Othman EL Ouazzani

Fondateur du cabinet THOTH Consulting. Il a plus de 30 ans d’expérience dans le domaine du marketing des produits de grande consommation.

Quel est le retour sur investissement de votre marketing ?

Le 25 mai 2023 à 11h36

Modifié 26 mai 2023 à 10h20

L'investissement marketing doit trouver son rôle comme moteur de croissance et de revenus pour les marques et les entreprises. Et on doit lui demander de rendre des comptes. Un texte signé Othman El Ouazzani.

Question existentielle pour les chefs d’entreprises, marketers, chefs de marques, social media planners et brand strategists, à laquelle toutes sortes de réponses peuvent être données pour éluder le fait que l’investissement marketing doit trouver son rôle comme moteur de croissance et de revenus pour les marques et les entreprises et qu’on lui demande de rendre des comptes. Ici, commence un voyage dans les méandres de la théorie et de la pratique du marketing qui va nous emmener dans des sentiers peu battus, mais qui révèlent le caractère très stratégique de cette discipline au sein de toute organisation. Bienvenue à Bord !

1 - Facteurs endogènes et exogènes

Afin de répondre à la question posée, nous allons commencer par nous intéresser aux facteurs qui influent (drivers & draggers) sur la performance d’une entreprise à délivrer un chiffre d’affaires donné. On classe ces facteurs en deux groupes : ceux qu’on contrôle (endogènes) et ceux que l’on ne contrôle pas (exogènes).

Facteurs endogènes : Investissements publicitaires Off-Line (TV, radio, affichage, presse, cinéma), On‑Line (search [branded/unbranded], social media, display, native, vidéo, marketing d’influence, email & affiliate marketing, site web, CTV…), relations publique, buzz/WoM et e-réputation, prix, politique de distribution par canal et mise en marché, promotion et merchandising.

Facteurs exogènes : Climat et saisonnalité, économie/ICV et moral des ménages, actions concurrentielles (sur les 4P), fêtes religieuses et vacances, évènements exceptionnels (grève, pandémie, boycott, pannes majeures…).

Une fois ces éléments posés, la question qui revient est la suivante : comment alors déterminer la part de chacun de ces facteurs dans le chiffre d’affaires global de l’entreprise/marque ou de tout autre KPI choisi, et qui portera le nom de variable dépendante, les facteurs cités plus haut sont eux désignés comme variables indépendantes ? D’autres questions sont soulevées :

-Comment les ventes se génèrent-elles vraiment ?

-Comment évaluer et isoler l'impact des différentes tactiques opérées ?

-Quelle est la meilleure façon de déployer les ressources futures pour le meilleur rendement possible ?

2 - Historique des modèles marketing

Entre en jeu ce qui est communément connu sous le nom de modélisation du marketing mix (en anglais marketing mix modeling ou MMM), et qui a pour vocation d’étudier et d’établir un lien direct entre un stimulus (marketing) et sa résultante (ventes) compte tenu de l’alignement des deux dans le temps et sur des canaux ou segments de consommateurs.

Pour la petite histoire, le terme de « marketing mix » a été inventé par Neil Borden en 1949 alors Professeur à la Harvard Business School. Son idée étant qu’un marketer pouvait utiliser un ensemble de variables « contrôlées » ou Marketing Mix pour influencer le comportement des consommateurs et atteindre les objectifs escomptés. Cependant, le crédit pour les 4P du marketing mix revient à Jérôme McCarthy qui en 1960 réduit les 12 éléments développés par Boyden à seulement 4 qu’il appela « the Four-Ps » ou les 4P (Product, Price, Promotion, Place) et qu’il vulgarisera dans son ouvrage intitulé « Basic Marketing : A Managerial Approach ». Pour ce qui est de la modélisation du marketing mix, le premier cas d’utilisation remonte aux années 50, plus précisément chez GE (General Electric Company) grâce aux travaux de Paul Farris et Neil Bendle qui développèrent un modèle statistique pour analyser l’impact des variables Marketing sur les ventes de différentes marques et lignes de produits qu’ils baptisèrent « Marketing Response Modelling ». Le décor est donc planté, on parle de modèle et qui dit modèle dit architecture ou construit conceptuel : modèle de comportement du consommateur et modèle statistique ou économétrique sous-jacent.

