Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Iran et Israël, ou le spectre de l’engrenage

Le 19 avril 2024 à 12h06

Modifié 19 avril 2024 à 16h10

Dès l’avènement de la République islamique d’Iran en 1979, les Etats-Unis et Israël sont désignés comme les ennemis déclarés des nouvelles autorités iraniennes. Cette animosité, devenue structurelle avec le temps, se fonde sur le soutien que ces deux pays apportaient ouvertement au régime défunt des Pahlavi.

L’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 est l’autre date charnière qui a abouti à faire de l’Iran la puissance qu’elle est aujourd’hui, en éliminant l’ennemi qui lui tenait tête, Saddam Hussein. Depuis, l’Iran et Israël se vouent une haine sans retenue, et veulent en découdre pour étendre leur influence et dominer la région, à l’évidence au détriment des autres pays de la région.

De la part d’Israël, une partie de sa classe politique ne cache pas son rêve du grand Israël. Le pays a déjà annexé le Golan syrien, et continue la colonisation en Cisjordanie. Certains de ses responsables actuels pensent ouvertement à déplacer la population de Gaza vers le Sinaï quand les conditions le permettront. De l’autre, l’Iran agit pour sa part en sens inverse. Elle cherche à étendre son influence au-delà de ses frontières, au Liban, en Irak, au Yémen et en Syrie notamment, pour mobiliser les populations chiites des pays arabes.

Les ayatollahs gardent en mémoire le soutien actif apporté par les États-Unis et Israël au régime du Shah. Ils en ont fait le socle de leur stratégie. La prise d’otages américains au sein de leur ambassade à Téhéran (1979-1981), conjuguée aux désaccords sur toutes les questions régionales, a fini par rendre leurs intérêts divergents, voire inconciliables. Les sanctions économiques imposées au régime iranien par la suite, pour limiter ses nuisances et l’empêcher de développer son arsenal nucléaire, ont rendu leurs relations tout simplement exécrables.

Les raisons du regain de tension actuel entre l’Iran et Israël remontent donc à cette époque. L’attaque israélienne du 1er avril dernier contre l’annexe de l’ambassade iranienne à Damas est venue raviver des crises qui se sont accumulées avec le temps. Sans doute Netanyahou cherchait-il à détourner l’attention des Israéliens face aux échecs subis dans la gestion de la guerre à Gaza, et à tenter d’impliquer davantage l’allié américain dans un conflit généralisé. Lors de ce raid, mené par des avions de chasse F35, treize personnes ont péri, dont le général iranien Mohammad Reza Zahidi, commandant de la force Al-Quds pour la Syrie et le Liban. L’état-major israélien était sans doute conscient que l’Iran ne laisserait pas passer l’affront.

Des condamnations ont fusé de la part des alliés de Téhéran, dont Moscou qui a condamné une attaque inacceptable, et demandé aux dirigeants israéliens de cesser ces actes de violence contre les pays voisins. Prenant acte de cette agression, Téhéran a prévenu qu’elle ferait payer à Israël cet assassinat et qu’elle vengerait ses victimes. On se rappelle que, lors de l’assassinat par Washington du général iranien Qassem Soleimani à Bagdad, en janvier 2020, Téhéran avait juré de prendre sa revanche. Elle bombarda, pour le symbole, deux bases militaires américaines en Irak sans faire cependant de victimes.

Ce sont donc plus de 200 missiles balistiques et de croisière ainsi que des drones qui se sont abattus de nuit sur Israël le 14 avril. Tel Aviv a promis qu’une réponse punitive conséquente sera menée contre l’Iran. Cette dernière n’a pas tardé à son tour à surenchérir et proférer d’autres menaces. La moindre réaction d’Israël contre nos intérêts provoquerait immédiatement une réponse sévère, étendue et douloureuse, selon le gouvernement iranien. L’Occident, embrouillé déjà dans la crise ukrainienne, veut calmer la tension en faisant pression sur le gouvernement israélien. Quelques sanctions timides contre Téhéran ont été décrétées, beaucoup plus pour amadouer Netanyahou que pour punir l’Iran.

Mais au-delà de ces joutes verbales, le régime des mollahs trouve dans cette crise les ingrédients pour alimenter sa haine viscérale contre les États-Unis et Israël, qu’il qualifie de grand et de petit Satan. Dès 1979, Téhéran a cessé de reconnaître l’Etat d’Israël, au profit d’une reconnaissance de l’État de la Palestine. Les relations économiques et les échanges sont depuis suspendus avec l’État hébreu qui importait jusqu’à 40% de sa consommation énergétique de l’Iran. Pendant les premières années de la révolution islamique, la guerre entre l’Iran et l’Irak de Saddam Hussein, qui dura huit ans, a été une aubaine pour Tel-Aviv, contente de voir ses deux rivaux se neutraliser de la sorte.

L’invasion du Liban en juin 1982 par les troupes israéliennes viendra changer cette donne. La défaite des troupes syriennes, alliées de Téhéran, qui y stationnaient a été un tournant dans la vision que se faisait la diplomatie iranienne de son rôle dans la région. Israël a saisi l’occasion de l’attentat contre son ambassadeur à Londres en juin 1982 pour mener une attaque d’envergure, et totalement disproportionnée, contre l’armée syrienne de Hafiz El-Assad qui, pour sa part, soutenait l’Iran dans sa guerre contre l’Irak.

