Commentaire sur la situation des créances en souffrances au Maroc.

Youssef Mahassine | Le 8/2/2018 à 15:49

Dans une économie qualifiée d’émergente ou pré-émergente, où les taux de croissance sont non seulement insuffisants mais aussi fragiles puisqu’ils demeurent à la merci de la pluviométrie, nos décideurs ne cessent de nous rassurer sur la résilience de notre système bancaire, «nos banques sont solides et notre environnement de risque est contrôlé».

 

 

 

L’un des éléments phares dans tout diagnostic du risque bancaire, ce sont les créances en souffrance. Celles-ci, définies comme étant des créances qui présentent un risque de non recouvrement total (créances compromises) ou partiel (créances pré-douteuses et douteuses).

Elles constituent pour toute économie le thermomètre de la situation macroéconomique dans son ensemble, elles sont depuis 2011 dans un trend haussier, elles atteignent actuellement  62 milliards de DH, un sommet historique depuis plus de 10 ans.

L’agence internationaleFitch les estime à plus de 12% du total du crédit accordé, tandis que le Groupement professionnel des banques marocaines le réduit à moins de 8%, un chiffre qui reste tout de même assez inquiétant, du fait qu’il nous renseigne sur l’état de santé de la trésorerie des particuliers et de l’entreprise non financière. C’est cette dernière qui tire l’essentiel de la caravane des risques et des contentieux à la hausse.

 

https://www.medias24.com/MAROC/Les-plus-de-Medias-24/175205-Fitch-les-creances-douteuses-sont-sous-estimees-dans-les-banques-marocaines.html

 

https://www.medias24.com/MAROC/Quoi-de-neuf/175227-Creances-en-souffrance.-Bank-Al-Maghrib-desapprouve-le-rapport-Fitch.html

 

Les analystes précisent qu’à ce niveau de 8%, le taux des créances en souffrance frôle l’ex-record de 2008, cette information ne doit pas passer à la légère. Il faut souligner qu’il y a 11 ans, l’économie marocaine suivait à l’époque la tendance mondiale en matière d’octroi de crédit, le taux de croissance était spectaculaire ( +20%).

A l’heure actuelle, on assiste au phénomène inverse, les banques ont presque fermé les robinets, et à peine quelques goutes parviennent à échapper, les conditions d’octroi du crédit durcissent, le taux évolue depuis 2012 dans une fourchette de 2% à 6% (une situation  décorrélée  par rapport aux mesures de baisse des taux directeurs et des réserves obligatoires entreprises par la banque centrale dans le cadre de sa politique monétaire accommodante). En 2017, le taux de progression des crédits s'est limité à 2,9%. Sil'on soustrait les gros investissements dans les transports (maritime, ONCF), ainsi que les consolidations de créations ou d'intérêts, si l'on soustrait l'inflation, on se retrouve avec un petit 1%. Au mieux 1,5%.

Généralement, la hausse des créances en souffrance va de pair avec la progression de l’octroi du crédit, la situation à laquelle nous assistons est totalement contradictoire, complexe et alarmante.

Dans ce contexte, plusieurs responsables misent sur un discours plus optimiste mais non réaliste. Pour eux, «l’évolution des taux de créance en souffrance s’est enfin stabilisée en 2017, par rapport à des années passées». Personne ne peut contester la réalité des chiffres, il est tout de même vrai qu'entre 2012 et 2014, le taux de croissance était de deux chiffres (17 %) et de 9% en 2015., mais est-ce que réellement cette légère stabilisation est un signe de redressement futur?

Porter un jugement efficace en la matière nécessite d’aller plus loin en vérifiant l’évolution des délais de paiements inter-entreprises. Ils se sont allongés au cours de la même année, de même les défaillances d’entreprises ont connu une croissance remarquable (+15%). La situation des ces créances est loin d’être sous contrôle.

En répondant récemment à une question sur le rôle joué par les banques en matière de libération du potentiel de croissance du crédit bancaire, une mesure qui sans aucun doute contribuera entre autres à soulager les difficultés de trésorerie d’une grande partie des entreprises, Ahmed Rahhou, PDG de CIH Bank à répondu que les banques n’ont aucun intérêt à fermer le robinet du financement, que le métier de la banque, avant tout, c’est de distribuer les crédits et que l’environnement des affaires n’est pas uniquement lié au coût du crédit.

Ce que l’on peut retenir de cette réponse brève et bien précise c'est que, primo, l’argent est suffisamment disponible (la preuve est l’expansion en Afrique) et secundo, qu’elle ne se traduira pas par un financement des entreprises puisque l’environnement des affaires n’est pas propice. Jusqu’ici, M. Rahhu ne fait aucune allusion aux handicaps des lourdes formalités de garanties exigées par les banques marocaines (les établissements de crédit marocains sont réputés mondialement par le rationnement excessif du crédit utilisé à l’encontre de la PME).

Pour M. Rahhou, les banques ne peuvent pas financer 100% d’un projet, et ce genre de mission devra être rempli par les fonds d’investissement dont il reconnait lui-même « leur absence». Le tout appuyé par des remarques sur l'environnement des affaires.

Le rôle majeur d’une banque est le financement de l’économie. Ceci est encore plus vrai pour CIH Bank, AWB ou la BCP qui portent la casquette de la banque citoyenne, tel que c'est mentionnée sur leurs sites web, une banque citoyenne qui met en avant le parallélisme entre quête du profit et bien-être social .

Nos banques doivent assumer leur totale responsabilité, et si l’environnement des affaires ne fonctionne pas comme il le faut, c’est la résultante de tout un système dont les banques sont partie intégrante. En outre, la question qui mérite de s’afficher en gras : qu’avons-nous fait pour faire évoluer notre environnement des affaires?

A cet effet, il faut signaler que la réalité macroéconomique ne ressemble en aucun sens à une modélisation d’un jeu a somme nulle d’où la présence d’un vainqueur et d’un perdant.

En suivant l’ordre chronologique des choses, si les délais de paiements continuent de s’allonger et les créances en souffrance s’accentuent, la conséquence effective serait la disparition de nombreuses entreprises et le licenciement du personnel (actuellement 22% des diplômés bac+5 sont au chômage, et 8.088 entreprises marocaines ont fait faillite en 2017). Est-ce que notre paysage socio-économique supportera encore d’autres dizaines de milliers de chômeurs? Est ce que la solidarité familiale tiendra encore?

Le ralentissement de la demande provoqué par ce genre de situation contaminera d’autres créances qui paraissent a l’heure actuelle saines, du coup il sera plus difficile de stopper l’hémorragie, et l’effet domino l’emporte.  c’est la raison pour laquelle Bank Al-Maghrib a prévu des changements en ce qui concerne la classification des créances et leur provisionnement qui se veulent  être en conformité avec la norme financière internationale IFRS 9.

>Que faut-il faire?

Un premier pas serait de planter les graines de confiance entre les différents acteurs du marché. Nos banques doivent abandonner leur conservatisme en allégeant les lourdes dispositions d’octroi de crédit notamment en faveur des PME. Certes, il faut reconnaitre qu’une telle solution parait plus au moins difficile sur le plan pratique pour une économie ouverte caractérisée par le déficit commercial où les bienfaits du fameux multiplicateur keynésien demeurent modérés. Néanmoins rien n’empêche la réalisation d’un consensus économique ou instruments bancaires, monétaires, fiscales et budgétaires se réunissent pour redresser l’écosystème.

La performance bancaire durable ne peut l’être sans une économie réelle dynamique, des entreprises compétitives et une classe moyenne vive et solide, c’est la leçon retirée de la littérature économique contemporaine.

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