Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Le Quad, nouvel instrument en Indo-Pacifique pour contenir la Chine

Le 3 juin 2022 à 11h29

Modifié 3 juin 2022 à 11h29

Pour le moment, seuls les défis que pose la Chine aux membres du Quad constituent le dénominateur commun de cet ensemble.

Dans la lutte à laquelle s’adonnent les grandes puissances pour sauvegarder leurs intérêts et défendre leurs privilèges, les quatre chefs d’État des États-Unis, de l’Inde, du Japon et de l’Australie se sont réunis en mai dernier à Tokyo, pour discuter de la situation régionale et des défis qui les attendent au niveau international. Ce groupe, dénommé "Dialogue quadrilatéral pour la sécurité", ou "Quad", a été institué à cette fin. Groupe informel à ses débuts, il est devenu une institution stratégique de défense régionale.

L’idée de cet ensemble est née après le tsunami de 2004, avec comme objectif de mieux coordonner les politiques relatives aux questions sécuritaires. Mis en sourdine, il n’a été ravivé qu’en 2017, en marge d’un sommet de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (Asean), et dans un contexte d’affirmation régionale de la Chine qui commençait à inquiéter. Depuis, le Quad n’avait réussi qu’à cristalliser l’attention sur son manque de cohérence. La guerre menée par la Russie à l’Ukraine a changé la donne et poussé les Américains à lui donner un nouveau souffle.

Ce ne sont pas seulement ces derniers qui y trouvent intérêt. C’est aussi le Japon qui voit d’un mauvais œil la montée en puissance de son ennemi historique, la Chine. Longtemps hésitante, l’Inde, elle, s’y est ralliée face aux mêmes menaces. Quant à l’Australie, allié traditionnel des Américains dans le Pacifique, l’intrusion chinoise dans la région est devenue une inquiétude nationale. Le trait commun à tous les membres reste donc les défis que représente la puissance chinoise dans la région.

Le Quad entériné dans la stratégie américaine en Indo-Pacifique

Tous les membres n’ont pas ménagé leurs efforts pour faire du Quad une plateforme rassemblant des démocraties de l’Indo-Pacifique. Leurs capacités politiques économiques et maritimes donnent corps à la nouvelle vision qu’ils veulent donner de leur région, à savoir une zone libre et ouverte, selon leurs propres dires. En mars 2021, et à l’initiative des Américains, les dirigeants de cet ensemble avaient instauré un cadre de dialogue sécuritaire quadrilatéral, qui laissait alors présager une coopération sécuritaire accrue.

Selon le Secrétaire d’État américain Antony Blinken, ces discussions sont essentielles pour faire avancer les objectifs communs de l’Indo-Pacifique et être à la hauteur des défis de notre temps, a-t-il asséné. Sur la table du dernier sommet du Quad, il n’y avait pas que la menace chinoise, mais aussi d’autres thèmes comme la pandémie de Covid et le changement climatique dont la région souffre, notamment l’Australie.

Depuis son entrée en fonction, Joe Biden a entériné le concept du Quad dans la stratégie américaine en Indo-Pacifique. Il lui a apporté plus d’envergure et l’a adossé à une ligne plus ferme vis-à-vis de la Chine, et même à l’encontre des intérêts d’autres partenaires comme la France. On se rappelle de l’initiative AUKUS, entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, pour s’accaparer le projet des douze sous-marins que la France s’apprêtait à livrer à Canberra pour la somme de 90 milliards de dollars.

Les Américains n’ont pas hésité à évincer la France et n’ont pas impliqué, non plus, le Royaume-Uni dans le Quad. Peut-être que Washington a jugé utile de voir ces deux puissances européennes plus associées à l’OTAN, pour contrecarrer la Russie en Ukraine. La décision de Biden de se saisir rapidement du Quad pour relancer la coopération régionale en Indo-Pacifique vise un seul objectif : y limiter le redéploiement de la Chine.

