Abdellatif Ait Boujbir

Avocat au Barreau de Casablanca et vice-président du Club des Avocats au Maroc.

Quels impacts de l’IA sur la profession d’avocat ?

Le 11 novembre 2023 à 14h04

Modifié 12 novembre 2023 à 15h18

L’intelligence artificielle renvoie à "l’ensemble des théories et des techniques développant des programmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine (raisonnement, apprentissage…)". Elle peut être mentionnée par plusieurs appellations : Machine Learning, Big Data, Chatbot... 

Si le terme d’"intelligence artificielle" (IA) est entré dans le langage commun et son utilisation devenue habituelle dans les médias, il n’en existe pas réellement de définition partagée.

Pour le Parlement européen, au sens large, le terme intelligence artificielle désigne "tout outil utilisé par une machine afin de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité".

L’IA est en réalité une discipline jeune, qui réunit des sciences, théories et techniques (notamment la logique, les mathématiques, les statistiques, les probabilités, la neurobiologie computationnelle et informatique) et dont le but est de "parvenir à faire imiter par une machine les capacités cognitives d’un être humain".

L’origine de l’appellation "IA" est attribué à John McCarthy du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Celle-ci est définit comme étant "la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique".

Avec son développement encore nouveau, mais rapide, l’IA, qui gagne de plus en plus du terrain dans plusieurs domaines, a révolutionné et a bouleversé de nombreux secteurs et spécialités, y compris celui du droit. On assiste donc à l’émergence de ce que l’on appelle un droit 'SMART' et une justice algorithmique avec l’apparition d’outils plus rapides, moins onéreux et moins passionnels que le tribunal. L’objectif déclaré par les concepteurs et producteurs des outils de l’IA est d’accroître l’accès à la justice et d’alléger le fardeau des juges.

L’IA en est encore à un stade embryonnaire, d’où l’importance de se préparer à une utilisation plus répandue de ses outils à l’avenir. L’objectif principal de l’intégration de l’IA dans le domaine juridique est d’optimiser l’efficacité et de maximiser le temps disponible pour les autres tâches.

Pour les avocats, l’IA peut avoir un impact significatif, à la fois positif et négatif, sur leur profession. Elle transformera la profession dans les années à venir en offrant aux cabinets d’avocats et aux services juridiques internes l’opportunité d’explorer de nouvelles approches et de relever des défis.

Les impacts de l’IA sur la profession d’avocat 

L’utilisation des outils de l’IA peut avoir des impacts positifs mais aussi des impacts négatifs de nature à métamorphoser la profession d’avocat.

Plusieurs activités routinières du métier d’avocat sont particulièrement affectées par l’usage de l’IA, notamment la recherche documentaire, l’analyse juridique et la prévision des résultats.

L’IA automatise donc les tâches répétitives des avocats ; cela leur permet d’économiser du temps, d’offrir aux clients un service de qualité supérieure avec des coûts peu élevés, et les aide à améliorer leur productivité et leur efficacité et à se concentrer sur les tâches les plus complexes requérant leur expertise.

Grâce à l’IA donc, les avocats peuvent réaliser des recherches juridiques de manière plus rapide et plus efficace. Les systèmes d’IA peuvent analyser de vastes quantités de données juridiques de manière approfondie, ce qui permet de repérer des précédents, des lois et des pratiques judicaires pertinentes. Cela est certainement de nature à améliorer la qualité de l’analyse juridique et à aider les avocats à prendre des décisions plus éclairées.

L’IA peut également aider les avocats dans la préparation des litiges en analysant les données, les preuves et les arguments pertinents. Elle peut également identifier les faits et les soubassements-juridiques clés, ce qui peut les assister à développer des stratégies de plaidoyer plus solides.

ChatGPT, cette véritable révolution, est un modèle de langage très avancé développé par OpenAl, conçu pour répondre à une grande variété de questions et de demandes de renseignements en utilisant le traitement du langage naturel et l’IA.

C’est un outil qui peut être qualifié de véritable "vulgarisateur du droit" étant capable de tenir une conversation et de développer des discours, des images, etc. Avec son apparition un vent de panique souffle, il est incontestablement en mesure de détrôner Google, un outil puissant qui représente une opportunité de gagner du temps pour les avocats, de formuler des réponses très acceptables à des questions non seulement simples mais aussi très compliquées, d’améliorer leur productivité, leur compétitivité sur le marché et leur communication avec les clients, de répondre rapidement et précisément à leurs besoins et d’établir des relations solides et durables avec eux. Ces clients sont souvent à la recherche d’avocats qui fournissent des services de haute qualité, des réponses rapides et une communication claire.

Avec l’avènement de ces nouvelles technologies et leur évolution rapide, les avocats sont invités à développer et à renforcer leur sens de l’adaptation. L’avocat est donc dans l’obligation d’avoir une meilleure compréhension de la digitalisation et de la manière dont il peut créer de la valeur et transformer son métier grâce à celle-ci, car les règles actuellement appliquées sont : "s’adapter ou disparaître", "s’adapter pour mieux se développer".

