Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Intelligence artificielle, le grand remplacement

Le 17 avril 2023 à 12h03

Modifié 17 avril 2023 à 12h03

C’est un des grands défis posés à l’ordre international que celui de l’intelligence artificielle (AI), qui commence à se décimer dans les entrailles de toutes les activités humaines. Tous les pays, y compris ceux qui ont initié cette révolution, ne sont pas en mesure, pour le moment, d’en saisir avec précision les retombées sur nos sociétés, et sur les relations entre elles.

La suprématie technologique de l’IA, qui se concentre essentiellement entre les mains des États-Unis et de la Chine, est en train de bouleverser l’ordre mondial. Ses implications sur les relations internationales rendraient les liens entre les nations plus tendus, aggravant ainsi la fracture technologique entre elles. A ce stade, la communauté internationale est encore mal préparée pour mesurer avec exactitude l’étendue des conséquences.

Les États commencent timidement à scruter de près ces nouveaux apports technologiques pour évaluer les risques que pose l’IA sur leurs souverainetés nationales. Mieux gérer ses impacts sur leurs intérêts nationaux, et sur leurs relations avec le reste du monde, devient ainsi une priorité. Ces nouvelles technologies sont devenues des atouts clés à la puissance des États, mais pourraient s’avérer un handicap quand elles sont mal maîtrisées.

La nouveauté avec l’IA est qu’elle repose sur la capacité à recréer les facultés cognitives humaines, le raisonnement, le calcul, la perception, et la mémorisation qui peuvent être déployées à une vitesse vertigineuse jamais égalée. Tous ces attributs, réservés jusqu’alors aux humains, sont traités et accomplis par des machines autonomes toujours plus puissantes. Les données amassées sur toutes les nations seront un enjeu capital qu’il faudrait réguler et protéger.

Au niveau des États, l’IA devient donc un facteur de puissance par rapport aux autres nations. Ceux qui la maitrisent auront une avance certaine dans la défense et la protection de leurs intérêts. Intégrant tous les domaines de l’activité humaine, y compris le domaine militaire, elle devient facteur décisif de supériorité et de domination. A ce niveau, elle est déjà utilisée dans la détection rapide des cibles, la reconnaissance des obstacles, la réduction des erreurs, et dans bien d’autres domaines militaires.

Nombreux sont les pays qui se voient spectateurs impuissants face à l’IA et aux transformations phénoménales qu’elle produit au sein des sociétés. Ils le sont encore plus devant le combat que se livrent sans pitié les États-Unis et la Chine pour dominer le secteur. Ces deux superpuissances, qui cherchent par tous les moyens à imposer, au reste de la planète, leurs visions du monde, y ajoutent un facteur supplémentaire d’instabilité et d’affrontement pour dominer ce secteur.

D’autres ne veulent pas être de simples spectateurs et entendent tirer profit ou, au moins, maîtriser l’usage de cette révolution numérique. C’est le cas de l’Europe, qui traîne derrière les États-Unis et la Chine, et qui commence à légiférer pour masquer son retard dans le domaine. Certains pays européens ont développé des stratégies et des programmes nationaux, avec des plans de financements de la recherche et des partenariats en IA, espérant ainsi gagner des parts de marché pour éviter une cyber-vassalisation aux deux grandes puissances.

Mais ce sont les États-Unis qui, pour le moment, demeurent le leader mondial de l’IA, face à la Chine qui les suit de près avec la ferme volonté de les dépasser. A ce jour, la Chine est la première nation en termes de production scientifique et de brevets relatifs à l’IA déposés auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Nombreux sont les observateurs qui prévoient que Pékin sera, à court terme, la première puissance dans ce secteur d’activité.

C’est que le gouvernement chinois mène une politique résolue dans ce domaine pour creuser l’écart avec les américains. Contrairement à ces derniers, Pékin dessine, suit et contrôle ses entreprises performantes, en leur établissant les grandes orientations pour réaliser des objectifs fixés avec l’aide et le soutien de l’État. Les entrepreneurs chinois ont certes le droit de s’enrichir, mais doivent respecter les directives nationales édictées par le parti communiste.

C’est en raison de ces succès que les américains ont mené des guerres contre les entreprises chinoises, comme Huawei et bien d’autres, pour ralentir leur développement chez eux comme chez les autres pays alliés. Des instructions ont été données pour ne pas utiliser la technologie chinoise pour des motifs souvent sécuritaires, tout en interdisant aux sociétés américaines de se fournir auprès des entreprises chinoises en matériel sensible ou sophistiqué.

