Analyse. Daesh ne perdra pas la guerre

L’actualité au Proche Orient porte sur les opérations militaires de Daesh. Mais le plus important est ailleurs: la Syrie et l’Irak ont atteint un point de non-retour; la Jordanie et le Liban sont directement menacés et le Yémen s’achemine vers le scénario irakien. Daesh ne sera pas défait.

Analyse. Daesh ne perdra pas la guerre

Le 12 octobre 2014 à 15h05

Modifié le 12 octobre 2014 à 15h05

L’actualité au Proche Orient porte sur les opérations militaires de Daesh. Mais le plus important est ailleurs: la Syrie et l’Irak ont atteint un point de non-retour; la Jordanie et le Liban sont directement menacés et le Yémen s’achemine vers le scénario irakien. Daesh ne sera pas défait.

Le Proche Orient que nous connaissons est en train de disparaître sous nos yeux.

Le problème n’est pas de battre Daesh sur le terrain, de le repousser de Kobané ou de Bagdad. Car même si c’était fait, l’insurrection survivra à Daesh. L’évolution politique récente depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003 en passant par la guerre civile syrienne, tout cela a planté les germes de la division et de la violence pour au moins une ou deux générations, entre confessions et ethnies différentes: chiites, sunnites wahhabites, jihadistes, kurdes...

Nous assistons à la décomposition des Etats et à une sorte de retour vers le tribalisme.

Voyons rapidement les principaux points:

La situation militaire: Daesh est bien plus puissant que ne le disent les sources réputées informées comme la CIA. Celle-ci évoque 20.000 à 31.500 combattants, alors qu’il y en a au moins 10.000 autour de Bagdad, sans compter les nombreux fronts ouverts un peu partout en Irak et en Syrie. Daesh est surtout puissant de la faiblesse de ses ennemis et de leur décomposition.

Sur le plan de l’équipement, les jihadistes ont utilisé récemment des missiles Strela et ont pu abattre des hélicos de l’armée irakienne. Celle-ci se cantonne dans une position défensive et perd du terrain. Seuls les combattants kurdes se battent avec détermination, gagnent du terrain plus souvent qu’ils en perdent.

Supposons toutefois que par des engagements de troupes étrangères au sol et une mobilisation des alliances tribales (par la diplomatie du chèque), Daesh soit militairement défait. C’est arrivé à deux reprises:

-la première fois lorsque les Américains et l’Etat irakien ont constitué une alliance tribale qui a défait militairement Al-Qaida de l’époque, il y a à peine quelques années. C’était Al-Qaida de Zarqaoui, ancêtre du Daesh actuel, le maître de la cruauté, tué dans un raid américain et remplacé par un certain Abou-Bakr Al-Baghdadi. Mais la braise est restée, la mèche a été rallumée par une stratégie parfaitement adaptée au contexte régional et aux mentalités des populations: la mise à feu des moteurs du tribalisme, de l’ethnicisme, la confessionnalisation.

-la seconde fois, c’était au début de 2014. Entre l’Armée syrienne libre et Jabhat Nosra, Daesh a subi de nombreux et graves revers militaires en Syrie. Le coup de (mauvais) génie fut l’invasion de l’Irak. La semaine dernière, Daesh et Jabhat Nosra ont conclu un accord de non-belligérance en Syrie.

Peu après l’invasion de l’Irak en 2003, la stratégie des jihadistes a été limpide: créer le chaos, détruire l’Etat et surtout… semer la haine entre les communautés, sur des bases confessionnelles. Les symboles chiites les plus sacrés ont fait l’objet d’attaques suicides. Jusqu’à présent, ce long chassé-croisé d’atrocités entre les uns et les autres ne s’est pas arrêté et ne s’arrêtera pas de sitôt. Dans la logique “tribale“ confessionnelle, chaque attentat appelle une vengeance. L’Irak, la Syrie, le Yémen, vivent au rythme des vengeances et des contre-vengeances.

