Anne-Marie Slaughter

Présidente et PDG de New America

L’Amérique se révèle au monde

Le 31 décembre 2014 à 12h58

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

À défaut de l’audacieuse avancée diplomatique promue par le président Barack Obama auprès de Cuba, les dernières semaines de l’année 2014 se serait révélées peu glorieuses pour l’Amérique.

Les défaillances profondes du système judiciaire de notre pays, la persistance du racisme dans notre société, ainsi que les récents antécédents de notre gouvernement autour de la torture et de la violation des droits de l’homme apparaissent en effet plus que jamais aux yeux du monde.

La vidéo faisant apparaître cinq officiers de police maîtrisant par la force un citoyen américain jusqu’à lui ôter la vie, malgré les plaintes d’un homme violenté au point de ne plus pouvoir respirer, aurait pu émaner de bien d’autres pays à travers le monde. Seulement voilà, la mort d’Eric Garner à New York, de même que celle de Michael Brown l’été dernier à Ferguson dans le Missouri, et de l’adolescent de 12 ans Tamir Rice à Cleveland au mois de novembre, font apparaître le risque accru auquel sont confrontés les jeunes Afro-Américains au contact de la police dans de nombreuses villes des États-Unis. En effet, d’après une récente étude, les jeunes Afro-Américains de sexe masculin auraient 21 fois plus de risque d’être abattus par la police que les jeunes blancs du même sexe.

Est ensuite survenue la publication d’un rapport de 528 pages émanant du Select Committee on Intelligence du Sénat américain, autour du programme de détention et d’interrogatoires mis en œuvre par la CIA au lendemain des attentats terroristes perpétrés contre l’Amérique le 11 septembre 2001. Présenté par cette Commission comme une simple «note de synthèse», ce rapport fait état d’effroyables agissements de la part d’agents gouvernementaux agissant sur ordre de leurs supérieurs.

Pire encore, plutôt que de faire amende honorable pour les actes commis, au moins un groupe d’anciens responsables publics américains s’est efforcé de justifier ces agissements. Interrogé à la télévision américaine autour d’une estimation selon laquelle 25% des détenus auraient été innocents, l’ancien vice-président Dick Cheney a rétorqué: «Ceci ne me pose aucun problème dès lors que nous atteignons notre objectif. Et cet objectif consiste à neutraliser les individus responsables des attentats du 11 septembre, ainsi qu’à éviter qu’une autre attaque survienne à nouveau aux États-Unis.» De leur côté, plusieurs des dirigeants actuels de la CIA continuent de souligner toute la valeur du programme d’ «interrogatoires renforcés» mis en œuvre par l’Amérique (et abandonné par Obama), malgré les conclusions d’un rapport du Sénat selon lesquelles les techniques employées n’auraient permis la collecte d’aucune information véritablement utile.

En effet, d’autres acteurs s’étant intéressés à la «guerre contre la terreur» menée par l’Amérique ont clairement démontré qu’un grand nombre des individus détenus et torturés ne représentaient pas une menace pour la sécurité des États-Unis – du moins jusqu’à ce que les agissements de l’Amérique les y conduisent. La semaine au cours de laquelle a été publié le rapport du Sénat, mes lectures se sont portées sur le dernier ouvrage d’Anand Gopal intitulé No Good Men Among the Living, qui raconte l’histoire contemporaine de l’Afghanistan à travers les différents regards d’un partisan de l’ancien président Hamid Karzai, d’un commandant taliban, et d’une mère de famille née à Kaboul et soumise pendant plusieurs années à la pratique du purdah en terres talibanes.

Inlassablement, le même récit ne cesse de se reproduire : un aspirant à la puissance locale se résout, parfois volontiers, à soutenir le nouveau gouvernement appuyé par l’Amérique, pour ensuite se retrouver dénoncé en tant que membre des talibans par un compatriote afghan – généralement pour de simples raisons personnelles ou de politique locale – sous les yeux de troupes américaines inconscientes de la situation. On constate en effet combien ce schéma se perpétue dans les récits de tous ceux qui vivent en Afghanistan, parlent la langue, et comprennent comment fonctionnent les usages et le pouvoir dans le pays. Ces hommes que l’on retrouve dénoncés sont bien souvent ceux qui ont été emprisonnés – et torturés – pendant des années.

De mon point de vue d’experte en politique étrangère américaine, l’unique rayon de soleil des derniers mois réside dans la démarche d’Obama consistant à normaliser les relations diplomatiques auprès de Cuba. Se présente enfin à l’Amérique l’opportunité d’amorcer un nouveau départ, non seulement dans ses relations avec Cuba, mais également avec les États des Caraïbes et d’Amérique latine, qui nous encourageaient vivement et fréquemment à revoir notre position. Cette démarche du président Obama restera en effet gravée comme l’un des accomplissements les plus significatifs de la politique étrangère américaine, avec des retombées vouées à résonner pendant plusieurs décennies.

Favorables ou malheureux, tous ces événements récents suivent pour autant une tonalité identique. Dans chaque cas, institutions et responsables américains ont tenu pour responsable d’autres institutions et responsables du pays.

Le Congrès a documenté et divulgué les agissements de la branche exécutive dans le cadre du rapport sur la torture. La sénatrice Diane Feinstein a travaillé avec acharnement de sorte que la Commission du renseignement du Sénat puisse procéder à des recherches et à la collecte de documents autour des pratiques de l’interrogatoire à l’américaine, même lorsque la CIA s’y opposait le plus farouchement (allant même jusqu’à pénétrer furtivement les ordinateurs de la Commission).

« Certains saisiront l’opportunité du rapport pour s’exclamer ‘voyez ce qu’ont fait les Américains,’ » a fait valoir Feinstein, « et ils tenteront de s’en prévaloir pour justifier le mal commis ou inciter à davantage de violence. Cela, nous ne pouvons l’éviter. L’histoire nous jugera cependant sur notre engagement en direction d’une société juste, régie par le droit ainsi que par la volonté d’admettre une vérité effroyable et d’œuvrer pour qu’elle ne se reproduise jamais plus. »

C’est ainsi que les médias et nombre de groupes de la société civile ont documenté et évoqué publiquement non seulement la mort de Brown, Garner, et d’autres, mais également la manière dont ces tragédies reflétaient de la part de la police une différence de traitement fondée sur l’appartenance ethnique. De même, lorsqu’Obama a annoncé le rétablissement de pleines relations diplomatiques avec Cuba, la Maison Blanche a eu le courage de décrire la politique américaine de la dernière moitié du siècle comme une « approche défaillante, » à l’origine de l’isolement des États-Unis, de la limitation de leur influence sur les politiques de l’hémisphère, ainsi que d’une situation dans laquelle l’Amérique s’est retrouvée les mains liées autour de la question même de Cuba.

Les Américains ne sont ni des êtres meilleurs, ni plus mauvais que d’autres. Rien de ne justifie que nous nous comportions en moralisateurs, et nous avons beaucoup à apprendre d’autrui. Fort heureusement, nos Pères fondateurs nous ont offert le cadeau précieux et exceptionnel d’un système politique qui nous oriente perpétuellement sur la voie de l’autocorrection.

La capacité à rectifier les erreurs ne saurait justifier que celles-ci aient été commises en premier lieu. Si le pays se livre aujourd’hui, ce n’est pas pour célébrer sa capacité à le faire. Nous autres Américains devons apprendre à réfléchir sur nous-mêmes, et notre gouvernement à la manière dont les autres se comportent. Sur bien des choses, il nous incombe de nous expliquer. Nous pouvons néanmoins nous satisfaire d’avoir désormais soulevé les bonnes questions.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2014

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