Bourse. Le phénomène GameStop est-il envisageable à Casablanca ?

M.M. | Le 5/2/2021 à 18:23

Des particuliers, petits porteurs, qui se liguent sur un forum internet pour mettre à terre de gros investisseurs. Voilà ce qui s’est passé en ce début d’année à Wall Street dans ce qui s’apparente à une rébellion contre le système. Selon un professionnel du marché marocain, ce scénario est impossible à reproduire à la Bourse de Casablanca. Pour plusieurs raisons. Explications.

Le scénario est digne d’un thriller de Hollywood. C’est “Main Street contre Wall Street”, la rébellion des « dégénérés », comme ils se nomment eux-mêmes…

Le pitch a fait le tour du monde : des millions de particuliers, de gamers, de jeunes étudiants, de geeks qui spéculent en Bourse décident fin janvier de s’attaquer aux Hedges funds en cassant leurs positions sur des titres comme GameStop, Nokia, Americain Airlines, le minerai de l’argent et d’autres valeurs minières…

Le procédé est simple : voyant que ces titres sont « shortés » par les fonds spéculatifs, ils lancent une campagne d’achats massifs, via Robinhood (plateforme de courtage en ligne sans frais qui porte bien son nom !) pour augmenter leur valeur à la hausse, faisant perdre au passage des milliards de dollars aux gestionnaires en cols blancs qui pariaient sur la baisse de ces actions.

Les hedges fund pris à leur propre jeu

Aux Etats Unis, la pratique n’a rien d’illégal. Le « shortage » est une opération des plus courantes chez les gros investisseurs, qui ont été pris au piège avec les règles du jeu qu’ils ont eux même instaurées. Une sorte de revanche à la loyale après une décennie de crise, exacerbée par la Covid-19, où des millions de familles ont été appauvries, quand les 1% des plus riches ne cessaient de s’enrichir.

Après plus d’une semaine de batailles acharnées, l’ambiance à Wall Street est revenue à la normale. Mais cette rébellion de toute une génération de jeunes petits loups du web contre la plus grosse place financière du monde inspire déjà les grosses maisons de production. Selon les médias américains, plusieurs projets de films autour de cette folle histoire est en préparation. Et Netflix est également dans la course en s’alliant avec le célèbre scénariste Mark Boal, oscarisé pour le film Démineur (The Hurt Locker). Quand Hollywood tient une bonne story, c’est l’emballement…

Un phénomène contagieux

Le phénomène, suivi par le monde entier y compris par les néophytes, s’est déjà propagé dans le monde. Le mouvement « WallStreetBets » né sur la plateforme Reddit d’où tout est parti, a inspiré les petits porteurs malaisiens qui ont, comme le rapporte la revue Capital, décidé de se mettre à l’investissement de coalition pour pousser à la hausse le titre du fabricant de gants en difficulté Top Glove, visé par de grosses opérations de ventes à découvert.

Ils ont ainsi créé un groupe appelé « BursaBets » sur le même site communautaire Reddit pour venir au secours de leur producteur national de gants en latex dont le cours, après avoir fortement grimé en 2020 avec la pandémie du Covid, a entamé dès l’arrivée des vaccins une descente aux enfers. Une brèche où se sont introduits les fonds spéculatifs misant sur la chute de la valeur, mais que ce groupe de petits porteurs est venu contrer en lançant, de la même manière que pour GameStop, un mouvement d’achats massifs, qui en un jour (vendredi dernier) a poussé le cours de l’action à une hausse de 8%, tirant dans son sillage les cours de toutes les entreprises du secteur des gants en latex.

« Je crois que le prix actuel des gants est très sous-évalué et ma position personnelle est qu'il faut conserver l'action jusqu'à ce qu'elle atteigne sa valeur d'équilibre », a souligné sur Reddit "Revenant", le fondateur du groupe Bursabets qui a plus de 6.800 membres. « Je veux juste que le marché réalise que les valorisations sont trop basses et que nos fabricants de gants méritent mieux », rapporte Capital.

En plus donc d’être excitant, inédit, le scénario GameStop se propage dans le monde et les WallStreetBets font des petits. Et plusieurs analystes n’excluent pas que ce mouvement, qui au-delà des cercles de la finance illustre une sorte de colère du petit peuple contre l’establishment, n’atteigne d’autres contrées dans le monde, notamment en Europe où les inégalités ne cessent de se creuser depuis la crise de 2008 et où la vague du populisme et de colère populaire prend de plus en plus d’ampleur (cas des gilets jaunes en France).

