
Administratrice indépendante BOA Group BMCE, ex-présidente du Conseil national du commerce extérieur, ex-conseillère du Premier ministre

Une nouvelle politique de l’Emploi : quelles chances de succès ? (2/2)
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Le 1 mai 2025 à 12h24
Modifié 1 mai 2025 à 18h23Dans la première partie de ce texte, et après avoir dressé un état des lieux et rappelé les principaux indicateurs de l'emploi ainsi que les politiques gouvernementales, Nezha Lahrichi conclut la première partie de cette manière: "Pour augmenter l’emploi, il faudrait donc une accélération significative de la croissance avec une augmentation de l’élasticité emploi-croissance". Voici la seconde partie.
Pour augmenter l’emploi, il faudrait donc une accélération significative de la croissance avec une augmentation de l’élasticité emploi-croissance, c'est-à-dire faire le choix -en plus des investissements très capitalistiques en cours et projetés, réalisés en grande partie par le secteur public- d'opter pour des investissements à forte intensité d’emplois.
Ils concernent les industries locales, les services (commerce et distribution, tourisme et restauration), l’agro-industrie…. autant de secteurs qui supposent l’amélioration de l’environnement des affaires et la réduction des rigidités du marché du travail.
→ C’est précisément le choix du gouvernement en optant pour la promotion des PME et des TPE.
Deux mesures notamment répondent à cet objectif :
1- Le dispositif d’appui dédié aux TPME prévu par la charte de l'investissement qui prévoit un montant de 12 milliards de DH et concerne les entreprises ayant un chiffre d’affaires compris entre 1 et 200 millions de DH ; il vise un changement de palier dans la création d’emplois via les CRI, Maroc PME ainsi que les commissions régionales unifiées de l’investissement seules habilitées à examiner les projets d’investissement.
2- l’appel au secteur bancaire pour contribuer à la création d’emplois à travers l’accès au financement des TPE. Il s’agit de la mise en place par Bank al-Maghrib, d’un dispositif de financement des très petites entreprises. Le refinancement des banques participantes se ferait à un taux préférentiel égal au taux directeur minoré de 25 pbs, soit 2% actuellement, augmenté de la marge des banques pour avoir le taux client.
Précisons que l’accès des TPE au financement bancaire n’est pas une évidence. Les crédits Covid sont marqués par une sinistralité élevée et les banques ont un problème de provisionnement compte tenu des capacités objectives et des conditions d’indemnisation de Tamwilcom (ex Caisse Centrale de Garantie) et du renforcement des normes prudentielles. Il s’agit d’un nouveau processus d’évaluation prudentielle dit SREP (Supervisory Review Evaluation Process) dont l’objectif est de renforcer la résilience des banques face aux risques observés et anticipés !
Développer un lab-action pour tester et ajuster avant de déployer
→Comment transformer la vision stratégique en actions concrètes ? Quel est le grand défi de la mise en œuvre de la feuille de route Emploi ?
Le dispositif prévu repose sur TROIS niveaux du sommet à la base :
-un comité interministériel présidé par le chef du gouvernement, dont les missions sont l’arbitrage, la cohérence de l’action gouvernementale et l’impulsion de nouvelles actions si nécessaire.
-un comité de suivi et de pilotage en charge du suivi opérationnel.
Il y a lieu de souligner qu’hormis les think tank ou laboratoires d’idées qui élaborent des visions stratégiques, il existe des think act ou laboratoires d’actions qui mettent en œuvre les idées retenues : expérimenter avant de généraliser; les exemples sont nombreux en Inde, au Rwanda , en Colombie … l’idée est de développer un lab -d’action pour l’emploi inclusif conçu pour tester, ajuster avant de déployer des solutions directement sur le terrain en partenariat avec les acteurs locaux.
-une unité de collecte et d’analyse des données qui est une condition impérative pour le succès de la FRE : un chômeur qu’on connait, qui a une famille à sa charge et une mère ou un père malade, est un drame, une tragédie ! Un million de chômeurs est une statistique ! L’IA est une chance pour assurer un suivi personnalisé à tous les demandeurs d’emplois.
A ce niveau, il est prévu que l’interopérabilité jouera un rôle crucial dans la gouvernance du marché du travail avec l’appui de l’intelligence artificielle et de l’Agence de développement du digital qui a un rôle clé à jouer dans la mise en œuvre de la plateforme nationale d’interopérabilité (PNI).
Mais il serait judicieux de créer un observatoire de l’emploi et des compétences par région : au-delà de l’objectif de suivi de TOUS les chercheurs d’emplois, l’intérêt d’un observatoire régional est d’identifier les freins spécifiques à l’emploi dans chaque région : mobilité, niveau de formation, inadéquation offre–demande, et ce en croisant les données socio-économiques et comportementales.
Un portail intelligent alimenté par l’IA pourrait offrir un accompagnement numérique personnalisé qui n’exclut pas un accompagnement humain adapté pour celles et ceux qui ne maitrisent pas l’outil informatique. L’idéal serait la mise en place d’un modèle hybride, adapté au contexte culturel marocain, avec une existence physique dans le cadre des CRI ou des délégations régionales du ministère du travail.
Un tel dispositif est en mesure de créer un profil dynamique de chaque chômeur : formation, compétences, expérience, historique de recherche d’emploi. À partir de ce profil, des algorithmes peuvent proposer des formations ciblées et des offres d’emploi adaptées.