En publicité, le modèle AIDA est bien connu. Il a été développé par E. St. Elmo Lewis au début du XXème siècle. Il a été le premier à reconnaitre l’importance de comprendre le processus de prise de décision du consommateur afin de développer des messages publicitaires ciblés qui le feront évoluer au travers des différentes étapes du processus (Attention/Intérêt/Désir/Action). Un autre modèle de comportement du consommateur qui trouve son écho dans le Digital aujourd’hui est le modèle EKB (Engel-Kollat-Blackwell) développé en 1968 qui propose un modèle de processus de prise de décision en 5 étapes :

  1. Reconnaissance du problème
  2. Recherche d’information
  3. Évaluation des alternatives
  4. Décision d’achat
  5. Évaluation Post-Achat

Cette petite parenthèse illustre une spécificité du marketing et de la publicité en particulier qui est celle, erronée d’ailleurs, d’imaginer que l’action du consommateur est immédiate ou la conséquence directe de l’exposition au stimulus. En effet, il est logique et pratique de penser que le processus mental et émotionnel de la prise de décision d’achat suit un chemin (Path) qui est maintenant illustré par la multitude d’entonnoirs (Funnels) qui tendent à formaliser le comportement du consommateur dans le monde du Marketing Digital (Consumer Purchase Funnel) et de déterminer les actions adéquates à chaque niveau (Top/Middle/Bottom of Funnel).

3 - Comportement des consommateurs

Deux considérations à prendre en compte pour dissiper des mythes sur la publicité et le comportement du consommateur :

-La publicité a certes un effet à court terme sur les ventes, mais aussi un effet à plus ou moins long terme qui est souvent passé sous silence. Les modèles de modélisation marketing tiennent compte de cette dualité dans l’effet temporel de la publicité selon un autre modèle, cette fois-ci proposé par Donald Broadbent : Ad Decay Model. Ce modèle a été instrumental dans la compréhension des mécanismes de l’attention, de la perception et des processus mémoriels. Ce point est intéressant, car souvent les discussions entre la Direction Générale et le Marketing tournent autour de l’impact des investissements Marketing sur les Ventes. Avec la modélisation marketing, il sera possible d’isoler les effets à court terme sur les ventes et les effets à long terme qui eux sont souvent associés et liés à des initiatives de construction de marque (Brand Building) ou d’image de marque (Image Building). Une fois connus, cela tendra à donner au marketing une posture plus stratégique au sein de l’organisation.

-La deuxième idée reçue est que le consommateur doive absolument suivre le cheminement des étapes du modèle hiérarchique de comportement adopté. Rien n’est moins vrai et il n’y a pas d’ordre a priori. Le consommateur pouvant suivre des voies inédites qui d’ailleurs font ressurgir cette vieille querelle dans le Marketing et les Sciences Humaines : Est-ce l’attitude qui influence le comportement ou l’inverse ? Donc, ne sachant pas par quel mécanisme mental notre consommateur passe et quel canal parmi la multitude utilisée a eu le plus d’effet dans son cheminement jusqu’à l’acte d’achat (Consumer Decision Journey), il devient important là aussi de faire appel à la modélisation Marketing (MTA : Multi Touchpoint Attribution Modeling) pour tirer au clair cette affaire et d’attribuer à chaque canal utilisé sa juste valeur et contribution dans la CDJ. Je passe sur la gestion des cookies, votée en 2018 par le GPDR, qui ne fait que compliquer davantage cette situation.

