Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Abdallah-Najib Refaïf avec Najib Mahfoud à Al Ahram en 1988.

Nobel de littérature : Camus, Ernaux, Mahfoud et les autres…

Le 24 octobre 2022 à 15h40

Modifié 24 octobre 2022 à 15h40

La joie et l’allégresse qui se répandirent dans le monde arabe après la consécration du grand écrivain égyptien Najib Mahfoud, prix Nobel de littérature en 1988, contraste avec les clivages et déchaînements idéologiques et politiques qui ont entouré la récompense d’Annie Ernaux.

À l’issue de la cérémonie d’attribution du prix Nobel de littérature à Stockholm le 10 décembre 1957, Albert Camus, troublé et encore sous le coup de la panique, a prononcé son fameux discours au début duquel il va s’interroger : “Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d’une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l’amitié, n’aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d’un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d’une lumière crue.”

Avant sa consécration le 16 octobre 1957, une quarantaine d’écrivains étaient en course, dont Jean-Paul Sartre, qui l’obtiendra - mais le refusera - en 1964, et André Malraux qui, lui, ne l’aura jamais. Camus, qui avait de l’admiration pour ce dernier, dira à l’un de ses amis : “C’est Malraux qui aurait dû l’avoir.” Il se confiera à un autre : “Je vais avoir plus d’ennemis que jamais.” Ce fut le cas. Une tempête de critiques va se déchaîner contre le jeune lauréat et des plumes assassines vont moquer ses écrits, minimiser son œuvre, réduire sa pensée à celle d’un “signataire de pétitions” et sa réflexion philosophique à celle d’un “philosophe pour classes terminales”.

Une bien triste et fielleuse passion française...

Soixante-cinq ans plus tard, une lauréate cette fois-ci, la première écrivaine française (sur seize auteurs mâles depuis la création du prix Nobel en 1901) va déchaîner une tout autre tempête de passions tristes, d’invectives et de piques haineuses, et couper en deux le landerneau culturel de l’Hexagone. À ma gauche, les soutiens, plus souvent des femmes, féministes ou pas, de gauche notamment, et plus ou moins admirateurs de ses écrits ou de ses prises de position politiques. À ma droite, des intellectuels, forcément de droite, forcément, et, plus étonnant, encore, des femmes parmi eux.

Il s’agit d’Annie Ernaux, nobélisée cette année et célébrée, quasi-unanimement, dans plusieurs pays du monde. Depuis sa fondation, le prix Nobel de littérature est une distinction qui consacre et légitime son lauréat et, à travers lui, sa nation ; l’érige en tant que “grand écrivain national” dont la patrie se doit d’être fière. Mais pas en France. Comme pour Camus en 1957, une passion française, triste et fielleuse, faite de clivages idéologiques et de haines recuites, va mettre au jour encore une fois les divisions politiques en autant de mésententes littéraires. Traitée de “sédatif littéraire”, de sociologue égotique, de féministe hystérique dépourvue de talent, d’islamiste, de séparatiste et de bien d’autres noms d’oiseaux, Annie Ernaux est devenue à la fois le symptôme et le symbole d’une passion triste bien française. Sport national, le débat d’idées dont se targue la classe intellectuelle en France ne fait pas toujours dans le fairplay.

À propos de sport, seule la victoire de la France lors de la Coupe du monde de football de 1998 avait, pour une fois, rassemblé les Français après une consécration internationale. Moins, il est vrai, Jean-Marie Le Pen, qui avait trouvé que l’équipe tricolore comptait trop de joueurs de couleurs.

...qui contraste avec l’union et la fierté arabes à l’égard de Najib Mahfoud

Pour plus de proximité, loin de ces récriminations bien françaises et toujours à propos du prix Nobel de littérature, comment ne pas se remémorer l’unanimisme, dans la joie et l’allégresse, qui avait marqué la vie des gens de ce monde, que l’on dit arabe, après la consécration du grand écrivain égyptien Najib Mahfoud en 1988. Ici, point de critiques ni de dénigrements. Personne n’y trouva rien à redire, ni à reprocher à l’auteur du Passage des Miracles et de bien d’autres romans qui ont marqué nos études scolaires.

Même ceux qui, ici au Maroc comme ailleurs au Moyen-Orient, disaient pis que pendre sur Mahfoud, sur ses romans simplistes, sur son style plat et ses personnages populeux, voire l’usage dévoyé du dialecte dans les dialogues, sur son univers étriqué calqué sur les rues et les venelles du vieux Caire et sur les ombres de ses vieilles bâtisses. Bref, le monde arabe, qui a toujours été - et est encore - la parfaite illustration de la division et du clivage ; ce même monde entretenant le fantasme de sa fameuse et improbable “unité arabe de l’Atlantique au Golfe” était uni, debout et fier, applaudissant à tout rompre son premier et unique Nobel de littérature.

L’auteur de ces lignes a eu le privilège d’assister à une visite qu’une délégation d’écrivains et d’artistes marocains avait rendu à Najib Mahfoud quelques semaines après sa consécration. Il nous avait reçus chaleureusement au siège du quotidien égyptien Al Ahram, où il avait un bureau personnel. Pour la circonstance, le président de l’Union des écrivains du Maroc de l’époque avait lu un long et sirupeux discours dans un arabe classique ampoulé, archaïque et emphatique au nom de la délégation.

Emporté par son enthousiasme patriotico-panarabiste, il avait même précisé que c’était également au nom du peuple marocain dans son ensemble. Le lauréat l’a écouté poliment en esquissant quelques sourires, mais difficilement aussi car il commençait alors à avoir des soucis d’audition. Prenant la parole, Najib Mahfoud allait prononcer un petit laïus aussi bref que chaleureux, dans un arabe dialectal égyptien simple, sans circonlocution ni fioritures.

Voilà donc un écrivain arabe, le seul à ce jour à obtenir la plus grande distinction littéraire du monde, qui parle comme l’un des personnages de ses romans que l’on avait étudiés à l’école (Al Karnak, Kasr Echouq, Tartara fawqa Nil, Alesso Wal Kilab, et.). “Dounia !” (“Un monde !”), comme s’exclamait Najib Mahfoud pour marquer son étonnement devant un fait ou une situation qui l’étonnait. Le président de l’Union des écrivains, qui s’était trituré les méninges pour faire son discours dans un arabe trop classique, avait l’air fin. Quelques membres rigolards de la délégation marocaine n’allaient pas manquer de le relever en s’en gaussant.

Très discret, Najib Mahfoud ne faisait guère parler de lui et prenait rarement part aux débats littéraires et politiques qui secouaient son pays et le monde arabe à cette époque. Il quitta son pays deux fois seulement dans sa vie et ne se déplaça même pas à Stockholm pour prononcer le discours de réception. Il fut représenté par ses deux filles et son discours fut lu en son nom par un jeune écrivain, Mohamed Salmawi.

De plus, il n’a jamais voulu écrire ses mémoires, se contentant de laisser son ami, le romancier Jamal Ghitany, “le raconter” à sa façon dans de longs entretiens publiés bien avant le Nobel sous forme de “mémoires parlées”. Mahfoud aimait dire que “le degré suprême du bonheur, c’est de trouver des gens qui nous aiment : qui nous aiment pour ce que nous sommes, ou mieux encore, malgré ce que nous sommes.”

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