Face à l’entente entre Russes et Chinois, Washington apporte d’un côté un soutien actif à l’Ukraine, à travers l’octroi d’aides financières conséquentes et la fourniture d’armements sophistiqués, misant ainsi sur l’enlisement des russes en Ukraine. De l’autre, le Quad, qui a longtemps semblé n’être qu’un bloc sans consistance, est revitalisé pour être un atout stratégique antichinois dans l’échiquier international.

Une menace à la paix mondiale, estime la Chine

Pendant longtemps, les réticences de l’Australie, comme celles de l’Inde, à s’engager pleinement dans le Quad a ôté à cet ensemble sa dimension stratégique. Tous deux voulaient préserver un certain équilibre à l’égard de la Chine, ce qui a limité les velléités de coordination diplomatique, comme des actions militaires d’ensemble. La relance des discussions entre les membres depuis 2017, dans un contexte de tensions maritimes croissantes avec la Chine, a créé les conditions favorables pour sortir le Quad de sa léthargie.

Ce sont ces objectifs qui ont été réitérés lors de la réunion des quatre chefs d’État le 12 mars 2021. Dans leur déclaration finale, ils précisaient : "Nous aspirons à une région libre, ouverte, inclusive, ancrée dans les valeurs démocratiques et non contrainte par la coercition." Ce texte élargit la coopération à d’autres champs comme la lutte contre la pandémie de Covid, le climat, le cyberspace, le contre-terrorisme, les investissements, les infrastructures et l’assistance humanitaire. Autant dire que le Quad est devenu, non seulement chargé de la défense et de la sécurité, mais aussi une instance multidimensionnelle.

Lors de la réunion du Quad à Washington en septembre 2021, d’autres accords importants ont été signés, allant de la lutte contre la pandémie aux échanges universitaires. Le président Biden s’est même laissé emporter par le succès de l’événement et a déclaré que le Quad était devenu une composante stratégique en Indopacifique, qui marquait l’amorce d’un changement majeur dans la diplomatie américaine.

Pour la Chine, ce redéploiement a été critiqué par les hautes autorités comme par sa diplomatie, car il constitue une menace à la paix mondiale. L’éditorial du journal chinois Global Times, qui traduit la position de Pékin, n’y était pas allé par quatre chemins pour donner son avis sur la nouvelle réorientation américaine. Il avait averti Biden qu’un renouvellement de l’alliance du Quad serait une sérieuse bourde stratégique, et qu’il y aurait des risques avec la Chine si Washington cherchait à limiter son influence dans la région.

Les manœuvres navales et aériennes chinoises autour de Taïwan en mai dernier ont été un signal fort à l’égard des États-Unis. Mais Biden a immédiatement averti la Chine du coût excessif qu’elle paierait en cas d’agression contre l’île. Pékin flirte déjà avec le danger, a-t-il lancé. Taïwan est une partie inaliénable du territoire de la Chine, nul ne doit sous-estimer la ferme résolution, la volonté tenace et la capacité du peuple chinois à défendre la souveraineté nationale et l’intégrité de son territoire, a répondu Pékin.

Le duel États-Unis-Chine impactera pendant encore longtemps l’organisation du Quad. Hésitants à y adhérer à ses débuts, certains membres ne cessent de clamer que le Quad n’est dirigé contre aucun autre pays, mais peu y croient. Un grand pays comme l’Inde prône la prise en compte des intérêts de tous, et ne cherche à s’aliéner ni Washington, ni Moscou. New Delhi n’oublie pas non plus le soutien qu’apporte Washington à son adversaire de toujours : le Pakistan. Ce ne sont là que quelques contradictions qui finiront un jour par remonter à la surface. Pour le moment, seuls les défis que pose la Chine aux membres du Quad constituent le dénominateur commun de cet ensemble.

Pour rappel, Ahmed Faouzi est l’auteur de trois articles publiés à ce sujet sur Medias24 :

L’Indo-Pacifique, la mer de tous les risques

- France-Australie : le contrat torpillé

Taiwan prise en sandwich

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