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Othmane Benmoussa

Enseignant-chercheur en Systems Thinking et directeur de l’Euromed Polytechnic School -Université Euromed de Fès

Leadership et mode de travail hybride (distanciel - présentiel)

Le 23 mai 2023 à 12h41

Modifié 23 mai 2023 à 14h43

"Comment gérer la complexité et maintenir l’efficacité au travail au sein des organisations fonctionnant en mode hybride ?" L'analyse de Othmane Benmoussa, enseignant-chercheur.

Dans un fonctionnement en mode professionnel hybride, le management doit satisfaire le désir de flexibilité des employés sans compromettre l’efficacité globale du groupe.

D’une part, allier le travail au bureau à celui à distance donne aux employés de la flexibilité tout en leur permettant de passer une partie de leur temps au bureau, avec des collègues. D’un autre côté, ces arrangements peuvent entraîner une variabilité importante dans les horaires de travail des collaborateurs du fait que ces accommodements sont souvent dictés par des exigences et des préférences personnelles. L’environnement de travail se modifiant ainsi au gré des requêtes des uns et des autres peut nuire à la dynamique de groupe et entraver l’alignement et l’agilité organisationnels recherchés.

Comment tirer le meilleur parti d’une organisation hybride

Le modèle CAARE développé par Sharon Hill de la George Washington School of Business combine quatre éléments - Configuration, Alignement-Autonomie, Relations et Equité - pour aider les dirigeants à trouver le savant équilibre entre flexibilité individuelle et efficacité de groupe.

Dans cette optique, deux des composantes - configuration et autonomie-alignement - visent à créer une solution de travail hybride structurée qui tient compte, à la fois, de la flexibilité souhaitée par les employés et des besoins stratégiques de l’équipe et de l’organisation.

Les composantes relation et équité se concentrent, quant à elles, sur l’édification d’une base relationnelle solide pour soutenir la confiance collective et faire en sorte que la structure de travail hybride peut véritablement fonctionner pour tout un chacun.

  1. Configuration

Tout dirigeant doit garder à l’esprit une vision holistique lorsqu’il échange avec chaque employé pour convenir d’une configuration du travail à même de concilier les exigences personnelles et professionnelles des individus avec celles de leur équipe. Si l’accent mis sur la satisfaction des besoins individuels peut entraîner des inefficacités nuisant à l’esprit de groupe, une structure plus rigide saperait les avantages du travail hybride qui octroie aux organisations un avantage concurrentiel en matière de recrutement et de fidélisation des collaborateurs. Une configuration efficace nécessite donc une attention particulière à l’égard des activités qu’un employé peut effectuer à distance telles que les tâches indépendantes et le partage d’informations de routine en comparaison de celles qui nécessitent des interactions physiques à l’instar des activités collaboratives et des actions compliquées nécessitant le développement et le recours aux relations interpersonnelles.

En effet, les membres d’une équipe peuvent être réticents à fréquenter le bureau parce que travaillant principalement sur des tâches indépendantes ; leur responsable mettant en avant la nécessité de rencontres périodiques pour la planification stratégique, la formation de groupe, les activités de consolidation d’équipe et de cohésion générale. Une politique de travail hybride correctement réfléchie et orchestrée peut permettre aux gestionnaires d’exiger que les employés se présentent au bureau, avec un préavis suffisant, pour les activités jugées essentielles à la mission globale de leur organisation.

L’établissement proactif des attentes permet ainsi aux gestionnaires de négocier des modalités de travail qui concilient les préoccupations individuelles et d’équipe tout en développant une configuration adaptée aux besoins généraux de l’organisation. Des guides pour aider à naviguer dans ces échanges/négociations avec les employés peuvent être développés et mis à disposition des chefs d’équipe.

Cette approche de structuration du travail peut entraîner des configurations variables d’un groupe à l’autre au sein d’une même organisation. Les dirigeants doivent éviter la réaction instinctive courante consistant à mettre en œuvre des politiques radicales exigeant que tous les employés soient au bureau, que leur travail l’exige ou non. Ils ne doivent pas non plus se précipiter pour conclure que des tâches spécifiques sont impossibles à effectuer à distance. En lieu et place, ils devraient déterminer si certains aspects de ces emplois - éventuellement moyennant quelques ajustements - nécessitent réellement une présence physique au niveau de l’office.

Dans cette optique, plusieurs organismes hésitent à autoriser par exemple le personnel de support informatique à travailler à distance car étant responsable des réparations sur site et du dépannage des problèmes technologiques. Pour offrir à cette catégorie de professionnels la possibilité de travailler à domicile durant une partie de la semaine, un logiciel de dépannage à distance peut être mis en place, en complément d’« horaires cliniques » sur site permettant d’obtenir l’assistance recherchée. D’autres structures organisationnelles autorisent les membres de son personnel de support informatique à opérer une rotation des collaborateurs au bureau. De telles stratégies permettent potentiellement à tous les employés, quel que soit leur rôle, de travailler à distance dans une certaine mesure s’ils le souhaitent.

