Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

La vie rêvée du localier

Le 19 mai 2023 à 12h48

Modifié 19 mai 2023 à 12h48

"Il se voulait simplement localier, arpentant le terrain, humant les odeurs, allant à la rencontre des gens." Tel est l’ambition d’un localier, ce journaliste au grade subalterne qui besogne au sein de la rubrique régionale. Ce fut là un bref et peut être unique hommage rendu à un localier ailleurs qu’ici et qui n’a laissé comme traces sinon des mots épars, imprimés, mal lus ou pas lus du tout, et puis oubliés dans les pages intérieures d’un journal lui-même tombé dans l’oubli.

Comment a fait cet autre localier de chez nous, celui-là même dont on veut évoquer le parcours ici, pour traverser nos improbables années 80 ? Profil bas et espérance contenue, et la tête pleine de prières muettes pour conjurer le sort et surmonter la peur d’un lendemain plus sombre.

Il se réveillait tôt chaque matin et après un petit déjeuner frugal il se rendait là où, la veille, on lui avait demandé de se rendre. Couvrir une réunion au siège de la Province ce jour-là. Sera-t-elle présidée ou non par le gouverneur en personne. Si oui, elle est importante pour lui et le sera également, peut-être s’il a de la chance, pour le chef de la rubrique là-bas au siège du quotidien, dans la capitale. Ah le siège du journal ! Que n’en a-t-il rêvé, lui qui ne s’y rendait qu’une ou deux fois par an, toujours avec l’espoir de rencontrer le rédacteur-en-chef juste pour le saluer, lui dire qui il est et ce qu’il fait dans sa lointaine ville de province. Mais ce ne sera que le chef de la rubrique auquel il va offrir une petite corbeille de produits agricoles de la région qui ont supporté les dix heures de transport en autocar. On lui a souvent promis de lui délivrer une carte de presse afin d’officialiser sa fonction et donner à son statut du prestige et une plus grande crédibilité auprès des autorités locales et de la population en général. Mais des années après, il l’attend toujours. Il ne perd pas espoir pourtant et c’est pour cela qu’il tenait tant ce jour-là à rencontrer le rédacteur-en-chef, seul à même de lui faire obtenir ce sésame. Ce sera pour la prochaine fois. Le localier est un être fataliste, docile et obéissant. Et de toutes façons, journaliste, il l’est en qualité de correspondant du quotidien dans toute la région. Les autorités, avec ou sans carte de presse, s’en accommodent et s’en félicitent jusqu’à présent.  Mieux encore, son nom apparait de temps à autre en bas des nombreux entrefilets qu’il envoie au journal. Certes, ils ne sont pas toujours publiés et lorsqu’ils le sont, ce sera seulement dans les pages intérieures. Qu’importe ! il n’a jamais visé la Une, ni la lune. Mais qui sait ? Peut-être un jour… Il est comme ça notre localier, si rêveur et la tête dans les étoiles qu’il a fait sien ce cogito si peu cartésien : "je rêve donc je suis."

Dans la "famille" hiérarchisée du journal de l’époque, loin de l’éditorialiste vaticinant, du reporter triomphant, du chroniqueur subjectivant et du billettiste ironisant, il y a ce "cousin" lointain qu’est le localier méritant. Arpenteur du quotidien, glaneur compulsif des petits riens, il s’en va, petit calepin à la main, chercher de quoi nourrir une ou deux "colonnes" de la page régionale paraissant chaque jour. Aujourd’hui c’est la réunion des membres d’une coopérative agricole qui se plaignent du peu d’intérêt que leur accorde le délégué du ministère de l’Agriculture. Les griefs des premiers doivent être traités avec circonspection pour ne pas fâcher le second, le ministère étant dirigé par un membre du parti dont le journal est le porte-parole. Le localier a déjà été largement sensibilisé au sujet des enjeux politiques à prendre en considération dans le choix et le traitement de l’information dans son territoire. Et dans tous les cas, au siège de la Province, au cabinet du gouverneur, on veille au grain. Le localier a son contact dans l’entourage des agents d’autorité, à son échelle bien entendu, afin d’éviter l’impair et l’info qui fâche. Le localier ne veut fâcher personne mais ne peut satisfaire tout le monde. Au café du coin, lieu où les informations circulent et les langues se délient, il lui arrive de se faire engueuler par ceux qui lui reprochent son silence sur telle injustice ou la publication d’une information qui a fait du tort à tel édile local. Les misères du métier du localier sont parfois compensées par quelques encouragements d’un lecteur ou les remerciements de la maman éplorée de quintuplés dont il a pu publier la photo de ses bambins afin de lui faire obtenir de l’aide. Mais c’est surtout le fait de voir ses mots retranscrits et son nom publiés en bas de l’article qui lui procure le plus de joie. Une douce sensation qu’il n’arrive pas à définir et qu’il n’a jamais éprouvée dans son métier d’avant. Il était postier, préposé à tamponner des mandats, à vendre des timbres et souvent même à rédiger bénévolement des lettres pour les usagers illettrés. Au départ, il avait commencé par envoyer au journal, comme on envoie des bouteilles à la mer, des poèmes et quelques petits contes depuis la petite ville où il travaillait. Le quotidien a fini par en publier quelques-uns de temps à autre dans la page culturelle. Mais quelle ne fut sa surprise lorsqu’un matin il reçut un courrier lui proposant de devenir correspondant du journal pour toute la région. Le postier quitta la poste, devint localier et le resta jusqu’à la disparition du journal.

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