Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

L’Indo-Pacifique, la mer de tous les risques

Le 10 octobre 2021 à 7h24

Modifié 10 octobre 2021 à 7h24

Comme la Méditerranée pendant des siècles, puis l’océan Atlantique durant le XXe, l’océan Pacifique est devenu la zone la plus stratégique et la mer de tous les dangers. Six membres du G20 – Chine, Australie, Corée du Sud, Inde, Indonésie et Japon – sont présents dans cette région communément appelée l’Indo-Pacifique. D’autres puissances ont des possessions dans cette zone, comme la France, présente en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte ou à la Réunion.

Une part considérable des équilibres du monde d’aujourd’hui se joue dans ces mers qui représentent 93% de la zone économique exclusive mondiale et produisent 60% du PIB de la planète. Pour la Chine, l’apport de la région est encore plus important : 80% de son pétrole importé traverse ces routes, comme les 95% de son commerce vers le Moyen-Orient et l’Afrique. Celui qui contrôle donc cet océan contrôle le commerce, et celui qui contrôle le commerce contrôlera le monde.

C’est en raison de son importance stratégique que les États-Unis ont décidé du basculement de leurs forces vers l’Indo-Pacifique pour empêcher la Chine d’y étendre son influence. Leur retrait d’Afghanistan et la mise en place de l’alliance tripartite – États-Unis, Royaume-Uni et Australie (AUKUS) – ont été les signes précurseurs de ce redéploiement. Le nouveau centre de gravité est désormais dans cette région.

Ce dernier accord, par lequel Washington a évincé la France du marché militaire avec l’Australie, en dit long sur la politique à venir des Américains. La sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne a été, pour les États-Unis, une grande opportunité pour instaurer une nouvelle alliance avec sa famille anglophone afin de contrer l’influence chinoise dans la région.

L’Union européenne, peu crédible dans la région indo-pacifique

Le discours du président Biden devant l’Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, déclarant que l’Amérique ne souhaite pas une nouvelle guerre froide avec la Chine, n’a pas eu l’effet escompté auprès des responsables de ce pays. Le journal chinois Global Times, dans son édition du 22 septembre, a rétorqué : "Ce discours est une démonstration éclatante de l’hypocrisie politique américaine. Même leurs alliés ont fait la triste expérience de l’égoïsme et de la traîtrise de Washington."

De même, quand Biden affirmait, en juillet dernier à Bruxelles, devant ses alliés européens, que les États-Unis sont de retour, ce n’était pas là où l’attendaient les Européens. Dans son esprit, c’est dans le Pacifique que le combat se déroulera pour contenir l’ascension chinoise. Le coup porté à la France dans la vente de ses sous-marins à l’Australie a laissé un goût amer chez les Européens. La ligne politique de Biden, comme celle de l’America First de Trump, c’est, pour eux, du pareil au même.

Mais face aux Etats-Unis, l’Union européenne n’a soutenu que timidement la France, qui s’est trouvée isolée devant Washington. Bruxelles s’est montré incapable d’adopter une position ferme à l’égard des États-Unis, qui a pourtant malmené l’un de ses membres. Impuissante de se positionner face à l’Amérique, l’Union européenne peine à être crédible dans la région indo-pacifique.

Dégradation des relations sino-américaines

Que ce soit pour les Européens ou les autres nations, le monde de demain s’organisera autour de la rivalité sino-américaine. Le long entretien téléphonique, le 9 septembre dernier, entre les présidents américain et chinois, à l’initiative du premier, et qui a duré 90 minutes, n’a pas apaisé les tensions ni changé la donne. C’était pourtant le deuxième entretien entre les deux chefs d’État depuis l’avènement de Biden.

Cet échec s’est ajouté aux échecs des pourparlers entre les conseillers des deux chefs d’État qui n’ont abouti à aucun résultat concret. L’accueil froid réservé à l’ancien secrétaire d’État américain, John Kerry, qui, en septembre dernier, a fait le voyage jusqu’en Chine pour avancer sur les questions climatiques, témoigne de la dégradation des relations sino-américaines. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, n’a pas tenu à le recevoir et a préféré s’entretenir avec le responsable américain par vidéo-conférence.

Pour le ministère chinois des Affaires étrangères, les discussions sur le climat ne peuvent être dissociées des relations sino-américaines dans leur ensemble. Pékin ne souhaite pas avoir un dialogue avec les États-Unis selon les termes de ces derniers. Elle reprend à son compte l’approche autrefois préconisée par Henry Kissinger, ancien secrétaire d'État des États-Unis: "Les avancées diplomatiques dans un domaine doivent être liées à des avancées dans d’autres." Autrement dit, rien ne peut être conclu séparément du package.

Mais en attendant l’aboutissement de ces pourparlers, les États-Unis affûtent leurs armes en renouant avec les alliés de la région des partenariats stratégiques pour contenir la Chine. On peut citer les plus récents de ces accords, tels que l’AUKUS, entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ou le dialogue de sécurité quadrilatéral, communément appelé le Quad, qui englobe, outre les États-Unis et l’Australie, le Japon et l’Inde. Le contrat d’armement signé en juillet dernier entre les États-Unis et l’Inde sur le développement conjoint de drones largués par avion, entre également dans cette même stratégie

La France, peu disposée à se montrer complaisante envers la Chine

On se rappelle qu’en mai 2018, le président français Emmanuel Macron s’était rendu en Australie où il avait lancé son initiative visant à instaurer un axe formé par la France, l’Inde et l’Australie. L’objectif était de contrebalancer les ambitions hégémoniques chinoises et de rassembler des puissances moyennes que l’unilatéralisme américain inquiétait. En recevant les ambassadeurs en août de la même année, il avait réitéré l’ambition française de mieux s’impliquer dans la région de l’Indo-Pacifique.

Paris ne s’attendait pas au revirement américain contre ses intérêts dans la zone indo-pacifique, d’autant que la France est le pays européen le moins enclin à la complaisance à l’égard de la Chine. Mais la rivalité sino-américaine a eu raison des intérêts français. Pour Washington, ce qui prime pour le moment est d’empêcher toute prétention chinoise à l’hégémonie en Indo-Pacifique, car elle équivaudrait à une mainmise sur l’économie mondiale.

Une part considérable des équilibres du monde de demain se joue donc aujourd’hui dans l’Indo-Pacifique. Tous les pays seront amenés à se définir par rapport à cette confrontation sino-américaine. La paix dans cette région, et par voie de conséquence dans le monde, ne peut se maintenir que sur trois piliers. L’ordre international doit être fondé sur le socle solide des valeurs universelles, des conditions équitables de concurrence économique pour tous les pays, et enfin, l’accès libre et ouvert des voies maritimes à toutes les nations.

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