Après l’appel à manifestation d’intérêt: 10 questions impertinentes sur le ghassoul

L’appel à manifestation d’intérêt témoigne d’une volonté de sortir du monopole sur cette ressource unique et d’en faire profiter les populations de la région et de tout le Maroc. Mais plusieurs questions se posent autour d’un dossier qui n’est pas totalement transparent.  

Après l’appel à manifestation d’intérêt: 10 questions impertinentes sur le ghassoul

Le 28 octobre 2013 à 10h17

Modifié 28 octobre 2013 à 10h17

L’appel à manifestation d’intérêt témoigne d’une volonté de sortir du monopole sur cette ressource unique et d’en faire profiter les populations de la région et de tout le Maroc. Mais plusieurs questions se posent autour d’un dossier qui n’est pas totalement transparent.  

Les candidats disposent d’un délai jusqu’au 28 novembre pour présenter leurs dossiers à l’appel à manifestation d’intérêt relatif à l’exploitation du seul gisement de ghassoul au monde, celui de la province de Boulemane, vallée de la Moulouya. Les candidats pré sélectionnés auront le droit de prendre part à l’appel d’offres qui sera lancé en janvier 2014.

1. Deux conclusions positives de cet appel à manifestation d’intérêt : d’une part, le monopole des Sefrioui n’est plus reconduit automatiquement ; d’autre part, la compétition impose une valorisation sur place du ghassoul extrait.

En d’autres termes, et pour la première fois, la population locale espère réellement profiter de la richesse de son sous-sol. Mais un monopole ne risque-t-il pas de substituer à un autre? En effet, le texte de l’appel à manifestation d’intérêt est rédigé d’une manière qui privilégie les sociétés qui ont des moyens et de l’expertise. Et laisse penser qu’une seule candidature sera au final, retenue, après le lancement de l’appel d’offres final.

2. Le potentiel du gisement. Il n’existe aucune évaluation des réserves, établie sur la base d’une étude approfondie et récente. La seule évaluation disponible est très sommaire. Elle date de 1998, elle figure dans un document officiel intitulé «Rapport d’étude géologique», mis en ligne par le ministère de l’Equipement dans le cadre de cet appel à manifestation d’intérêt.

Ce rapport conclut à un potentiel minimum marchand, de 20 années d’exploitation au rythme de 3.000 tonnes marchandes par an, soit 60.000 T. de ghassoul. En appliquant un prix de 10.000 DH/T., on obtient une valeur marchande globale de 600 millions de DH.

Le rapport lui-même manie les chiffres avec prudence. Les seules sources sont les déclarations de l’exploitant. A l’export, les seules sources sont les statistiques de l’Office des Changes.

L’appel à manifestation d’intérêt concerne un seul gisement, le Jebel Ghassoul, qui couvre 21.000 ha. Mais l’ensemble de la région, sur des superficies nettement supérieures, est constitué de roches argileuses. Selon un géologue consulté par nos soins, il y a du ghassoul partout dans la région, la seule différence étant les concentrations très élevées de jebel Ghassoul, ce qui n’est pas forcément le cas des autres.

3. Le rythme actuel d’exploitation. Le rapport mentionné ci-dessus cite le chiffre de 3.000 tonnes de produit marchand par an, entre 1993 et 1997. Après cette date, il est impossible d’avoir le moindre chiffre. Idem auprès de l’Office des changes, car le ghassoul n’est pas uniquement exporté en l’état, il peut être valorisé de différentes manières et donc, figurer dans des rubriques différentes.

4. L’intérêt de l’Etat dans l’affaire est-il correctement préservé ?. Faisons un rapide calcul: si 3.000 T. de produit marchand sont extraites et revendues en une année, elles rapportent 30 millions de DH à l’exploitant au prix de  10.000 DH la tonne, qui est un prix moyen constaté sur le marché.

L’Etat, lui, encaisse la redevance d’exploitation (évaluée selon diverses sources, au maximum à 1,8 MDH par an) ainsi que 30 DH par tonne prélevée. Il faut 1,66 tonne de roche pour extraire 1 tonne de produit marchand. Donc, 5.000 tonnes de roche ont été extraites soit 150.000 DH par an.

Selon ce calcul, non recoupé auprès des sources officielles, l’Etat percevrait moins de 2 millions de DH par an pour une exploitation qui rapporte 30 MDH.

5. Quelle est la taille du marché? En d’autres termes, à supposer que le gisement soit mieux exploité, cela rapporterait davantage à l’Etat. Mais y aura-t-il suffisamment de débouchés ?

Les usages connus du ghassoul sont d’ordre cosmétique : masques pour la peau, shampooing… Mais il y en a de nombreux autres tels que l’industrie pharmaceutique ou l’alimentation animale. Dans la pharmacie, des médicaments tels que Smecta ou Actapulgite sont conçus à base d’argiles (ghassoul ou similaires).

Aucune étude n’a été faite pour évaluer la taille du marché.