Le régime islamique à Téhéran prend dès lors conscience de l’importance de s’impliquer directement au Liban pour contrer l’influence israélienne et renforcer ses alliances dans le pays du cèdre. Ainsi, le Hezbollah chiite libanais fut créé en 1982 avec l’aide directe de Téhéran mais aussi de Damas. Bien entraîné, armé et financé, il devient par la force des choses, la seule milice disposant d’une armée indépendante et autonome, qui s’impose aussi bien au gouvernement libanais que face à Israël.

Depuis, le Liban est le théâtre d'une confrontation entre Téhéran et Tel Aviv. Rien n’a changé, ou presque, de nos jours. Le gouvernement israélien de l’époque, dirigé par le Premier ministre Menahem Begin, et son ministre de la Défense Ariel Sharon, avait bien des choses en commun avec le binôme actuel Benjamin Netanyahou et son ministre de la Défense Yoav Galant. Si différence il y a entre ces deux époques, elle se situerait certainement dans la volonté affirmée des responsables israéliens actuels d'en finir une bonne fois pour toutes avec la menace que constitue l’Iran à leurs yeux. Mais le peuvent-ils réellement ?

Ce sentiment de danger, Netanyahou l’avait souligné quand il déclarait devant la presse qu’Israël faisait face à trois défis existentiels majeurs en dénombrant Iran, Iran et Iran. Si après l’attaque du territoire israélien, Téhéran a voulu calmer le jeu en déclarant que l’affaire était close, Tel Aviv a promis, en revanche, une réponse adaptée à l’agression iranienne. Son état-major s’est réuni à plusieurs reprises pour affiner sa riposte sans rien divulguer de sa stratégie. Les alliés occidentaux, à commencer par les Américains, ont d’ores et déjà exclu toute participation à une riposte contre l’Iran, dont les risques seraient incalculables sur la région et le monde.

L’armée israélienne n’a pas attendu la récente attaque iranienne pour se pencher sur la meilleure manière de répondre à l’Iran. Son armée comme ses services, dont le Mossad, procèdent depuis longtemps à des cyberattaques contre les installations iraniennes, et à l’élimination ciblée de chercheurs et d'ingénieurs. D’autres scénarios d’attaques ont fuité, mais tout porte à croire que l’approche par attaques aériennes reste la plus probable, car la plus efficace en termes de résultats mais aussi la plus dangereuse. Les risques de déflagrations au niveau régional et international seraient incommensurables.

Ce qui pose réellement des défis majeurs dans l’option d’attaques aériennes a trait aux moyens qu’Israël devrait mettre en œuvre pour attaquer l’Iran tout en détruisant ses capacités militaires et nucléaires. Pour atteindre et détruire ces cibles militaires, qui sont éparses et enfouies sous le sol, il faudrait transposer des missiles puissants sur une longue distance. Les 1.800 km qu’il faudrait parcourir à l'aller comme au retour sont loin d’être une sinécure et dépassent les capacités de l’État hébreu.

L’autre défi réside dans les risques qu’engendre le survol illégal des espaces aériens de pays voisins qui compliquera davantage la position israélienne vis-à-vis du droit international. Les militaires israéliens estiment qu’une telle opération devrait mobiliser pas moins d’une centaine d’avions, dont le ravitaillement en plein vol est en soi un défi. La presse israélienne évoque même la conversion d’avions Boeing en avion tanks pour aider au ravitaillement. Ce qui demeure certain, c’est que les résultats de telles opérations ne peuvent qu’être mitigés parce qu’ils comportent des risques incalculables pour l’armée israélienne.

Cette dernière ne peut aujourd’hui dupliquer en Iran l’opération menée en juillet 1976 à Entebbe en Ouganda, pour libérer ses otages, et dans laquelle le frère de Netanyahou avait laissé la vie. Ce que les responsables israéliens désirent n’est pas de venger l’attaque du 14 avril, mais de venir à bout des capacités nucléaires de l’Iran. Ils font depuis longtemps une fixation sur les efforts que mène l’Iran pour acquérir la bombe atomique et cherchent par tous les moyens à en venir à bout. Leur but ultime reste et demeure de réduire à néant les avancées nucléaires iraniennes ou, tout au moins, à en retarder l’échéance.  

Certains commandants de l’armée israélienne sont cependant pessimistes, parce que conscients de ne pouvoir détruire les capacités nucléaires iraniennes d’un seul trait. Qu’il leur faudrait y retourner une seconde fois, ou plus, pour un résultat médiocre qui ne consisterait qu'à retarder le programme iranien de deux ou trois années au maximum. Mais comme dans tous les conflits, un de ces deux adversaires devrait sortir vainqueur, et l’autre affaibli et vaincu. L’autre option plus raisonnable serait de rechercher un modus vivendi entre l’Iran et Israël pour sauvegarder équitablement leurs propres intérêts dans la région. Mais cette dernière option, si elle se réalise, se fera certainement au détriment de leurs autres voisins.

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