
Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.
La communication, l’autre combat qu’il faut gagner
Le 10 novembre 2023 à 16h48
Modifié 10 novembre 2023 à 17h00Après la sidération qui a suivi l’attaque du 7 octobre, les autorités israéliennes, prises au dépourvu par l’audace de l’opération surprise du Hamas, ont pris le temps de reprendre l’initiative sur le terrain et au niveau international. D’un côté, elles ont mobilisé leurs forces militaires, avec l’appui des Américains, pour lancer des attaques sans discernement sur Gaza. De l’autre, elles ont mis en branle leur machine de communication pour ne pas perdre la bataille de l’opinion internationale.
Les temps ont changé. Ce n’est plus la guerre des six jours qu’Israël avait initiée et conclue à sa manière. Quand il se présentait en victime face aux pays arabes qui cherchaient, selon la propagande de l’époque, à l’anéantir. Cette fois-ci, Tel-Aviv fait face au seul Hamas, qu’il continue à qualifier de terroriste, mais qu’une large majorité de l’opinion internationale voit comme un groupe de résistants qui cherche à libérer son pays, la Palestine, de la colonisation israélienne.
Dans la guerre tous azimuts qu’Israël mène à Gaza, ciblant sans discernement civils et lieux publics, écoles et hôpitaux, le droit humanitaire international est tout simplement bafoué, comme l’a décrié l’ONU et plusieurs ONG internationales. Suite à l’attaque de Hamas, la réponse d’Israël devait être proportionnelle et ne jamais répondre à un esprit de vengeance. Le principe de proportionnalité en droit conditionne la légalité d’une action au respect de l’équilibre entre l’objectif et les moyens utilisés.
Après des milliers de bombes larguées sur les civils à Gaza, qui ont fait plus de 10.000 victimes, dont une majorité d’enfants, Israël a senti le vent tourner. Les Nations unies comme les sociétés civiles internationales ont condamné la brutalité des répliques israéliennes. Tel-Aviv a vite réagi par une offensive médiatique dont l’objectif initial était de dénoncer l’attaque de Hamas, l’associant à un groupe terroriste. Sa première victime fut le président français Emmanuel Macron qui s’est hâté, lors de sa visite Israël, de proposer de bâtir une coalition contre le Hamas à l’instar de celle contre Daech.
Israël mène un combat de communication à l’international
Le gouvernement israélien a l’habitude de mobiliser facilement ses relais habituels pour faire passer ses messages de pays meurtri ou justifier ses attaques meurtrières contre les Palestiniens. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui dirige un gouvernement extrémiste et se frottait les mains de voir le monde oublier la question palestinienne, a brutalement été rappelé à l’ordre. Il constate avec amertume que la question palestinienne mobilise toujours les opinions à travers le monde. Même chez les juifs américains, les observateurs notent cette fois-ci une prise de conscience pour la défense de la légitimité du combat des Palestiniens.
C’est en Europe, et plus particulièrement en France, que la communication israélienne s’est concentrée, avec comme objectif de gagner la faveur des opinions publiques. Sur les plateaux télé, à la radio et dans les colonnes des journaux, ce sont les mêmes journalistes, philosophes et autres intellectuels, souvent acquis à Israël, qui mènent les débats. Ils légitiment les attaques contre Gaza et en atténuent l’ampleur. Ils préparent les esprits à la violence systématique de la riposte israélienne, pour ne pas avoir à la justifier par la suite.
Sur les réseaux sociaux en Europe, des clips ont été également produits par les autorités israéliennes décrivant le Hamas comme terroriste et glorifiant l’armée israélienne. En visualisant des résumés de matchs de football, des utilisateurs européens ont été surpris de lire le message suivant : "Hamas organisation terroriste qui a massacré 1300 innocents israéliens, Hamas égal ISIS." On pouvait aussi voir des leitmotivs comme "Stand with Israël", accompagné des armoiries de l’Etat hébreu.
Cette communication joue sur la peur et suggère que seul l’engagement derrière Israël est la seule issue pour se prémunir du terrorisme. Son message subliminal est que l’Occident et Israël défendent la même cause et partagent le même ennemi. Lors des débats sur la Palestine, relier les atrocités actuelles aux événements tragiques de l’Europe durant la Seconde Guerre mondiale est porteur. Toute cette communication puise son lexique dans un registre dramatique, anxiogène, qui déforme la réalité et exagère les enjeux.
Depuis 1948, Israël mène un combat continu pour se faire accepter, non seulement au Moyen-Orient comme on peut le penser, mais aussi à travers le monde et même au sein de l’ONU. A chaque guerre ou confrontation avec ses voisins, le pays s’isole davantage et se voit incompris face à l’adversité des autres. Parallèlement à ses combats sur le terrain, il doit aussi mener un combat de communication à l’international, et principalement en Occident, berceau de sa naissance.