6. Mine ou carrière ?

Si l’on se réfère au Dahir formant code des mines, il s’agit indéniablement d’une mine. L’article 2 postule en effet que «sont considérés comme mines, les gîtes naturels des substances minérales [tels que] les roches argileuses exploitées en vue de la fabrication des bentonites et des terres décolorantes», c’est-à-dire le ghassoul.

Cependant, Abdelaziz Rabbah, ministre de l’Equipement et des Transports, dont relèvent les carrières (mais pas les mines) avait annoncé sa volonté de lutter contre les rentes de situation, notamment en publiant les listes des bénéficiaires des carrières et en ouvrant leur exploitation à la libre concurrence.

L’appel à manifestation d’intérêt pour le ghassoul a été lancé par le ministère de l’Equipement mais selon une source qui a requis l’anonymat, le cahier des charges a été élaboré au sein du ministère des  Mines. Cette information n’a pas pu être vérifiée.

Au sein de la communauté des opérateurs miniers, l’idée répandue est que le ghassoul a été artificiellement classé dans les carrières pour que M. Rabbah puisse appliquer ses idées relatives à l’ouverture de son exploitation à la libre concurrence.

M. Douiri, jusques récemment ministre des Mines, n’est pas considéré selon les mêmes sources, comme ayant la même volonté de casser un monopole sur des richesses naturelles. Dans plusieurs pays européens, les argiles sont toutefois classées dans les carrières.

7. Que rapporte l’exploitation actuelle à la population locale ?

Jebel Ghassoul est situé dans la vallée de la Moulouya dans la province de Boulemane, située à mi-chemin entre Fès et l’Oriental. Dans cette région, la terre est argileuse et peu propice aux cultures ; les populations sont particulièrement déshéritées.

Selon des opérateurs miniers consultés par Médias 24, moins d’une soixantaine d’emplois ont été créés dans l’extraction du ghassoul.

Selon les mêmes opérateurs, l’appel à manifestation d’intérêt n’aurait pas du être lancé en un lot unique mais fractionné selon 210 lots de 100 hectares chacun. Ce qui aurait provoqué un meilleur effet d’entraînement dans la région.

8. Est-ce la seule mine de ghassoul au monde?

Le Maroc a jusqu’à preuve du contraire, le seul gisement connu de ghassoul, c'est-à-dire une argile ayant une teneur de stévensite de lithium de plus de 90%.

9. L’appel à manifestation d’intérêt signifie-t-il la fin du monopole ?

Non. Tel qu’il a été rédigé, le cahier des charges privilégie les opérateurs disposant de gros moyens. Il se peut que la société Sefrioui le remporte, il se peut que cela soit une autre société.

Mais il est probable qu’une seule société gèrera le site.

Le problème se situe moins dans le monopole que dans l’intérêt de l’Etat. Il faut en effet démontrer que ce cahier des charges répond aux intérêts de l’Etat. La démonstration n’a pas été faite.

10. Quelle est la situation juridique de l’exploitation? Le Ghassoul est exploité depuis plusieurs siècles. Selon le rapport géologique officiel cité ci-dessus, le premier dahir de jouissance date du 14 mars 1786, il est signé du sultan Sidi Mohammed Ben Abdellah Ben Ismail, au profit des chorfas Oulad Moulay Ali de Ksabi de la Moulouya. Ils devaient reverser la moitié des redevances par eux perçus, au Trésor public. Le 23 mai 1947, les chorfas d’Oulad Moulay Ali de Ksabi de la Moulouya et l’administration des domaines, décident de remettre leurs droits à une entreprise moderne, la SABA, Société des argiles Abou Adra, laquelle devait verser une  redevance à partager par moitié entre le Trésor et les chorfas.

En 1945, la société du Ghassoul et de ses dérivés Sefrioui SA remplace la Saba et ce, jusqu’à ce jour. Le 6  décembre 1960, un dahir vient remplacer les chorfas bénéficiaires par la commune rurale de Ksabi de la Moulouya. Les droits d’exploitation se font par des cahiers des charges mais un seul soumissionnaire se manifeste et on se retrouve donc avec un seul exploitant, toujours le même.

La précédente adjudication a pris fin le 31 janvier 2013, et elle a été renouvelée par six mois, en attendant l’appel d’offres.

Au final, en l’absence d’une étude géologique et stratégique complète, qui répondrait aux questions légitimes au sujet du potentiel des gisements, de la taille du marché et des meilleures voies de valorisation, l’exploitation de cette richesse unique au mondene sera pas optimisée. L’appel à manifestation d’intérêt lancé par le département de M. Rabbah, n’est qu’un tout premier pas. L’essentiel reste à faire.

On peut également s'interroger sur le bilan, pour la collectivité nationale, des précédentes concessions accordées à Sefrioui S.A. Faute de quoi, l'opinion continuera à penser, comme elle le fait maintenant, que l'exploitation du ghassoul, richesse nationale unique au monde, a davantage profité à une famille qu'à la collectivité.


 

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