Pour les mêmes raisons, les américains se sont attaqués aussi à l’application TikTok et sa compagnie mère ByteDance et à bien d’autres entités chinoises spécialisées en IA. Les chinois, pour leur part, critiquent ces entraves au commerce mais gardent les yeux rivés sur toute évolution technologique américaine. A Google ils ont opposé Baidu, à Amazon c’est Alibaba, et face à Apple ils ont brandi Xiaomi. Ce sont deux visions du monde et deux modèles économiques qui se confrontent pour la conquête des marchés, et au-delà, pour la conquête du monde.

Instrument de puissance et de rivalité

Certaines voix se lèvent déjà pour alerter contre cette rupture technologique et les confrontations qu’elle peut engendrer à l’intérieur des pays comme à l’échelle internationale. Elon Musk, patron de SpaceX de Tesla et de Twitter, a demandé à faire attention au développement de l’IA qui sont pour lui potentiellement plus dangereuse que les bombes atomiques. Quant à Marc Zuckerberg de Facebook, il a plaidé pour une gouvernance mondiale pour règlementer le domaine, et éviter des confrontations inutiles.

Il n’en demeure pas moins que l’IA est devenue un attribut de puissance aussi bien pour les États-Unis que pour la Chine, et il en sera de même pour les autres nations. Toutes les activités humaines en seront imprégnées avec inévitablement des applications dans les domaines économique, éducatif, militaire, et dans bien d’autres. Dans cette nouvelle configuration, ses fantassins sont les chercheurs et leurs matières grises, épaulés par des machines qui réfléchissent et agissent toujours plus vite. L’IA devient par conséquent l’instrument ultime de puissance et de rivalité entre les pays.

Au milieu cette excroissance de l’IA, ce sont les grandes entreprises du digital qui mènent la dance. Elles ont déjà investi la vie humaine de tous les jours, et sont devenues des géants économiques qui concurrencent et défient les États. En quelques années elles ont imposé au monde les ordinateurs qu’elles ont raccordés à l’internet en y intégrant maintenant l’intelligence artificielle récoltant ainsi des fortunes colossales. Les données collectées sur les utilisateurs sont devenues un enjeu économique de taille pour tous les États.

Ces données représentent le nerf de cette nouvelle guerre entre les puissances qui s’accusent mutuellement de dumping et d’espionnage, et entre celles-ci et le reste du monde. En dehors des deux superpuissances, le Big Data, le processus global de collecte, le stockage, l’analyse et l’utilisation des données touchent la souveraineté de tous les autres pays. Traitées, analysées puis croisées, ces données acquièrent une grande valeur stratégique que chaque nation est censée contrôler, défendre et protéger.

Ces données sont un facteur de puissance supplémentaire pour ceux qui savent les manipuler. Des observateurs craignent déjà le creusement des inégalités sociales au sein des sociétés et les risques d’instabilité que l’IA peut engendrer. Quand certains prévoient le chômage des millions de personnes qui pourraient être remplacées par des robots, d’autres, au contraire, pensent que l’IA créerait autant d’emplois qu’elle en supprimerait.

De tous ces débats sur l’IA et ses impacts sur nos sociétés, surgit la leçon que la Chine administre au monde. Dès les années 90 du siècle dernier, ce pays a tiré la leçon de l’échec de l’Union Soviétique qui a misé sur l’armement face aux États-Unis. Ne voulant pas commettre la même erreur stratégique, la Chine a opté pour la voie économique libérale, associée à une éducation de qualité qui lui a permis d’être le concurrent des américains en IA. Les États-Unis demeurent certes le leader mondial, mais pour combien de temps encore ?

Comme dans la crise ukrainienne, où une majorité des pays en développement s’est abstenue à prendre position entre la Russie et les États-Unis, les mêmes ont compris qu’ils n’ont aucun intérêt non plus à se positionner derrière Washington ou Pékin dans cette lutte pour dominer le marché des nouvelles technologies de l’IA. Beaucoup de nos pays chercheront, à l’opposé, à tirer profit de cette situation pour servir leurs propres intérêts. Il n’en reste pas moins qu’au niveau du continent africain, la réflexion doit rapidement être menée pour mesurer les défis qui nous attendent face aux géants de l’IA.

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