Des débats biaisés
Tout le sens de la communication israélienne réside dans la simplification du message sans aller à l’origine du mal : on ne veut pas la guerre mais c’est l’adversaire qui nous y pousse. Il est donc responsable de la réponse qui va lui être administrée. Les Palestiniens assument seuls les conséquences de leur prétention à vouloir être indépendants, même si notre réponse est disproportionnée. Le message qu’il faut incruster dans la tête des citoyens est que le Palestinien est moralement responsable de ses gestes. Il est condamnable parce qu’il nous pousse à commettre cette guerre que nous n’avons pas choisie. Par conséquent, la guerre que l’on nous impose a des objectifs nobles même quand elle engendre des atrocités. Elle est menée pour nous défendre mais rend parallèlement service à l’Occident face aux terroristes et aux barbares.
Lors des débats sur le conflit palestino-israélien, dès que quelqu’un doute de ce récit, il est vite mis à l’écart, accusé d’être aligné à l’ennemi, d’être islamo-gauchiste ou même traité d’antisémite. On a constaté comment en France le massacre des Palestiniens à Gaza a subitement débouché sur l’interdiction des manifestations propalestiniennes et l’organisation d’autres contre l’antisémitisme. Une manière de botter en touche et de faire diversion sur l’essentiel : les massacres et le nettoyage ethnique à Gaza.
Rares sont les débats soucieux de la complexité des événements, du raisonnement historique et de la nécessité de faire appel au droit international. En Europe, ce que les journalistes cherchaient dans les débats sur Gaza, c’est de prendre parti pour un camp ou un autre. Face à un interlocuteur, la première question qui fut généralement posée est : condamnez-vous l’attaque de Hamas ? En fonction de la réponse, on pouvait deviner la tournure qu’allait prendre le débat.
A ce stade, on n’est plus dans la communication mais dans la propagande, qui cherche à anéantir l’autre, c’est-à-dire l’adversaire, et à lui imposer sa propre vision. Noam Chomsky a eu raison de souligner que la propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures. Or dans ce conflit en Palestine, Israël tente d’imposer par la force sa colonisation sur les Palestiniens tout en voulant persuader l’opinion internationale de la justesse de sa cause.
Les techniques de communication dont s’abreuve Israël dans sa lutte contre les Palestiniens sont aussi anciennes que celles des propagandes d’autrefois. L’une de ces techniques est de coller des étiquettes péjoratives aux Palestiniens, telles que "terroristes" et "barbares". Avec le développement des moyens de communication modernes, cette pratique n’a plus d’impact sur le public. L’autre technique, c’est de dissimuler les atrocités commises sous des euphémismes neutres comme les "frappes chirurgicales", ou les "victimes collatérales", alors que celles-ci se comptent en milliers.
Des argumentaires rodés dans les médias français
Dans les argumentaires déployés lors des débats télé en France, la recette est toujours la même. On invite journalistes, intellectuels, philosophes, et de temps en temps une voix différente, de préférence d’origine arabe, pour apporter la contradiction. Ce dernier est souvent mis en minorité dès qu’il cherche à défendre le droit des Palestiniens. S’il s’inscrit dans une critique ouverte de l’État d’Israël, il est réduit au silence.
Les intervenants pro-israéliens puisent dans le même registre les mêmes éléments de langage. Ils réduisent la complexité de la situation à ses effets récents, sans remonter à l’origine du drame. Pour eux, Israël a donc raison de se défendre de la manière dont il le fait. Ils jouent sur la paresse du public en lui proposant des explications faciles à reprendre à son compte. L’autre phénomène dangereux qui commence à inquiéter est le raccourci supposé entre antisémitisme et migration. Certains responsables politiques et médiatiques français ont facilement fait le lien entre l’antisémitisme et la présence de la communauté musulmane. Des tags racistes ont vite été attribués, sans preuve ou discernement, aux musulmans.
Ce qui est nouveau dans le combat de communication que mènent les Palestiniens pour leur indépendance, c’est le poids que jouent désormais les réseaux sociaux et qui penchent en leur faveur. Ces outils de communication moderne sont devenus un espace interactif pour dénoncer les abus, montrer les massacres et exposer leurs victoires. Ils sont surtout devenus le lieu pour documenter les atrocités de la colonisation israélienne face à un peuple démuni qui ne demande qu’à retourner sur sa terre. Avec la tragédie de Gaza, la question palestinienne, que l’on a voulu passer sous silence, est tout simplement devenue planétaire.
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