C'est la mécanique infernale que Daesh maîtrise, qu'il a conceptualisée. Son manuel de la guerre s'appelle "Idarat Attawahhouch" ou comment en trois étapes, prendre le contrôle d'un pays: 1. le soulèvement ou l'insurrection. 2. "Attawahhouch" ou le chaos généralisé, que l'on peut également traduire par la sauvagerie ou l'ensauvagement de la société. 3. La prise de pouvoir.

Ce manuel conceptualise la cruauté. Daesh déshumanise tout individu qui ne correspond pas à sa vision de l'islam, un islam instrumentalisé à des fins politiques. Même les musulmans sont régulièrement qualifiés d'apostats pour peu qu'ils ne suivent pas aveuglément ses directives. Daesh est un danger pour la planère entière et d'abord les musulmans, car il n'hésitera pas à utiliser n'importe quelle arme, fut elle bactériologique, chimique ou nucléaire.

Malheureusement, la mécanique qui est enclenchée dans certaines régions comme l'Irak lui est favorable.

Entre les communautés chiite et sunnite, la haine a été semée, mais une haine profonde, sans répit, qui déshumanise l’autre. Lorsque Daesh démolit un mausolée sacré chiite, les chiites sont convaincus que tous les sunnites sont coupables. Et vice versa. Et ne pensent qu’à se venger. C’est un retour vers la Jahiliya, l’époque anté islamique où les tribus de la péninsule arabique vivaient entre razzias, butins et vengeances.

Au Yémen, la rébellion chiite vient de prendre la capitale Sanâa, mais elle n’a pas gagné la guerre. Les jihadistes, d’Al-Qaida cette fois-ci, ont ressorti leur l’arme ultime: l’attentat-suicide. Le 9 octobre, un rassemblement de chiites à Sanâa a été visé par un attentat-suicide faisant des dizaines de morts. Les chiites ne pensent plus qu’à la vengeance.

Contre les jihadistes, dès lors que l’Etat est affaibli, on perd à tous les coups: soit on leur laisse le terrain et ils se fondent au sein de la population; soit on occupe le terrain et ils sèment le chaos par des attentats aveugles.

Il aurait fallu que Daesh soit militairement battu et que, en même temps, l'Etat soit restauré dans un horizon raisonnable. Or, ce second objectif est impossible à atteindre.

Les forces de Daesh cernent désormais Bagdad. Ils viennent d’occuper Abou Gharib et ne sont plus qu’à une douzaine de km de l’aéroport international de Bagdad. Les commentateurs se demandent si la capitale va pouvoir résister. Alors qu’en vérité, Daesh est déjà à l’intérieur de Bagdad: il ne se produit pas un jour sans qu’il y ait un à plusieurs attentats suicides, d’abord contre les chiites, dans la capitale irakienne.

Cette stratégie est imparable et on voit mal comment y faire face sans un Etat-nation dont l’idée n’existe même plus en Irak. Même si Daesh perd, les germes resteront et il y aura un ou d’autres Daesh.

La partition de l’Irak est en marche, elle est inévitable.

Mais lorsque ce pays, et d’autres, comme la Syrie, le Liban, auront vu la création de territoires sunnites, qui va prendre le leadership? Daesh bien sûr. Car il estime que dans le sunnisme, il représente la pureté, ce qui est bien sûr une supercherie.  Daesh est implanté durablement en Irak et en Syrie.

Le cas de l'Afrique du Nord est particulier. Daesh contrôle la petite ville de Derna en Libye, Ansar Charia contrôle Benghazi et là, la solution militaire est la plus appropriée à condition de faire vite. Car la société libyenne est propice à une résurgence des tribalismes.

Un Etat Daesh au Proche Orient est inévitable. On peut le contenir, mais pas l'empêcher. Les attaques militaires occidentales lui servent de carburant et lui donnent du leadership dans le camp sunnite, grâce aux mécanismes de la mentalité tribale et confessionnelle qu’il a su actionner. Il faut le laisser s’installer et échouer par lui-même. Les peuples, dans leur histoire, ont besoin de vaccins. Le monde s’est bien accommodé des Khmers rouges. Daesh ne sera éradiqué que par les siens.

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