4 - Modèles économétriques

Nous avons abordé succinctement les modèles qui permettent de se faire une idée du cheminement et comportement du consommateur jusqu’à l’acte d’achat. Il nous faut à présent parler un peu des modèles économétriques utilisés. Il y en a à foison, mais je m’intéresse à des travaux récents et d’avant-garde de William Kirk (Middlegame Marketing Sciences) et Jeff Greenfield (Provalytics) et qui ont fait leur preuve qui fondent leur approche sur les modèles suivants :

Path Analysis : L'analyse de chemin est la technique statistique utilisée pour examiner les relations causales entre deux ou plusieurs variables, en examinant les effets directs et indirects sur une variable dépendante. Elle a été introduite par Sewall Wright en 1921 lors de travaux de recherche en génétique. Elle a été popularisée par d’autres chercheurs, notamment Karl Jöreskog et Dag Sörbom qui en ont développé une version plus sophistiquée appelée « Modélisation d’Équations Structurelles », en anglais SEM (Structural Equation Modelling).

Seemingly Unrelated Regression (Régression Sans Lien Apparent) : C’est une méthode en économétrie, introduite par Arnod Zellner en 1962, et utilisée pour estimer plusieurs modèles de régression qui sont liés entre eux mais qui ne sont pas directement liés à une variable dépendante commune. Cela permet de prendre en compte les corrélations entre les variables indépendantes, ce qui peut améliorer la précision des estimations.

Hierarchical Bayesian Model (Modèle bayésien hiérarchique) : C’est est une méthode statistique avancée basée sur le théorème de Thomas Bayes qui fut  publié en 1763 et qui permet de modéliser des relations complexes entre plusieurs variables en utilisant une approche probabiliste. C’est une méthode émergente de nos jours qui repose sur la puissance de calcul en informatique pour résoudre mathématiquement les relations entre les chemins avec des résultats et effets logiques.

La combinaison de ces trois techniques permet de construire des modèles précis qui tiennent compte non seulement de la complexité des canaux digitaux et leur impact mais aussi de l’effet du Off-Line (aka médias traditionnels) quand celui-ci est utilisé, entre autres variables. Pour preuve, le MAPE (Mean Average Percentage Error) ou erreur moyenne des modèles est de l’ordre de 1 à 2%. Dit autrement, pour une estimation faite par le modèle, celle-ci sera de 1 à 2% proche de la réalité observée.

Nous y voilà donc ! J’espère que cela n’a pas été trop complexe à digérer, nous allons à présent entrer un peu plus dans le vif du sujet.

5 - Base Zéro et contribution

Un point important dans la compréhension des concepts qui vont être présentés par après est la mise au niveau zéro ou minima des variables Marketing. Je veux dire par là, imaginez que pour un business donné on mette la publicité à zéro, c’est-à-dire que l’on ne va plus investir du tout. Que va-t-il advenir ? Si tant est que la publicité a un effet sur les ventes, celles-ci vont certainement baisser d’un certain ordre. Autre exemple, si les ruptures de stock sont élevées (niveau min inversé = Max), des ventes seraient perdues à coup sûr.

C’est donc ce réglage où on tourne le bouton de toutes les variables marketing à leur niveau le plus faible ou nul et qu’on évalue le niveau des ventes qui en résulte, cette quantité qui reste est ce qu’on appelle la base (Baseline Sales en anglais). C’est le quantum de ventes quand tout est au minimum absolu côté marketing. C’est à partir de cette base que l’on évalue l’impact (incrémental) et la contribution de chaque variable marketing entrant dans la composition du modèle qu’on appelle décomposition des ventes (ou Sales Decomposition).

J’explique un autre concept qui découle de celui-ci. Il s’agit de comprendre comment la performance d’une période N à N+1 s’explique au travers des variables indépendantes du modèle, autrement dit quel a été l’impact de chaque variable pour le delta ou % de variation observé d’une période à l’autre. Plus prosaïquement, comment expliquer le +4% de ventes ou CA entre le trimestre 2 et le trimestre 3 ? Car n’est-ce pas là l’un des objectifs de la modélisation Marketing : comprendre la contribution et l’impact des variables Marketing (et autres) sur le business. Cette analyse est très courante dans les projets de MMM, on l’appelle le « Due To » et se présente généralement sous la forme d’une charte en escalier (Waterfall Chart) ou la Période 1 est exhibée et l’impact (positif, négatif ou neutre) de chaque variable est visualisé jusqu’à arriver au niveau de ventes ou CA de la période N+1.