Toutefois, cela n’est possible que si les dirigeants sont disposés à donner aux employés plus d’autonomie et à leur permettre de faire preuve de capacitation quant à la manière dont ils abordent leur travail, tout en s’assurant de l’alignement avec les objectifs de l’organisation.

  1. Autonomie-alignement

Les managers peuvent ressentir une certaine perte de contrôle lorsque les employés travaillent alternativement au bureau et à l’extérieur, en particulier lorsque le temps sur site d’un membre du groupe ne correspond pas au propre horaire du manager.

Une réponse typique consiste à « serrer les rênes » en surveillant et en contrôlant étroitement le travail des employés, mais cela peut compromettre l’un des principaux avantages du travail hybride qu’est la flexibilité.

Une meilleure approche consiste à responsabiliser les employés en leur donnant plus d’autonomie quant au moment, à l’endroit et à la manière avec laquelle ils réalisent leur travail (N.S. Hill and K.M. Bartol, Empowering Leadership and Effective Collaboration in Geographically Dispersed Teams, Personnel Psychology 69,1, 2016, pp.159-198).

Le rôle du leader est donc de fournir un encadrement adéquat pour aider les employés à résoudre les problèmes de manière indépendante et à identifier les domaines à améliorer tout en leur procurant les soutiens nécessaires. Ces supports peuvent inclure l’accès à des technologies qui facilitent le travail à distance, une formation à l’utilisation de ces outils et à d’autres compétences pour travailler de manière autonome (comme la gestion du temps), en plus d’un soutien financier pour couvrir les coûts de mise en place d’un espace de travail sûr et productif à domicile. Ecouter activement les préoccupations des employés et soutenir leur bien-être est également essentiel car cela pourrait être particulièrement néfaste lorsque la frontière entre le travail (et le lieu qui lui est consacré) et (le reste de) la maison n’est pas nette.

Cependant, l’autonomie doit également être accompagnée de garanties de telle sorte à s’assurer que les employés utilisent les degrés de liberté conférée de façon à être parfaitement alignés sur les intérêts de leur équipe et per extensionem de leur organisation. Il est notamment essentiel de clarifier la façon dont les objectifs de chaque employé sont liés aux priorités du groupe et de l’organisation. Cela permet aux dirigeants de se concentrer sur les résultats plutôt que de micro-gérer la façon dont les employés font leur travail.

Une autre stratégie, plus mécaniste, promouvant la nécessité d’alignement consiste à partager des informations sur les activités professionnelles et les réalisations des membres d’une équipe/groupe. De nombreuses organisations utilisent des calendriers partagés et des outils de suivi pour une transparence indispensable. Ces outils technologiques deviennent plus efficaces lorsqu’ils sont associés à un consentement général au niveau de l’équipe ; consentement qui spécifie les normes établies pour le fonctionnement collaboratif et productif de l’équipe - par exemple, les heures de disponibilité de base, la durée prévue pour répondre aux communications des collègues et les exigences en matière de rapports d’état. Les activités d’alignement cultivent ainsi un sentiment d’unité, ce qui reste fondamental pour construire une base relationnelle solide à même de soutenir le travail hybride.

  1. Relations

Des relations caractérisées par des niveaux de confiance élevés représentent le socle d’un travail hybride réussi. Les dirigeants sont davantage susceptibles d’accorder de l’autonomie lorsqu’ils font confiance aux employés, qui sont hors de vue, pour agir dans le meilleur intérêt du groupe, mais développer et maintenir cette confiance nécessaire peut être plus difficile dans le cadre d’une interaction limitée entre individus. L’édification d’une culture de confiance devrait démarrer au sein de la composante « configuration » du modèle CAARE en créant une structure de travail hybride qui inclut des opportunités de constructions relationnelles telles que des activités périodiques sur site regroupant tous les membres de l’équipe.

Une enquête récente de Microsoft auprès de plus de 20 000 personnes dans 11 pays a confirmé l’importance de constituer un capital social dans le macrocosme de la main-d’œuvre hybride. Les employés interrogés ont indiqué que l’une des principales motivations pour venir au bureau est justement la possibilité d’établir des liens sociaux.