À la suite donc de ces transformations, le rôle des avocats va inévitablement se réorienter vers de nouvelles tâches qui exigent non seulement l’acquisition de nouvelles compétences, mais aussi une grande capacité d’adaptation aux conditions changeantes du métier.

C’est un enjeu crucial aujourd’hui pour tous les cabinets d’avocats, pour leurs clients. Ils peuvent ignorer l’IA, mais l’IA ne les ignorera pas.

On fait généralement la distinction entre deux types d’activités dans le quotidien d’un avocat : d’une part, les activités objectives, qui sont purement factuelles et impliquent par exemple de chercher une information ou de relire un contrat ; d’autre part, les activités subjectives telles que la négociation pour un client, le montage d’une stratégie de défense, la plaidoirie, etc. Il semble que les premières peuvent être en partie accomplies par l’IA, sous contrôle humain. En revanche, les deuxièmes doivent restées totalement en dehors des premières, ce qui pourrait réduire la demande pour certains types d’avocats.

Le problème également pour les avocats, c’est que les technologies d’IA juridiques sont de plus en plus disponibles en dehors des cabinets d’avocats, facilitant ainsi l’accès des citoyens aux informations et aux services traditionnellement fournis exclusivement par ces professionnels.

Les enjeux inhérents à l’invitation de l’IA

Les enjeux inhérents à l’application de l’IA sont généralement ceux liés à des questions de fiabilité des résultats et de responsabilité professionnelle.

Le devoir de confidentialité des avocats met en garde contre l’insertion de données confidentielles dans des applications de l’IA, ce qui pourrait transgresser la déontologie de la profession.

A titre d’exemple, un assureur américain pour cabinets d’avocats a déconseillé à ses clients d’utiliser ChatGPT et ses épigones, pointant le risque d’hallucinations, de fuites de données et autres révélations d’informations confidentielles.

Toujours aux Etats-Unis, un juge vient également d’interdire l’usage de documents rédigés par l’IA au tribunal, à moins que ceux-ci n’aient été scrupuleusement relus par un humain. C’est peu dire que la controverse autour de l’IA et du droit ne fait que commencer.

Il est à signaler également que l’IA peut offrir des réponses limitées et ne pas être à jour sur les nouvelles législations. D’ailleurs, ChatGPT, à titre d’exemple, ne cite pas ses sources, ce qui reste un vrai sujet évidemment, en premier lieu au regard de la fiabilité de l’information délivrée.

Il est important de noter que les professionnels du droit doivent toujours faire preuve de discernement et de jugement lorsqu’ils utilisent des modèles de langage, car ces outils ne peuvent pas, comme nous l’avons déjà dit, remplacer complètement les compétences et les connaissances spécialisées des professionnels du droit, mais plutôt les aider à travailler plus efficacement et à se concentrer sur des tâches plus complexes et à plus haute valeur ajoutée.

En un mot, les professionnels du droit doivent faire preuve de discernement et de jugement lorsqu’ils utilisent des modèles de langage pour garantir l’exactitude et la qualité des résultats produits.

Ces machines ne pourront pas remplacer les plaidoiries

Historiquement, l’impact d’une nouvelle technologie sur une profession ou un secteur met du temps à se faire réellement sentir, notamment parce que la technologie met du temps avant d’être au point, et qu’il faut aussi du temps pour la maîtriser et découvrir où elle est performante et où elle ne l’est pas.

Et par rapport à l’avenir de la profession d’avocat, on peut s’interroger, c’est certain, mais il faut également relativiser. La profession d’avocat a toujours résisté à plusieurs changements et évolutions à travers son histoire ; rappelons-nous toutes les révolutions contre les machines menées par les ouvriers par crainte d’être déclassés.

Ces machines ne pourront pas remplacer les plaidoiries et ne feront pas concurrence aux compétences très spécialisées de certains avocats (Milburn, 2019 ; O’Brien, 2019), et l’usage des technologies juridiques ne devrait pas être confié à des personnes qui n’ont pas de connaissances juridiques et se fieraient aux résultats fournis par les systèmes, sans pouvoir les expliquer.

Il faut tenir compte également du fait que le contact humain joue un rôle essentiel dans le métier d’avocat, qui implique de nouer une relation de confiance avec les clients. Les technologies d’IA ne peuvent fournir aucun apport dans cette dimension relationnelle du métier, qui passe nécessairement par les interactions sociales (O’Brien, 2019).

Et relativement à l’adoption et à l’application systématique des outils de l’IA, certains sont contre, d’autres pour ; le sujet n’est encore pas mûr mais la discussion ne cesse de progresser, et quoi qu’il en soit, il n’est pas question que les scientifiques et les sociétés de production de machines intelligentes tranchent seuls cette question de façon purement mercantile, tout en tenant compte qu’une coexistence entre l’IA et l’intelligence humaine est indispensable et inévitable.


Bibliographie :

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