Les chatbots, des assistants virtuels, peuvent orienter les demandeurs d’emploi 24h/24 vers les bonnes formations, par exemple, et tout ce qui est disponible dans leur région.
L’IA peut également faire des prévisions de trajectoires via des modèles prédictifs qui peuvent estimer les probabilités de retour à l’emploi selon les parcours et suggérer des stratégies d’insertion efficaces.
L’IA peut aussi faire une analyse en temps réel du marché du travail à partir de toutes les données disponibles : offres d’emplois, annonces en ligne, données de entreprises, etc Elle peut aider à créer une cartographie régionale des secteurs en croissance et des métiers en évolution.
Ce que permet aussi l’IA, c’est de faire une simulation d’impact des mesures prévues par les politiques d’emploi avant leur mise en œuvre ! Ce dispositif hybride qui donne une place à l’humain permet de prendre en considération les institutions invisibles : c’est toute la relation entre l’État et le citoyen qui est réinventée !
→ Quelle place pour le non-économique et l’invisible ?
Généralement ne sont évoquées que les institutions formelles qu’on peut atteindre par décrets et lois. or pour expliquer la résistance d’une économie à accéder à un niveau de développement supérieur et à créer des emplois, il faut prendre en considération également les institutions informelles qui sont réfractaires au changement ; elles sont invisibles et constituées par la nature et la qualité des relations entre individus et surtout entre individus et organisations : autorité, confiance, légitimité, etc qui s’imbriquent pour constituer un système !
-c’est pour dire que le processus de croissance varie dans chaque société. Il reflète la diversité des héritages culturels et des modèles mentaux sous-jacents au comportement des hommes et des femmes.
- c’est pour dire aussi que, derrière les chiffres et les systèmes d’information, il y a des hommes et des femmes, des ruraux et des urbains, des adolescents et des jeunes qui vivent pleinement la révolution numérique. Il s’agit d’une révolution des pouvoirs qui pose la question de l’autorité et de l’autonomisation dans leurs prises de décision.
En définitive, aucun modèle économique ne peut saisir les arcanes de la croissance économique au sein d’une société donnée ! Au Maroc, les insuffisances concernent les chiffres, en l’occurrence, les enquêtes sur l’emploi qui sont établies sur un système déclaratif et le calcul du PIB qui ne capte pas la totalité de la richesse nationale.
Les enquêtes de l'emploi sont effectuées par sondage
Les politiques de l’emploi sont basées sur des enquêtes et des recensements, c'est-à-dire des statistiques ! Est-ce que ce dispositif permet d’appréhender les réalités du marché du travail? d’une façon générale, le dispositif statistique connait des insuffisances qui concernent, hormis l’informel, l’emploi, le chômage et les compétences.
Les enquêtes sur l’emploi sont des enquêtes par sondage qui permettent de capter à la fois les emplois formels et informels mais elles sont basées sur un système déclaratif qui comporte forcément un biais déclaratif qui minimise, exagère ou cache un emploi non déclaré ; même si ces biais sont pris en compte, deux enjeux persistent :
-Le premier est de trouver le moyen de révéler les comportements non appréhendés par les chiffres, comme les stratégies d’auto-emploi par exemple, ou encore les freins culturels à l’emploi des femmes.
-Le second enjeu est de saisir les nouvelles réalités du marché du travail et ses nouvelles dynamiques comme le freelancing, le télétravail et tout ce qui relève du digital.
Une enquête sur les perceptions des chômeurs sur le chômage, une première du genre, a été menée dans la région de l’Oriental qui affiche un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale : 17,4% contre 11,8 % pour l’ensemble du pays en 2022 date de réalisation de l’enquête. L’idée est de mettre le doigt sur le ressenti des chômeurs dans cette région :
-la démarche pour chercher un emploi s’appuie sur des initiatives personnelles : contacts directs, amis, internet, presse etc . Seuls 12% effectuent des démarches auprès de l’Anapec !
-60% déclarent vouloir travailler dans une autre région,
-un chômeur sur deux a l’intention d’émigrer,
- le taux de chômage est également élevé en milieu rural, ce qui n’est pas le cas dans le reste du pays.
-3/4 souffrent de problèmes psychologiques.
Autant d’éléments qui illustrent l’impératif d’un suivi personnalisé et d’un accompagnement concret en mesure de redonner confiance et de développer un mental positif.
→La sous-évaluation du PIB, un agrégat important à qui on délègue la prise de grandes décisions !
Le PIB est au dénominateur d’une saga de ratios. Or, son calcul est ramené à la production marchande alors que les imperfections concernent également les productions matérielles, hormis les activités du secteur informel.
Ainsi, le calcul de l’investissement privé pose problème alors que la charte de l'investissement et le Nouveau modèle de développement le placent au cœur de la création des richesses et de l’emploi ; son estimation est indirecte, elle est opérée via la méthode des biens durables : ventes d’équipements, matériaux de construction, véhicules utilitaires, à laquelle on peut ajouter les données fiscales et les enquêtes de conjoncture, mais ces approches restent indirectes et donc incomplètes.
Il est évident que la modernisation des outils statistiques suppose la formalisation de l’économie, mais il faut aussi préciser que le calcul du PIB est régi par des normes internationales et les mêmes bases conceptuelles qui ne correspondent pas toujours aux réalités des pays en voie d’émergence : les statistiques économiques sont affaire de conventions !
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