Des CasaBets ? « Impossible », selon un professionnel

Mais qu’en est-il du Maroc ? La Bourse de Casablanca peut-elle vivre pareil scénario ? Nos boursicoteurs peuvent-ils se liguer un jour contre les "zinzins" ? Réponse d’un professionnel du marché casablancais : « IMPOSSIBLE ». Et ce pour trois raisons, nous explique-t-il

La première est que l’origine du problème, la vente à découvert, est une pratique qui n’existe pas au Maroc. Elle est même illégale, selon notre source.

« Aux Etats Unis, cette pratique a atteint des proportions assez folles. Pour GameStop par exemple, 100% du flottant du titre était shorté. Il y a d’autres valeurs à Wall Street qui sont shortées à hauteur de 400% leur flottant. C’est très agressif. Et c’est ce qui a engendré cette rébellion et cette colère des petits porteurs puisque l'information est disponible sur Bloomberg qui donne la part de titres soumis à des ventes à découvert pour chaque action », souligne notre professionnel.

Si elle est illégale, la pratique de la vente à découvert n’est pas totalement absente du marché casablancais, reconnaît toutefois notre source. Mais elle est limitée aux investisseurs qualifiés et est très encadrée. Son nom : le prêt-emprunt de titre.

« C’est comme une vente à découvert. Je peux emprunter un titre de chez un gestionnaire sur trois mois, attendre la baisse de son cours pour l’acheter et rembourser le prêteur en me faisant une marge. C’est un pari sur la baisse comme dans une vente à découvert. Mais la pratique est très restreinte. Car elle est limitée d’abord par la loi à 10% de la taille d’un portefeuille. Et parce que les acteurs du marché ne jouent pas le jeu. Ils peuvent faire du prêt-emprunt d’actions, mais sur des tout petits montants. Et ça reste un jeu entre professionnels, puisque les particuliers n’ont pas accès à cet outil », explique notre source.

Deuxième raison de l’impossibilité d’un remake casablancais des WallStreetBets : la nature du marché marocain.

« Nous sommes sur un marché d’institutionnels. Je n’ai pas un chiffre exact du poids des particuliers, mais il est insignifiant. Et ne peut créer des phénomènes similaires à celui qu’on a vu aux Etats Unis. Les particuliers peuvent par exemple agir sur des petites valeurs pour décider de mieux les valoriser en une séance ou deux, mais ne peuvent pas aller au-delà de ça », souligne notre source.

Troisième raison : les relations entre petits boursicoteurs marocains et les instit’ ne sont pas les mêmes qu’à Wall Street.

« Au Maroc, il n’y a pas de relation conflictuelle ou de rancune entre petits porteurs et institutionnels. Car ils ont tous le même intérêt : que le marché soit bien valorisé. Et personne n’a intérêt à ce qu’une valeur baisse. Les instit’ sont même perçus par les particuliers comme les protecteurs du marché. Ce sont les instit’ qui sont intervenus en avril dernier pour stopper la chute vertigineuse du marché, et qui ont permis à la place de limiter ses pertes annuelles à 7%. Les intérêts des uns et des autres convergent », explique notre professionnel.

Au-delà de cette relation non conflictuelle, les particuliers sont même des suiveurs et collent aux positions des instit’, ajoute notre source. « A Casablanca, c’est les instit’ qui font la loi, qui donnent le la. Et les particuliers les suivent en toute confiance. Nous sommes dans un marché moutonnier, mais ça arrange tout le monde. Car les particuliers savent que les instit’ gèrent de manière raisonnable et sont plus dans une logique long-termiste que spéculative. Ils se positionnent sur des valeurs de rendement, solides, qui donnent de la visibilité sur le long terme. C’est pour cela que notre marché tourne sur une dizaine, voire une quinzaine de valeurs au grand max », explique notre source.

Si une rébellion des boursicoteurs est ainsi exclue, l’investissement de coalition est un phénomène qui existe bel et bien au Maroc, selon notre source. Mais il émane des institutionnels, souvent pour défendre des valeurs contre des investisseurs étrangers agressifs. Il nous donne le cas de plusieurs valeurs qui de temps en temps sont la cible d’opérations de ramassage par des investisseurs étrangers.

« Quand la position des étrangers commence à prendre du poids, avec des intentions de contrôle indirect ou direct, les instit’ se concertent pour lancer des achats massifs afin de pousser la valeur à la hausse et rendre la tâche difficile pour l’acheteur étranger. C’est arrivé plusieurs fois… Mais c’est souvent pour défendre des intérêts nationaux », confie notre source. 

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