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Abdelmalek Alaoui

Président de l'Institut Marocain de l’Intelligence Stratégique (IMIS)

Ni puissance ni ingérence : ce que signifie la stratégie marocaine au Sahel

Le 30 avril 2025 à 16h19

Modifié 30 avril 2025 à 16h20

Les audiences royales du 28 avril disent tout: le Maroc recompose patiemment l’équilibre diplomatique régional. Abdelmalek Alaoui décortique, explique, analyse dans ce texte didactique, la patiente approche marocaine au Sahel et en Afrique.

Le 28 avril 2025, au Palais Royal de Rabat, Sa Majesté le Roi Mohammed VI recevait les ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso, du Mali et du Niger — les trois pays constituant l’Alliance des États du Sahel (AES). Peu auparavant, le souverain recevait  les nouveaux ambassadeurs marocains, dont plusieurs accrédités en Afrique subsaharienne.

Cet enchaînement symbolique dit tout : le Maroc recompose patiemment l’équilibre diplomatique de la région. Non pas en brandissant les attributs de la puissance ni en s’invitant par effraction dans les affaires intérieures, mais en tissant un réseau d’interdépendances, de loyauté discrète et de projection positive. Voilà pourquoi.

Ni puissance, ni ingérence : le choix de la douceur

À l’heure où la géopolitique globale semble dominée par des logiques de projection de force, le Maroc choisit une tout autre voie. Ni base militaire, ni armée expéditionnaire, ni discours moralisateur : Rabat agit par la confiance, la médiation, l’assistance ciblée. Loin des modèles de hard power que projettent Moscou ou Ankara au Sahel, la stratégie marocaine repose sur une idée simple : l’influence la plus durable est celle qui ne s’impose pas, mais qui s’infuse.

Ce choix de la douceur s’est matérialisé dès novembre 2023 avec le lancement par le souverain de l’Initiative Afrique Atlantique. Pensée pour offrir aux États sahéliens enclavés un accès stratégique à l’océan, elle mobilise les infrastructures portuaires de Tanger Med et du futur port de Dakhla, mais va bien au-delà de la logistique. Elle crée un corridor de souveraineté économique, une réponse africaine aux besoins africains, libérée des injonctions d’organisations régionales désormais contestées.

Dès l’annonce, Niamey, Ouagadougou et Bamako ont adhéré à la vision. Pas un mot de trop dans les communiqués conjoints, mais une évidence diplomatique : Rabat ne cherche pas à intégrer une sphère d’influence, mais à proposer une alternative coopérative au désengagement occidental et aux promesses russes souvent peu suivies d’effet.

Le roi Mohammed VI connaît bien la maxime attribuée à Lord Palmerston : "Les Puissances n’ont pas d’amis permanents, elles n’ont que des intérêts permanents", et il semble déterminé à ce que Rabat ne suive surtout pas cette voie. Le Maroc, en effet, a choisi de défendre ses intérêts par la création de convergences. Il capitalise sur un héritage séculaire : des siècles de commerce caravanier, d’échanges religieux et intellectuels avec les cités sahéliennes, des réseaux confrériques encore vivaces, une diplomatie du lien bien antérieure à celle des chancelleries modernes.

Une diplomatie d’architecture : bâtir des ponts, créer des mécanismes

Dans une note stratégique publiée à l’hiver 2023 au sein de la Fondation pour la Recherche Stratégique (La nouvelle partition géopolitique du Maroc), j’esquissais les contours d’un Maroc en mutation : État-pivot à l’Ouest, architecte d’équilibres nouveaux à l’Est, et investisseur stratégique au Sud. La séquence diplomatique sahélienne de 2024-2025 valide pleinement cette grille de lecture. Mieux encore : elle l’amplifie.

Car ce que Rabat construit au Sahel dépasse la simple insertion bilatérale. Il s’agit d’un ré-encastrement géopolitique, dans lequel le royaume devient la passerelle entre des régimes de transition cherchant à réaffirmer leur souveraineté et des puissances globales attentives à la sécurité régionale, à la lutte antiterroriste et aux routes migratoires.

Le Maroc ne cherche pas à brûler les étapes, mais à les enraciner.

La libération, en décembre 2024, de quatre ressortissants français détenus au Burkina Faso l’a parfaitement illustré. Le Maroc a agi dans l’ombre, via ses services, ses canaux de dialogue, son crédit moral auprès des nouvelles autorités sahéliennes. La DGSE française le sait, les chancelleries européennes aussi : Rabat n’est pas aligné, mais respecté. C’est ce qui en fait une rare monnaie diplomatique solide dans une région en proie à la volatilité.

Cette stratégie engendre des externalités positives pour le Royaume. Les entreprises marocaines, banques, groupes d’ingénierie ou d’assainissement, trouvent de nouveaux marchés dans ces pays en recomposition. Les positions marocaines sur le Sahara sont mieux comprises. Et le Maroc gagne ce qui est devenu rare en diplomatie : le bénéfice du doute.

La profondeur stratégique du geste

À l’heure où les regards se fixent souvent sur les postures, Rabat parie sur la profondeur du geste. Chaque action, chaque déplacement diplomatique, chaque audience royale s’inscrit dans une logique de construction à long terme, presque organique. Le Maroc ne cherche pas à brûler les étapes, mais à les enraciner.

C’est dans cette optique que doit se lire l’accueil des ministres de l’AES au Palais royal le 28 avril, au soir même de la réception des nouveaux ambassadeurs marocains. Ce n’est pas un enchaînement fortuit. C’est un alignement intentionnel, presque chorégraphié, dans lequel le Maroc articule ses outils : diplomatie bilatérale, formation diplomatique, accompagnement au développement et intégration logistique.

Le royaume pense sa politique sahélienne non pas comme une série d’actions ponctuelles, mais comme un écosystème d’interactions. Il ne s’agit pas de construire une influence verticale, imposée, mais une présence horizontale, perçue comme bénéfique, ancrée dans la réalité quotidienne. Rabat propose des solutions plutôt que des slogans, des mécanismes plutôt que des modèles. C’est là toute la force d’une diplomatie de l’infrastructure, de la connectivité, de la dignité partagée.

Dans ce schéma, le Maroc agit par les marges, pas par le centre. Il ne prétend pas arbitrer les conflits internes des États sahéliens ni substituer ses intérêts à ceux des peuples. Il propose un partenariat fondé sur des objectifs communs : souveraineté économique, sécurité humaine, désenclavement. Cela explique pourquoi, dans une région traversée par tant de tensions, le royaume continue d’avancer sans heurts ni rejet.

Cette démarche, patiemment construite, commence à produire ses effets : les grands bailleurs africains, mais aussi certaines capitales européennes, regardent vers Rabat lorsqu’il s’agit de comprendre les signaux faibles du Sahel. Le Maroc devient l’interlocuteur discret, mais central. Non parce qu’il l’impose, mais parce qu’il l’inspire.

Sans le Maroc, rien de durable ne peut se faire dans la région

Alors que d’autres misent sur la conquête éclair ou les coups d’éclat, le Maroc a choisi une autre maxime : "Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles". Cette phrase, que Sénèque aurait pu adresser aux stratèges contemporains, résume bien l’attitude de Mohammed VI face à l’Afrique : oser avec méthode, bâtir sans fracas, mais avec constance. Au Sahel, cette stratégie ne garantit ni triomphe rapide ni adhésion unanime. Mais elle installe un fait désormais incontournable : sans Rabat, rien ne peut se faire durablement dans la région.

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