Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Nigéria, le changement dans la continuité

Le 14 mars 2023 à 14h06

Modifié 14 mars 2023 à 14h06

Après deux mandats passés à la tête de l’État nigérian, le président Muhammadu Buhari âgé de quatre-vingt ans cédera en mai prochain la présidence à un autre cacique du Congrès des progressistes, All Progressives Congress ou APC, en la personne de Bola Ahmed Tinubu. La commission électorale a déclaré ce dernier vainqueur par 36,61% des suffrages, contre 29,07% pour Atiku Abubakar, chef du Parti démocratique populaire (PDP).

Ce sont au total dix-huit candidats qui ont concouru pour cette élection. Certains ne sont pas à leur première tentative, comme l’opposant Atiku Abubakar du PDP qui s’est présenté pour la sixième fois comme candidat. Âgé de 76 ans, il a fréquenté durant sa vie toute la classe politique et économique du pays en tant que haut fonctionnaire et homme d’affaires avisé qui a fait fortune dans le secteur pétrolier.

Malgré son expérience, c’est son adversaire Ahmed Tinubu qui a remporté la plupart des trente-six États que compte le pays au nom du parti APC au pouvoir, à l’exception d’Abuja et de Lagos. Tinubu est connu pour avoir mis en selle plusieurs personnalités politiques du pays et porte fièrement le sobriquet du parrain. Il baigne dans la vie politique avec grande aisance et ne s’est pas gêné de brandir le slogan "C’est mon tour" pour se faire élire à la tête du Nigéria.

Comme dans d’autres contrées africaines, les perdants crient toujours, à tort ou à raison, au scandale après chaque élection. L’opposition nigériane a dénoncé certaines irrégularités suite à la victoire de Tinubu qui a appelé, pour sa part, ses adversaires à la réconciliation. "Laissez-nous faire équipe, le Nigéria est la seule nation que nous ayons, et nous devons la construire ensemble", leur a-t-il répliqué. Il leur a recommandé de suivre la voie légale, et contester les résultats devant les tribunaux.

Tinubu a derrière lui un passé de résistant face aux régimes militaires qui ont gouverné le pays jusqu’au rétablissement de la démocratie en 1999. En raison de ses opinions politiques, il s’est exilé un temps à l’étranger, et n’est revenu au pays qu’après leur départ. Musulman de la tribu Yoruba, il est l’un des vieux routiers de la vie politique nigériane. Il a aussi la réputation de dénicher les bons profils pour gérer la politique et l’économie du pays. On lui attribue même un soutien actif à l’élection de l’ancien président Buhari à la tête de l’État.

Pourtant, l’ancien président Buhari est un vieux routier de la vie politique du pays depuis les années soixante. Militaire, il a participé au coup d’état de 1966 en s’opposant au président Shehu Shagari, élu démocratiquement en 1979, mais renversé avec l’aide de Buhari lui-même en 1983. Le basculement de la vie militaire à la vie civile est l’autre caractéristique de la vie politique nigériane. Olusegun Obasanjo, ancien chef d’État militaire de 1976 à 1979, est revenu au pouvoir lui aussi en tant que civil, pour deux mandats entre 1999 et 2007.

Des défis majeurs

À bientôt soixante et onze ans, Tinubu sera donc investi le 29 mai prochain comme le cinquième président de la quatrième république de l’histoire moderne du Nigéria. Il aura devant lui des défis majeurs à relever pour stabiliser un pays où l’insécurité règne au nord, avec des groupes terroristes comme Boko-Haram, et au sud dans la région du Delta, sans compter les problèmes économiques et la corruption endémique qui gangrènent le pays.

Mais l’autre défi qui inquiète les responsables nigérians est la démographie galopante et non maitrisée que connait le pays. Avec 220 millions d’habitants, le pays comptera 410 millions en 2050, ce que certains démographes qualifient de bombe à retardement. Déjà, près de 70% de la population actuelle vit avec moins de deux dollars par jour. À la fin de notre siècle, Lagos sera l’une des trois villes les plus peuplées de la planète.