A ce stade, vous êtes devenus bien calés en MMM et certainement que vous vous posez des questions un peu plus pertinentes et difficiles.

6 - Impact des variables marketing

On prend notre architecture qui décrit les interactions qui peuvent survenir tout au long du cheminement consommateur (CDJ) depuis la prise de connaissance de la marque ou produit jusqu’au moment d’achat. Nous introduisons le framework de POEM (Paid/Owned/Earned Media) qui servira de trame pour l’analyse de l’impact des variables marketing.

Adapté avec permission MG MSc®, 2023 All Rights Reserved.

Les concepts suivants sont appliqués et analysés pour chaque variable marketing inclue dans le modèle, surtout en Paid Media.

Contribution (Efficacité) : L’impact incrémental dû à la présence d’une activité marketing spécifique. Elle pourra être exprimée en unités de ventes ou de revenus. Il est recommandé d’utiliser la même mesure pour les variables étudiées afin de permettre les bonnes comparaisons, qu’elles soient en interne ou sur d’autres critères (marques entre elles, géographies, périodes)

Efficience : La contribution pondérée par le coût de l’activité marketing en question. Elle est exprimée sous la forme d’un ratio : impact incrémental divisé par le coût de l’activité. Il devient comparable à d’autres leviers marketing et permet de se rendre compte de la performance de chaque levier et de sa contribution, ceci pour des besoins d’optimisation par la suite.

Analyse de la réponse marginale : Cette analyse est faite pour chaque levier marketing. Elle prend la forme d’une courbe en S. Celle-ci illustre les notions de seuil et de saturation. En dessous du seuil, les efforts de marketing n'ont aucun impact sur les ventes, et au-dessus de la saturation, il n'y a plus d'augmentation des ventes. Cette notion est très présente en publicité par exemple, c’est le « point of Diminishing Returns », c’est-à-dire le montant d’investissement média au-delà duquel il n’y a plus d’impact sur les ventes. Dit plus crument, si au lieu d’investir 100 on met 150, le résultat incrémental sera le même, c’est-à-dire qu’on aura jeté 50 par la fenêtre. C’est pour cela qu’il est important de déterminer les seuils pour optimiser au maximum son investissement et sa profitabilité pour le business.

Une fois que l’on a compris la contribution, l’efficience et la courbe de réponse de chaque levier marketing, l’on sera mieux armé pour recommander des ajustements et des redéploiements de ressources.

7 – Modélisation et optimisation

La technologie actuelle permet justement de faire des simulations sur l’impact qu’aurait une baisse ou une augmentation d’investissement marketing, un changement de prix à la hausse ou à la baisse, une amélioration de la distribution et une réduction des ruptures, identifier les types de promotion les plus efficaces pour les réutiliser, les canaux digitaux les plus intéressants et les modes d’activation dans le plus fin des détails. Encore mieux, on pourra faire des optimisations c’est-à-dire avec un même budget, redéployer les investissements pour un retour sur investissement plus important. Ou encore, simuler une augmentation de 5% de budget avec son déploiement et le résultat correspondant.

Et c’est loin d'être fini ! On pourra faire des prévisions sur les performances futures avec des scénarios que l’on aura préalablement définis et que l’on discutera dans le détail avec les parties prenantes au sein de l’organisation. On voit bien qu’au travers de cette démarche, l’on rentre de plain-pied dans le monde du marketing stratégique et que celui-ci devient un centre de décision névralgique au sein de toute organisation et qui est bien la place qui lui revient.

Un dernier mot et non des moindres. La pierre angulaire à tout l’édifice MMM c’est, -vous vous en douterez bien-, la data. Sans données, le MMM ne saurait être. La data qui doit être organisée, traitée, transformée et préparée avant toute modélisation. Le travail des experts commence dès ce niveau-là et jusqu’à la présentation des données stratégiques de l’exercice.

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