emplois, à la réduction des disparités sociales et spatiales et à l’amélioration durable du niveau de vie. Ils rappellent à Lagarde qu’un nouveau modèle de développement est en cours construction et que les discussions s’y rapportant avec les principaux partenaires devraient aboutir à des propositions concrètes dans les mois à venir. 

- Relancer les privatisations des entreprises publiques. Ici, nos deux responsables affirment à Lagarde que l’Etat compte se retirer des secteurs d’activité qui peuvent être couverts par le privé. Ils s’engagent ainsi sur un recentrage des entreprises publiques sur leurs principaux métiers et à la cession des actifs non liés à leurs missions. « Dans le cadre de cette refonte, le gouvernement envisage de mettre en œuvre un programme de privatisation censé contribuer à hauteur de 4% du PIB du budget de l’État pour la période 2019-2024 », notent Benchaâboun et Jouahri. Ils rappellent qu’un projet de loi visant à élargir la liste des entreprises éligibles à la privatisation a été adopté par le Conseil du gouvernement en novembre 2018.

- Réduire le déficit budgétaire à 3% d’ici 2020. Il sera d’abord ramené à 3,3% en 2019 avant de passer à 3% en 2020, précisent nos responsables publics. Un niveau qui garantira le retour du niveau de la dette à 60% du PIB. Un objectif qui sera réalisé par une mobilisation accrue des recettes fiscales et la poursuite des efforts pour contrôler les dépenses publiques.

- Maintenir la masse salariale de l’Etat à un niveau inférieur à 10,5% du PIB à moyen terme. Le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif, promettent Benchaâboun et Jouahri. « Cet objectif sera atteint grâce à la réforme et à la modernisation de la gestion des ressources humaines, la promotion de l'intégrité au sein de la fonction publique, le déploiement général de l'administration publique numérique et la rationalisation des procédures ». Pour les nouveaux recrutements, ils affirment que l’accent sera désormais mis sur l’emploi contractuel, pour lequel le cadre juridique existe déjà. 

- Poursuivre la réforme des retraites: Entamée en septembre 2016, cette réforme se poursuivra dans le but de créer deux principaux piliers du système, un pour le secteur public et un pour le secteur privé.

- Améliorer le rendement des investissements publics: Le niveau d'investissement public sera maintenu et son efficacité sera renforcée par l’amélioration du système de sélection des projets d’investissement, notamment en ce qui concerne leur impact sur l’emploi, la réduction des disparités et l’amélioration du niveau de vie. Le gouvernement a l'intention de mettre en place un système intégré de gestion centralisée des investissements et de développer des partenariats public-privé (PPP) pour renforcer l'offre et la qualité des infrastructures tout en limitant les coûts et les risques potentiels pour le budget.

- Augmenter les recettes fiscales: « Une réforme complète du système fiscal est nécessaire pour accroître son équité et réduire les distorsions, tout en augmentant le recouvrement des impôts de 0,8% du PIB d’ici 2020 (et de 1,3% du PIB à moyen terme). Cette stratégie devrait refléter la nécessité d'aligner les taux de TVA réduits sur les biens manufacturés et les services au taux de TVA standard; réduire les exonérations fiscales; mieux faire payer les impôts des professions libérales et indépendantes; abaisser et simplifier le taux d'imposition des sociétés; et augmenter les taxes foncières », notent nos responsables. Au début de 2019, les assises de la fiscalité seront l’occasion de concevoir une stratégie de réforme fiscale. 

- Soutenir le financement des PME-TPE. Ici, Bank Al Maghrib réitère son engagement à promouvoir un financement approprié de l’économie en donnant la priorité aux TPE et aux PME. « À cette fin, le gouvernement élaborera un "Small Business Act" en 2019 pour apporter des solutions aux problèmes rencontrés par les TPE et les PME, qui aborde les questions de financement, de cadre juridique, d'accès au marché… ».

- Poursuivre la réforme du régime de change. « Les autorités ont entamé la transition vers un régime de change plus flexible en janvier 2018, en élargissant la bande de fluctuation du dirham à +2,5% (contre +0,3%). Cette réforme a été mise en œuvre sans heurts, le dirham restant dans ses limites de fluctuation sans intervention de la Banque centrale depuis mars 2018, les avoirs extérieurs de la banque se sont renforcés et le marché des changes interbancaire s’est approfondi. Les autorités ont l'intention de passer à la phase suivante de cette réforme à des fins préventives dès que les conditions économiques le permettront. Une telle transition aidera l’économie à mieux absorber les chocs externes , préserver sa compétitivité et soutenir sa diversification. »


Voici le texte intégral (en anglais) de la lettre du ministre des Finances et du gouverneur de Bank Al Maghrib à la directrice générale du FMI.

 

 

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