C’est dire tout le travail qui reste à abattre pour le nouveau gouvernement qui devra donner l’espoir à une jeune génération impatiente qui cherche à améliorer son quotidien. 60% des Nigérians ont moins de 24 ans, dont une majorité ne trouve pas facilement un emploi pour démarrer une vie active, et n’a devant elle que le secteur informel. Pour une grande majorité des jeunes nigérians, les richesses du pays sont accaparées par une minorité corrompue.

Pourtant, le Nigéria possède des ressources naturelles en abondance, dont le pétrole, le gaz, le caoutchouc, le cacao, l’arachide, le bois et bien d’autres minerais précieux. Son PIB est estimé à 400 milliards de dollars faisant du pays la première économie du continent africain. Le secteur agricole représente 18% du PIB et emploie un tiers de la population active. Avec le secteur minier,  il représente un contrepoids à la domination du pétrole dans l’économie du pays.

La manne pétrolière, qui représente 60% des recettes de l’Etat, a connu une forte chute suite à la pandémie covid. La volatilité des prix internationaux et la baisse des recettes ont poussé le président Buhari à promulguer une loi fixant un nouveau cadre réglementaire pour moderniser l’industrie pétrolière et s’attaquer à la diminution des recettes publiques. Mais au-delà de ces faiblesses, la priorité du nouveau président se résumera à l’amélioration de la sécurité, et à la lutte contre la corruption qui gangrène la société et répulse les investisseurs.

Mais en raison de l’importance de son économie, du poids de sa population, et de sa situation géographique, le Nigéria constitue le cœur battant de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest, CEDEAO. Il y joue un rôle prépondérant au niveau économique comme au niveau politique en tant que pays stabilisateur d’une région souvent sujette à des conflits politiques et ethniques. Abuja n’a jamais hésité à participer, par ses casques bleus, à aider à pacifier les pays de la région comme le Liberia, Serra Léon et bien d’autres pays africains.

Le pays est aussi très impliqué en Afrique. Depuis son indépendance, le Nigéria a soutenu l’émancipation des autres pays africains comme l’Angola, le Zimbabwe ou l’Afrique-du-Sud durant l’apartheid. Après l’accès au pouvoir de l’ANC, Abuja n’a pas vu d’un bon œil l’interférence de l’Afrique du Sud dans les conflits africains, notamment au sein des pays de la CEDEAO, et sa marginalisation délibérée au profit de Prétoria sur plusieurs sujets qui concernaient le continent.

Le nouveau gouvernement nigérian devrait donc s’atteler à reprendre l’initiative en Afrique, tout en améliorant ses relations avec les grandes puissances. Les États-Unis voudraient que le Nigéria respecte les droits humains et travaille pour une vraie transition démocratique tout en luttant efficacement contre le terrorisme et l’insécurité qui nuisent aux affaires. Abuja, qui entretient également de bonnes relations avec la Chine et la Russie, a adopté une stricte neutralité dans le conflit ukrainien qui oppose Washington à Moscou, au grand dam des Américains.

Tinubu, le nouveau chef d’Etat, prend en main la destinée du pays à un moment crucial où les relations internationales passent par une zone de turbulences. Sur tous les continents, les pays redéfinissent leurs priorités et les relations entre eux et les grandes puissances. Tinubu a toute l’expérience pour reprendre le flambeau et faire progresser les intérêts du Nigéria dans le monde, et plus particulièrement en Afrique.

Dès son élection, il a exprimé son souhait de faire du Maroc le modèle de développement dont son pays devrait  s'inspirer. Ceci nous ouvre de grandes perspectives pour concrétiser les projets déjà établis comme le gazoduc, l’autoroute Tanger-Lagos, ou la production d’engrais de phosphate, et d’ouvrir d’autres chantiers entre les deux économies et les deux peuples. Face à la désintégration du Maghreb, l’histoire nous a enseigné que notre croissance économique et notre influence trouveront toute leur plénitude vers les pays du sud. Le changement qui s’opère au Nigéria prélude d’un nouveau départ entre nos deux pays.

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