Joschka Fischer

Ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier allemand de 1998 à 2005. Ancien dirigeant du Parti Vert allemand pendant près de 20 ans.

Le problème de défense d'une Europe isolée

Le 5 mars 2024 à 15h30

Modifié 5 mars 2024 à 13h09

La situation de l'Europe en 2024 est difficile, voire dangereuse. En Ukraine, la guerre d'agression du président russe Vladimir Poutine – un effort pour rayer le pays de la carte et annexer son territoire – entre dans sa troisième année. Aux États-Unis, Donald Trump, le candidat républicain présumé à l'élection présidentielle de novembre, propage des menaces sauvages contre les alliés de longue date de l'Amérique, encourageant même Poutine à attaquer les pays européens qui ne consacrent pas au moins 2% de leur PIB à la défense.

BERLIN – Si Trump gagne en novembre, ce serait probablement la fin de l'OTAN et de la garantie de sécurité américaine. L'Europe serait complètement isolée, coincée entre un voisin impérial russe et une Amérique isolationniste de l'autre côté de l'Atlantique. Pire encore, les Européens continuent de s'accrocher désespérément à un groupe hérité d'États-nations "souverains", même si la plupart ne sont souverains que sur le papier, parce qu'ils sont trop faibles pour affronter seuls les réalités géopolitiques actuelles.

La situation exige une plus grande unité européenne : une politique étrangère commune, une capacité militaire commune, un parapluie nucléaire européen et tout ce qui constitue la base d'un pouvoir souverain significatif au XXIe siècle. Les Européens restent toutefois réticents à accepter ce fait.

L'Europe est économiquement prospère, technologiquement et scientifiquement avancée et, en général, un bon endroit où vivre (avec des démocraties fortes et un État de droit) : mais elle n'est pas une grande puissance. C'est un statut qu'il lui reste à atteindre et elle doit y parvenir rapidement sous la pression des événements actuels. Le danger clair et actuel que représente Poutine n'a apparemment pas suffi. La menace supplémentaire émanant de Trump suffira-t-elle ?

À en juger par l'expérience passée, il est facile de se montrer pessimiste à cet égard. La guerre russe dure depuis deux ans et l'Europe n'a toujours pas vraiment accepté le fait qu'une grande puissance poursuive une nouvelle fois une agression impériale et prédatrice contre un voisin plus petit et pacifique. Hormis les Européens de l'Est et les Scandinaves, la plupart des gens dans la plupart des pays européens – y compris la classe politique – nourrissent des illusions ancrées dans l'ère révolue de la paix post-1989.

Cet état d'esprit a des conséquences concrètes. L'Europe manque de munitions, de défenses aériennes, d'équipements lourds et de presque tout ce dont l'Ukraine a besoin pour se défendre efficacement. Et à présent, il y a un risque croissant que l'aide américaine à l'Ukraine cesse, en raison de l'emprise isolationniste de Trump sur le Parti républicain.

Pourtant, il y a beaucoup plus d'enjeux en Ukraine que la liberté et la souveraineté de son propre peuple. C'est l'avenir de l'Europe démocratique lui-même qui est remis en question. Poutine souhaite une révision territoriale à grande échelle de la carte de l'après-Guerre froide, afin d'assurer la prédominance de la Russie et de restaurer son statut de puissance mondiale. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour atteindre cet objectif et ne se satisfera presque certainement pas de ne prendre que l'Ukraine. La Russie s'est convertie en une économie de guerre et l'Europe doit prendre ce fait au sérieux.

Quant à la menace récente de Trump, elle ne devrait pas nous surprendre. Au cours de son premier mandat, Trump a déclaré aux Européens qu'il considérait l'OTAN comme obsolète, en arguant qu'elle avait été maintenue en vie aux dépens des États-Unis et que les États-Unis devraient la quitter. Depuis lors, la réponse européenne a consisté à s'accrocher imprudemment au statu quo, comme si rien n'avait changé. Dorénavant, l'Europe doit rattraper le temps perdu alors qu'elle se prépare au pire des scénarios : une nouvelle investiture de Trump en janvier prochain.

Pendant longtemps, l'Union européenne a pu profiter du succès de son marché unique et de ses règles communes. Mais face à la menace impériale émanant de la Russie et au danger d'être abandonnée par les États-Unis, elle devra devenir une puissance militaire et politique à part entière. Cela signifie intensifier les efforts coordonnés de réarmement pour améliorer sa propre préparation en matière de défense et ses capacités de dissuasion. L'UE doit accorder autant d'attention et d'énergie à l'objectif de sécurité commune qu'elle l'a fait pour réussir sa modernisation économique.

Mais ne nous y trompons pas : Poutine et Trump – séparément et ensemble – nous forcent à un changement de paradigme historique en Europe. Alors que la prospérité et la protection sociale restent importantes, la sécurité de l'Europe devra être la priorité absolue de l'ordre du jour pendant des années voire des décennies à venir.

Dans le meilleur des cas, l'alliance transatlantique restera en place après les élections américaines. Mais nous ne devrions pas trop parier là-dessus. L'Europe doit s'engager fermement à renforcer ses capacités de défense, car elle a un voisin qui représente une menace militaire à long terme et qui ne peut tout simplement pas être digne de confiance. La poursuite de la naïveté européenne pourrait s'avérer fatale.

© Project Syndicate 1995–2024

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