Mohamed A. El-Erian

Conseiller économique en chef d’Allianz

Les terribles dix jours du Royaume-Uni

Le 5 octobre 2022 à 11h04

Modifié 5 octobre 2022 à 11h04

Les dix derniers jours qui viennent de s'écouler au Royaume-Uni posent question, car l'économie, le système financier et le niveau de vie des Britanniques se trouvent soudain menacés. Néanmoins, avec des mesures rapides et bien coordonnées, les responsables politiques peuvent encore redresser la barre.

CAMBRIDGE -Vendredi dernier, l'agence de notation Standard & Poor a fait passé la notation AA de crédit du Royaume-Uni de perspective stable à perspective négative, ce qui pourrait annoncer une baisse de sa notation - le mini-budget proposé par le gouvernement, avec ses baisses d'impôt non financées, risquant de creuser encore le déficit public. Cette baisse de notation pourrait survenir si “la croissance faiblit en raison d'une poursuite de la détérioration de l'environnent économique, ou si le coût des emprunts publics augmente plus que prévu du fait de l'action des marchés et du resserrement de la politique monétaire”.

La notation de S&P n'affectera pas directement l'accès au crédit du Royaume-Uni, mais constituera une source supplémentaire d'embarras pour le gouvernement de Liz Truss -à laquelle on peut ajouter la volatilité extraordinaire du coût du crédit et les critiques du FMI. Ce serait un coup supplémentaire porté aux trois piliers de la stabilité du Royaume-Uni : la crédibilité de sa politique, ses résultats économiques et l'intégrité de son marché financier.

La décision de S&P n'est pas, et de loin, la seule conséquence de l'annonce du mini-budget faite le 23 septembre par le chancelier Kwasi Kwarteng. Son plan a effrayé les marchés financiers et entraîné la livre dans une spirale descendante. Il suggérait également que Kwarteng appuiera à fond sur l'accélérateur de la stimulation budgétaire, même si la Banque d'Angleterre (BOE) freine de son coté. Deux jours auparavant, cette dernière avait augmenté son taux d'intérêt directeur, le faisant passer de 1,75 à 2,25% (son niveau le plus élevé depuis la crise financière mondiale de 2008), tout en laissant entendre que ce n'est que le début.

Une “réponse monétaire significative”

Approfondissant la contradiction politique, l'économiste en chef de la BOE a averti quelques jours plus tard que le plan du gouvernement exigerait une “réponse monétaire significative”. Mais, dès le lendemain, le 28 septembre, la BOE a été contrainte d'annoncer un programme de deux semaines pour acheter 65 milliards de livres (73 milliards de dollars) d'obligations à longue maturité destinées à restaurer la stabilité financière et éviter un effondrement du système de retraites.

La menace d'un accident sur les marchés financiers a donc considérablement compliqué la tâche déjà délicate de la BOE qui doit trouver le bon équilibre entre lutte contre l'inflation et réduction des dommages portés à l'activité économique. La stabilité financière se trouvait soudainement elle aussi en jeu. Minant encore davantage la crédibilité de la politique britannique, le gouvernement a tenté de contourner le cadre institutionnel lorsqu'il a présenté ses mesures budgétaires, notamment en ne consultant pas de manière adéquate le Bureau de la responsabilité budgétaire et d'autres organismes.

Les conséquences économiques désastreuses se sont immédiatement concrétisées sur le marché du financement immobilier -un secteur important non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan social et psychologique. La hausse du coût des prêts hypothécaires s'est accompagnée d'une perturbation de leur disponibilité. S'ajoutant à la hausse du prix de l'énergie et du gaz intervenue le 1er octobre, cela érodera encore davantage la confiance des entreprises et des ménages - malgré les mesures visant à empêcher toute nouvelle hausse des prix de l'énergie pendant un certain temps.

Les fluctuations sauvages qui ont saisi les marchés financiers britanniques pendant trois jours après l'annonce du mini-budget étaient quasi impensables la veille. Elles ne sont pourtant rien en comparaison de l'intervention de la BOE le 28 septembre.

Même en cas d'urgence, les banques centrales préfèrent attendre le week-end ou au moins la fin de la séance boursière avant de prendre une décision brutale. Elles peuvent alors décider dans un cadre optimal et fournir des explications relatives au contexte, atténuant ainsi les réactions excessives du marché.

Apparemment cela n'a pas été possible pour la BOE, puisqu'elle a annoncé son programme d'achat d'obligations un mercredi à 11 heures du matin. Les bouleversements immédiats dans le système de retraites et les craintes de perturbations ailleurs dans le secteur financier et dans l'économie réelle ont entraîné la décision audacieuse et historique de la BOE.

Les inconvénients sont évidents : la santé économique et la stabilité financière du Royaume-Uni sont menacées. Si les responsables politiques poursuivent sur cette voie, ce sont les segments les plus vulnérables de la population qui en souffriront le plus -alors qu'ils subissent déjà le poids de la crise du coût de la vie quotidienne, de l'insécurité des revenus et de la hausse du coût du crédit.

Il y a cependant un point positif : il est possible de remédier à la situation. Pour cela, il faut que le gouvernement avance la publication des prochaines prévisions du Bureau de la responsabilité budgétaire (prévue pour le 23 novembre) et profite de l'occasion pour reporter ses réductions d'impôts non financées, fournir un contenu analytique plus solide à son plan de croissance et obtenir un soutien institutionnel plus fort. Il doit aussi revenir sur les réductions de dépenses qui compromettront le potentiel de croissance du pays et nuiront aux services publics. De son côté, le Comité de politique monétaire de la BOE devrait se réunir avant la date prévue (le 3 novembre) et augmenter à nouveau les taux d'intérêt.

Ces deux étapes doivent s'accompagner de mesures ciblées destinées à protéger les personnes les plus vulnérables, d'une supervision prudentielle plus stricte du secteur non-bancaire et d'une meilleure coordination d'ensemble de la politique dans le cadre du partenariat spécial avec les USA. Pour limiter les inquiétudes relatives au coût politique d'un réajustement significatif du mini-budget, cette modification de trajectoire pourrait être présentée comme une réaction à l'instabilité des marchés extérieurs (elle est manifeste) et une preuve d'un ralentissement de l'économie mondiale plus marqué que ce à quoi l'on pouvait s'attendre.

Après cette dizaine de jours difficiles et déstabilisant, les dirigeants politiques britanniques peuvent saisir l'occasion pour remettre les compteurs à zéro. S'ils ne le font pas, cela intensifiera les déséquilibres économiques, politiques et financiers du pays, ce qui nécessitera un ajustement plus coûteux et plus complexe.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

© Project Syndicate 1995–2022

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