Un lien social peut aussi provenir d’expériences virtuelles via une célébration annuelle en ligne d’une semaine de l’entreprise, de sa culture, de ses employés, à travers l’engagement de la communauté dans des activités de service hybrides, l’organisation d’événements sociaux comme un spectacle de talents à distance…

Il est également essentiel de définir et renforcer les normes de communication virtuelle qui favorisent la confiance telles que des lignes directrices pour tenir les collègues informés de l’état de progression d’une activité ou groupe d’activités données et fournir des réponses rapides aux demandes exprimées. Les employés exerçant en mode hybride indiquent, de leur côté, leur fiabilité en démontrant qu’ils font le travail requis et contribuent véritablement aux objectifs collectifs. Pour construire un climat de confiance solide, l’autonomie doit immanquablement s’accompagner d’une authentique responsabilisation.

  1. Equité

Selon la structure hybride considérée, la nature et la fréquence des interactions en face à face des employés avec leurs managers peuvent varier considérablement.

Un problème potentiel réside dans le biais de proximité où les dirigeants valorisent et accordent plus d’attention aux employés physiquement présents qu’à ceux à distance. Tous les membres d’une organisation doivent bénéficier d’un traitement équitable, quelles que soient leurs conditions de travail afin d’éviter un sentiment d’isolement et la peur de manquer quelque chose.

L’adoption d’une approche axée sur les résultats pour évaluer les employés devrait aider à garantir que les dirigeants se concentrent sur des objectifs et des normes de réussite clairs plutôt que sur le simple fait d’être au bureau. Favoriser des relations solides entre les membres des groupes sur la base d’une confiance construite contribue également à atténuer le biais de proximité.

D’autres stratégies d’amélioration de l’équité incluent la planification de rencontres professionnelles régulières entre collègues, incluant le ou les patrons/superviseurs, dont les heures de bureau ne coïncident pas forcément. Bien que les réunions physiques soient essentielles pour tous les collaborateurs, elles doivent être plus intentionnelles lorsque les employés ont moins d’occasions d’interactions informelles et spontanées avec leur responsable. Ces rencontres planifiées offrent une excellente occasion aux gestionnaires d’évaluer le bien-être des employés, de leur donner une voix dans la prise de décision, d’identifier les soutiens nécessaires et de fournir un encadrement idoine pour renforcer l’autonomie.

Dans ce cadre, les dirigeants doivent demeurer attentifs et se prémunir contre les manières subtiles dont les préjugés de proximité peuvent apparaître. Par exemple, lors de réunions avec des participants sur place et à distance, ceux sur site ont tendance à recevoir plus de temps de parole et par suite d’écoute. Les dirigeants devraient envisager d’organiser des réunions hybrides où les personnes sur place utilisent également leurs ordinateurs portables pour la vidéo (coupant le son) afin que tout le monde ait une expérience similaire. D’autres façons de rendre les réunions hybrides plus inclusives pour les participants à distance consistent à les amener à dérouler une discussion, à les appeler nommément pour solliciter leurs idées et à utiliser des outils électroniques tels que les sondages pour recueillir les commentaires de chacun.

In fine, le mode de fonctionnement professionnel hybride exige que les dirigeants répondent à la fois aux besoins individuels et collectifs, ce qui crée des contraintes supplémentaires pour une gestion efficiente.

Le modèle CAARE fournit donc des stratégies pour gérer ces complexités à travers quatre composants intégrés. Une structure hybride correctement pensée en termes de configuration et d’autonomie-alignement impacte la qualité relationnelle et l’équité nécessaires au sein d’une équipe, d’une organisation pour un management optimal délivrant les résultats attendus.

La demande des employés pour une configuration de travail hybride devrait continuer de croître et, pour réussir cette nouvelle façon d’opérer, les dirigeants doivent maintenir à tout prix l’efficacité organisationnelle recherchée tout en favorisant la productivité et le bien-être de leurs équipes, et ce, notamment pour les entreprises souhaitant se développer à l’international où la flexibilité du travail virtuel signifie qu’elles peuvent recruter de manière rentable des personnes sur les marchés dans lesquels elles souhaitent se développer.

En conclusion, dix (10) suggestions déduites directement et indirectement du framework CAARE sont listées ci-dessous pour aider les dirigeants à bâtir une culture de travail hybride gagnante.

  • Développer de nouveaux modèles de mentorat et de coaching ;
  • Etablir des communautés de pratique virtuelles ;
  • Prévoir du temps de lien social numérique ;
  • Créer de l’espace et du temps pour des connexions numériques informelles ;
  • Encourager l’utilisation de l’environnement numérique ;
  • Exploiter les outils numériques pour construire et renforcer la culture organisationnelle ;
  • Favoriser la démonstration de signes sociaux lors des réunions virtuelles ;
  • Assurer l’équité entre les employés à distance et ceux sur site ;
  • Remettre en question la distinction « à distance/sur site » pour opérer une authentique transition naturelle vers l’acceptation de divers espaces de travail ;
  • Inciter la prise d’initiative des membres de l’équipe qu’ils soient à distance ou sur les lieux physiques de l’organisation.
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